Homélie du cardinal André Vingt-Trois – Vigile de Pentecôte - 285 confirmations d’adultes à Notre-Dame de Paris

Notre-Dame de Paris, le samedi 30 mai 2009

Ac 2, 1-11 ; 1 Co 12, 3b-7.12-13 ; Jn 20 19-23

Frères et sœurs,

Les Ecritures nous disent que pour les disciples de Jésus, cinquante jours se sont écoulés entre la résurrection et la Pentecôte. Pour chacun et chacune d’entre-vous qui allez être confirmés ce soir, la distance entre le jour où vous avez été plongés dans la mort et la résurrection du Christ par votre baptême et le moment où vous recevez la plénitude de l’Esprit Saint par votre confirmation, ne se compte ni en jours ni en dizaines de jours, mais en années voire même en dizaines d’années.
Ce temps était-il du temps perdu ou gaspillé ? Il ne nous appartient pas de le dire. Mais nous pouvons affirmer qu’au long de toutes ces années, vous avez connu ce que les disciples ont pu vivre entre la Résurrection et la Pentecôte. Comme eux, vous avez pu passer par une forme d’isolement ou de solitude, pour certains par l’inquiétude, par des épreuves physiques ou morales, pour d’autres encore par des errances, par les chemins que l’on prend à mesure qu’ils se présentent et dont on découvre qu’ils sont des impasses. Comme les disciples, vous avez aussi cherché, mais pas toujours jusqu’à trouver.

Et au long de ces années, une succession d’événements, de rencontres et de personnes, vous ont fait découvrir que Dieu était quelqu’un de présent et de vivant dans la réalité de votre vie. Dieu n’est pas présent et vivant parce que nous le croirions ou parce que nous nous en persuaderions en disant « il est là, il est là ». Mais, parce qu’il est présent et vivant, nous pouvons avoir foi en lui. Nous découvrons de manière empirique et imprévisible que dans le cœur de notre vie et le tissu de notre existence, dans ce qui nous occupe, ce qui nous inquiète, nous réjouit ou nous trouble, dans la souffrance comme dans la joie, quelqu’un nous accompagne et veille sur nous. Dieu n’est pas présent à nos existences d’une façon sensible et visible, mais d’une façon mystérieuse et invisible, et il se dévoile à nous lorsque nous acceptons d’ouvrir nos yeux à ce qui fait l’essentiel de la vie humaine.

Cette découverte peut se faire à travers la paix que Dieu donne. Quand Jésus dit à ses disciples qu’il leur donne la paix (Jn 19, 19), il ne s’agit évidemment pas d’une promesse de non belligérance, comme si le Seigneur leur promettait qu’il n’y aurait jamais plus la guerre. La paix qu’il donne est la paix du cœur. Le Christ ressuscité vient toucher nos cœurs là où ils sont blessés, là où nous doutons de nous-mêmes, là où parfois nous portons la culpabilité de ce que nous avons fait. Il est présent dans notre vie parce qu’il nous apporte la réconciliation et la miséricorde. Ainsi quels que soient nos faiblesses, nos lâchetés, nos refus, nos erreurs et notre péché, nous pouvons croire que nous sommes de ses enfants, de sa famille et que nous sommes appelés à devenir des membres agissant de son Église.

Dieu manifeste aussi sa présence à travers différents événements de notre vie. Pour un certain nombre d’entre vous, vous avez mieux découvert sa présence à l’occasion de la préparation et de la célébration de votre mariage, à travers votre amour conjugal ou dans l’éducation de vos enfants. Ces expériences permettent de saisir que nous ne sommes pas les propriétaires d’un certain nombre de valeurs que nous déciderions de transmettre ou de ne pas transmettre comme on se transmet l’argenterie de la famille. Dans le mariage ou la fondation d’une famille se déploie une relation qui unit des libertés. Et cette union des libertés ne peut se réaliser que dans une communauté où chacun apporte ce qu’il est, accepte ce que sont les autres, et est lui-même supporté par les autres. Dans cette communion, chacun devient l’élément vivant d’un corps beaucoup plus grand que lui. En préparant un mariage ou un baptême vous découvrez que derrière cet événement intime et personnel de votre vie, il y a un enjeu énorme qui vous dépasse de toute part et concerne toute l’humanité. L’alliance que vous avez conclu et que vous essayez de vivre est l’Alliance promise à tous les hommes. L’amour que vous portez à vos enfants et que vos enfants vous portent, est l’amour de cette Alliance, dans laquelle les générations successives trouvent la sécurité, la fidélité et la sérénité d’une vie où on ne peut plus jamais être seul. Chacun peut être isolé ou coupé de certaines relations et des gens qu’il aime. Mais celui dont l’amour envahit l’existence et qui est en communion avec la totalité de l’Église ne peut plus jamais être seul. Il fait partie d’un corps, il en est membre, comme nous le disait saint Paul (1 Co 12, 12).

Dieu se révèle aussi à notre cœur en nous donnant de rencontrer ceux avec lesquels nous vivons. A Paris d’une manière particulière, les gens restent assez étrangers les uns aux autres. Ils habitent des immeubles, ils prennent des moyens de locomotion, et travaillent dans des entreprises. Mais la plupart vivent leur travail, leurs transports, et leur vie de quartier comme un isolement, non pas seulement par discrétion, mais aussi parce que les uns et les autres ne parlent pas forcément la même langue. Bien-sûr chacun essaye de parler à peu prés le français, mais même en parlant la même langue, ils ne se comprennent pas. Les mots représentent des réalités qui ne sont pas tout à fait les mêmes. Et nous vivons côte-à-côte sans jamais pouvoir communiquer réellement autant que nous le voudrions.

L’Esprit répandu sur les Apôtres n’est pas une méthode ultra rapide pour apprendre les langues étrangères. Il nous donne une capacité de communiquer, de pouvoir annoncer ce que nous portons et de pouvoir entendre ce que les autres portent. Il fait sortir l’homme de son isolement, sortir la famille de sa solitude. Il fait entrer dans une relation fraternelle avec nos semblables.

On pourrait prendre encore beaucoup d’autres exemples : l’Esprit que vous recevez ce soir est un Esprit de réconciliation qui vous assure de la miséricorde de Dieu ; il emplit vos cœurs de l’amour de Dieu ; et c’est un Esprit de fraternité qui vous rend capable de devenir frères et sœurs les uns des autres.

C’est aussi un Esprit de mission qui vous constitue membre de l’Église, corps envoyé par Dieu pour être témoin de sa bonne nouvelle dans le monde. Chacun et chacun d’entre-nous n’est pas tout le corps, et aucun n’est responsable de toute la mission. Chacun de nous reçoit une seule part de cette mission, plus ou moins grande, lourde, ou riche. Notre capacité à jouer en communion la petite partition qui nous a échue va constituer cette harmonie entière du corps, si nous ne cherchons pas à posséder la totalité, mais si nous nous ouvrons à la totalité.

Frères et sœurs, ce jour est important pour vous, d’abord parce qu’il est l’aboutissement d’un chemin que vous avez parcouru depuis un certain nombre d’années, et parce qu’aujourd’hui vous prenez un engagement devant l’Église, devant les vôtres, et envers vous-mêmes. Mais il est important aussi parce qu’il voit la pleine réalisation de votre baptême (comme vous l’avez manifesté tout à l’heure en venant vous signer dans la vasque d’eau baptismale), parce qu’en ce jour le Seigneur vous reçoit dans la plénitude de votre vie chrétienne et vous donne votre place pleine et entière dans la sécurité de la famille de l’Église, pour la mission de l’Église, pour rendre témoignage de l’Evangile du Christ, Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, Archevêque de Paris

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