Homélie de Mgr André Vingt-Trois - Messe d’action de Grâce pour sainte Marie-Eugénie Milleret

Cathédrale Notre-Dame de Paris - Samedi 13 octobre 2007

Le 3 juin dernier, Marie Eugénie Milleret (1817-1898), fondatrice des religieuses de l’Assomption était canonisée par Benoît XVI. Afin de marquer cette étape majeure pour leur ordre, les religieuses de l’Assomption ont organisé les 12 et 13 octobre, un grand rassemblement à Paris. Voici l’homélie de la messe solennelle présidée par Mgr André Vingt-Trois le 13 octobre.

 Voir ici le compte-rendu de l’événement.

Frères et sœurs, chers amis,

Vous avez entendu tout à l’heure une question posée devant vous : quelle liberté, comment atteindre la véritable liberté qui ouvre les chemins du bonheur et de la joie ? Peut-être, si nous voulions retenir, déjà, un des enseignements de la vie de sainte Marie-Eugénie de Jésus, ce serait en regardant comment elle a appris à devenir libre et comment elle a exercé sa liberté. Liberté à l’égard de son environnement familial, social ; liberté à l’égard de sa culture originelle ; liberté à l’égard du milieu mondain dans lequel elle a évolué ; liberté à l’égard de ceux et de celles qui ont été ses conseillers et qui, à certains moments de sa vie, voulaient lui faire réaliser ce qu’elle ne reconnaissait pas comme la volonté de Dieu ; liberté à l’égard de ses amis ; liberté devant Dieu lui-même, pour lui exprimer ce qu’elle portait, ce qu’elle désirait, ce qu’elle cherchait ; mais par dessus tout, liberté à l’égard d’elle-même. Comment cette jeune fille du XIXe siècle que l’on imagine facilement, d’après les images d’Épinal de nos livres d’histoire, engluée dans un ensemble de convenances imposées, comment a-t-elle réussi peu à peu à découvrir, à exercer et à défendre sa liberté ?

Quelle a été la force puissante qui lui a permis de surmonter les difficultés successives ? Non pas pour atteindre son but, pour réaliser son ambition, mais simplement pour pouvoir mettre sa vie en offrande devant Dieu, pour le service de son Règne, pour l’extension de son Règne. Quelle liberté d’intelligence il lui a fallu non seulement pour écouter ici le Père Lacordaire mais pour comprendre de quoi il parlait et pour oser donner suite à ce qu’elle avait entendu ! Quelle hardiesse pour regrouper autour d’elle quelques jeunes filles et s’installer de manière tellement précaire dans une rue inconnue de Paris ! Quelle liberté pour commencer à accueillir des jeunes et à les éduquer !

Oui, Marie-Eugénie est une figure de femme libre, parce qu’elle ne se défend pas elle-même. Sa liberté n’est pas une conquête sur les autres, pour imposer ce qu’elle est, c’est une conquête sur elle-même pour accueillir ce que Dieu veut faire en elle. C’est pourquoi, malgré les difficultés rencontrées, les épreuves spirituelles, les hostilités parfois, les incompréhensions souvent, il nous semble cependant que le chemin de Marie-Eugénie est toujours un chemin d’allégresse. Car ce qu’elle poursuit, ce n’est pas son œuvre ; ce qu’elle veut réaliser, n’est pas ce qu’elle a décidé ; c’est ce qu’elle soumet, - perpétuellement -, à la volonté de Dieu, au jugement de l’Église et à son jugement propre. Il ne s’agit pour elle de s’accomplir mais il s’agit de devenir elle-même en accomplissant la volonté du Père. Cette femme libre connaît les difficultés, les souffrances, les obstacles ; elle les assume, elle les porte dans la foi, elle les offre pour l’extension du Règne ; elle les transforme en motifs d’action de grâce dans l’adoration eucharistique.

Oui, ceux que le Seigneur choisit, celles qu’il veut pour choisir pour en faire ses amies, il leur promet et il leur donne la joie. Il leur donne l’allégresse de celui qui marche avec sécurité parce qu’il sait qu’il est dans la main du Père. Il leur donne la sérénité de ceux qui vivent dans la confiance en celui qu’ils aiment. Il leur donne la force en exauçant leurs prières. Il leur donne la fécondité non pas en multipliant leurs succès selon le monde mais en produisant le fruit de l’Esprit, qui est la paix et la charité. Il les fait vivre en Église non pas comme dans une institution étrangère, mais comme dans leur famille. Il les fait vivre en communauté, non pas comme une association d’intérêt général, mais comme une fraternité. Il les fait vivre dans l’adoration, il les fait vivre dans l’Eucharistie, il les fait vivre dans la Parole reçue, accueillie et mise en pratique ; il les fait vivre dans la joie d’aider des jeunes, garçons et filles, à trouver le chemin de leur maturité humaine et chrétienne.

Oui, c’est un chemin de joie, de sérénité, de paix, de fécondité, d’allégresse auquel le Seigneur appelle celles qu’il invite à suivre Marie-Eugénie. Comme elle a su s’affranchir des conformismes de la société qui l’entourait, nous ne serons libres aujourd’hui que si nous apprenons à nous affranchir des conformismes qui nous entourent. Comme il lui a permis d’entreprendre, d’innover, de projeter vers l’avant une fondation, il nous appelle aujourd’hui à entreprendre, innover et projeter vers l’avant la famille qu’elle a fondée. Comme il l’a appelée hier à conduire ses sœurs vers une plus grande charité fraternelle au cœur de leurs communautés, il nous invite aujourd’hui à donner en ce monde le signe d’une famille vivant de la charité de Dieu, mettant en pratique le pardon. Comme il lui a donné de vivre par la foi en celui qui est le seul fondement de tout, il nous invite aujourd’hui à reconnaître que le Christ est le seul fondement de notre vie.

Vous qui êtes religieuses de l’Assomption, vous qui êtes enseignants, élèves dans les établissements de l’Assomption, vous qui êtes parents, anciennes de l’Assomption, aujourd’hui, Marie-Eugénie de Jésus nous est proposée comme un modèle de liberté, de charité, de paix et d’amour. Avec elle, nous sommes invités à travailler à l’extension du Règne en ce XXIe siècle. Avec elle, nous sommes invités à développer les capacités humaines des jeunes qui fréquentent vos établissements. Avec elle, nous sommes invités à rendre témoignage au Christ vivant dans son Eucharistie, à la Parole révélée de Dieu, à l’Église dont nous recevons la foi et dans laquelle nous la vivons.

Aujourd’hui, nous rendons grâce que Dieu ait mis cette lumière sur notre route, et nous le prions. Que le don de son amour porte son fruit dans chacune de nos existences, dans chacune de vos communautés, dans chacun de vos établissements. Que, vraiment, l’amour grandisse pour que nous atteignions la plénitude de la dimension humaine à laquelle le Christ nous appelle, pour que nous connaissions la plénitude de la joie de ceux que le Christ a choisis, pour que nous soyons en ce monde de vrais témoins de la joie de Dieu.

Amen.

+André Vingt-Trois,
Archevêque de Paris

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