Homélie du cardinal André Vingt-Trois – Démarche jubilaire Année Saint-Paul à Notre-Dame des Victoires

Samedi 13 juin 2009 - Notre-Dame des Victoires (2e)

Messe à Notre-Dame des Victoires dans le cadre de la démarche jubilaire de l’année St Paul

Is 66, 10-14 ; Rm 5, 12.17-19 ; Mt 1, 18-24

Frères et sœurs,
Dans une époque récente, certains ont cru bon de douter que le péché soit vraiment venu dans le monde. Ils pensaient que c’était la foi chrétienne (et même la foi catholique plus précisément) qui était à l’origine du sentiment du péché.
Ils croyaient que si l’on pouvait s’affranchir de la foi et de l’Église catholique, le péché disparaitrait et les hommes comprendraient qu’ils étaient innocents, justes et libres.
Or nous découvrons tous les jours que s’affranchir de la foi en Dieu, de la pratique chrétienne et de la communion de l’Église ne fait pas disparaître des cœurs le sentiment de culpabilité.
Et nous assistons à ce paradoxe étonnant : dans un monde qui se veut affranchi des normes de la foi et de la morale, on n’a jamais autant accusé son semblable ni fait la chasse à la faute. On veut toujours trouver le responsable à qui imputer la cause de tout mal.
Les réflexions autour du terrible et récent accident d’avion en sont un bon exemple, tout comme la manière dont on parle des catastrophes naturelles.
On raisonne comme si ces événements catastrophiques pour l’humanité devaient absolument avoir une cause humaine, comme si devant les drames qui frappent l’existence des hommes, il fallait à tout prix désigner celui que nous considérerions comme la cause de ces souffrances.

L’expression que saint Paul nous donne dans l’épître aux Romains résume ce qui s’appellera plus tard la théologie du péché originel. Nous croyons que « par un seul homme, Adam, le péché est entré dans le monde, et par le péché est venue la mort ; et ainsi, la mort est passée en tous les hommes, du fait que tous ont péché » (Rm 5, 12).
Aujourd’hui cette théologie du péché originel qui a été combattue avec tant de violence, a été remplacée par une théorie de la culpabilité individuelle qui fait que tout le monde cherche à désigner les coupables.
Comme si la possibilité d’attribuer la cause du mal à quelques-uns pouvait affranchir tous les autres de leurs responsabilités. Il semble désormais plus commode d’expliquer les malheurs qui arrivent soit par des défaillances techniques, soit par des erreurs humaines, soit par des volontés homicides, que d’accepter d’assumer tous ensemble notre part de responsabilité dans le malheur des hommes.

Le Christ en venant dans le monde et en apportant la justice par le don qu’il fait de sa vie, nous rend capable à la fois d’assumer notre responsabilité dans le malheur et en même temps de ne pas être écrasé par cette responsabilité.
Aujourd’hui se développe une chasse aux coupables, armée de bons sentiments. Elle a cette particularité qu’à son terme, il n’y a pas de place pour la miséricorde et le pardon. On veut désigner des coupables pour se croire innocent. Mais ceux qui ont été désignés ne se voient proposer aucun chemin de pardon, aucune miséricorde et aucune réconciliation.

Le regard de la foi chrétienne sur l’existence humaine n’est pas celui-là. Il consiste au contraire à se laisser saisir par la miséricorde de Dieu et à accepter que l’offrande que Jésus fait de sa vie soit source de justification pour tous.
Ce regard nous permet aussi d’assumer notre part dans la responsabilité commune des hommes à l’égard de ce qui leur arrive. Attribuer le malheur à une cause particulière, c’est exprimer que nous n’osons plus regarder en face notre part de responsabilité.
Tous, nous sommes pécheurs, pécheurs par naissance et par notre participation au péché d’origine, et aussi pécheurs individuellement par les choix de notre vie et les décisions que nous prenons.
Mais cette prise de conscience de notre état de pécheur ne doit pas nous désespérer ni nous plonger dans un sentiment d’écrasement. Au contraire, elle doit être le point de départ de l’engagement auquel nous sommes invités pour vivre une véritable conversion et retrouver, non pas l’innocence que nous n’avons jamais connue, mais la joie du pardon et de la grâce qui nous sont proposées.

En ce sanctuaire dédié à Notre-Dame des Victoires et à Marie refuge des pécheurs, nous comptons sur l’intercession de Notre-Dame, elle qui est sans péché, pour que nous puissions reconnaître notre péché et bénéficier du pardon de Dieu et de la grâce d’une vie renouvelée. Amen.

+André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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