Homélie du cardinal André Vingt-Trois – 3e dimanche de Pâques - année A

Saint-Germain des Près, dimanche 6 avril 2008

Le Cardinal Vingt-Trois commente l’évangile des pèlerins d’Emmaüs.
Il explicite également la démarche des Assises Missionnaires lancées lors de la Messe Chrismale 2008.
En savoir plus sur les Assises diocèsaines pour la Mission sur le blog

Evangile selon saint Luc au chapitre 24, versets 13-35

Homélie du Cardinal André Vingt-Trois

Les dimanches du temps pascal que nous célébrons jusqu’à la Pentecôte, sont comme une longue méditation sur la Résurrection du Christ, sur le sens qu’elle a pour nous et celui qu’elle peut avoir pour les hommes qui nous entourent. Dimanche après dimanche, en méditant sur les évangiles qui nous sont proposés nous sommes invités à entrer fortement dans l’expérience du Christ Ressuscité. Aujourd’hui, les lectures que nous venons d’entendre nous aident à poser deux questions et, je l’espère, à progresser dans la manière d’y répondre. Deux questions qui sont pour nous essentielles. La première : comment reconnaît-on le Christ Ressuscité ? Quand je dis : « Comment reconnaît-on ? » ; il faudrait dire : comment, nous, qui essayons d’être chrétiens, reconnaissons-nous le Christ Ressuscité ? Et la deuxième question : comment peut-on annoncer le Christ Ressuscité à tous nos frères ?

Comment reconnaissons-nous le Christ Ressuscité, nous qui essayons d’être chrétiens et qui cheminons sur cette route, non pas celle qui va de Jérusalem à Emmaüs mais celle qui va de notre naissance à notre mort. Tout au long de notre chemin, que nous cheminions seul ou à quelques-uns en Église, le Christ marche avec nous à nos côtés sans que nous le voyions toujours, sans que même nous sentions qu’il est là à chaque moment, et nous échangeons entre nous comme ces deux disciples échangent leurs désillusions par rapport au rêve qu’ils avaient fait d’un Messie qui rétablirait le Royaume d’Israël, comme ils partagent leur difficulté et leur tristesse, comme ils essayent de se consoler peut-être d’un rêve qui n’a pas abouti.

Chacun et chacune d’entre-nous, à un moment ou à plusieurs moments de sa vie, nourrit ce rêve de voir le Christ correspondre à ses désirs et accomplir ses attentes. Chacun et chacune d’entre-nous à certains moments de sa vie éprouve cette déception d’une foi qui ne correspond pas à ce qu’il voudrait ou à ce qu’il espérait, qui ne lui apporte pas la force et les moyens dont il a besoin pour vivre, qui reste comme un élément extérieur juxtaposé à sa vie. Il nous arrive, dans des moments de confiance avec des personnes que nous aimons ou que nous connaissons, de partager cette perplexité, ce doute, ou cette déception. Fasse le Seigneur que dans ces personnes il y ait celui qui est Ressuscité et que nous ne connaissons pas et qui chemine aussi avec nous tout au long de ce chemin.

Comment sort-on de cette déception, de cette désillusion, de cette désespérance ? L’Evangile nous en donne un chemin, un itinéraire. Cet itinéraire commence par la mémoire des événements. Les deux disciples avaient cette mémoire, ils l’avaient même très bien puisqu’ils ne cessaient de ressasser entre eux ce qui c’était passé pour essayer de comprendre ce qu’ils ne comprenaient pas ou pour essayer de justifier ce qui venait en leur cœur : comment celui en qui ils avaient mis leur espérance avait été crucifié, mettant fin au rêve de la restauration. Nous découvrons ainsi que la connaissance des événements, leur intelligence, ne suffit pas à ouvrir les yeux et le cœur. Non seulement il ne suffit pas de souligner les événements de notre vie en essayant de comprendre, mais même il ne suffit pas de souligner les événements de la vie de Jésus en lisant les évangiles : on peut très bien lire les évangiles d’un bout à l’autre et plusieurs fois, sans que jamais le sens des événements ne fraye son chemin jusqu’à nos cœurs et ne nous ouvre à la réalité.

C’est ce que font ces deux disciples en racontant à Jésus qui chemine avec eux et qui est censé les ignorer, les événements qui se sont passés à Jérusalem, à la vue de tous. Ce que tous ont pu voir n’a pu les conduire tous à la foi.

Celui qui chemine avec eux va leur ouvrir le chemin qui passe de la connaissance des événements à la reconnaissance de la présence et de l’action de Dieu. Ce chemin passe par la mémoire de ce qui avait été dit de lui dans la première alliance : « En commençant par Moïse et les prophètes, il leur rappelle tout ce qui avait été annoncé », comme Pierre le jour de la Pentecôte, inspiré par l’Esprit, s’adresse à la foule en faisant mémoire des prophéties de David. Les événements survenus à Jérusalem en la personne de Jésus de Nazareth, ne prennent leur véritable dimension que si nous pouvons les comprendre comme l’accomplissement de la promesse de Dieu telle qu’elle a été faite en Israël. C’est ce que les évangiles nous rappellent, en particulier le récit de la passion de saint Matthieu que nous avons médité cette année et qui insiste tant sur l’accomplissement des Écritures. Il serait vain de croire qu’il suffit de lire l’Évangile pour comprendre , on ne peut comprendre l’Évangile qu’en le recevant comme l’achèvement et l’accomplissement de la promesse faite par Dieu à son peuple, en le lisant et en l’éclairant par l’histoire de la première alliance.

Premier chemin de compréhension, découvrir comment les événements survenus à Jésus de Nazareth expriment et réalisent le projet de salut mis en oeuvre par Dieu depuis la création du monde. Nous le voyons dans le récit des disciples d’Emmaüs, il existe un deuxième chemin pour comprendre et reconnaître le Christ Ressuscité : le chemin de l’accomplissement sacramentel. Cet accomplissement sacramentel, nous en avons une annonce dans l’Esprit de la Pentecôte qui ouvre complètement l’intelligence des apôtres et leur permet de devenir témoins de la Résurrection ; nous en avons un autre exemple dans la fraction du pain réalisée par Jésus le soir à l’auberge, fraction du pain qui rappelle le dernier repas et qui suffit alors pour que leurs yeux s’ouvrent et qu’ils le reconnaissent.

Baptisés et confirmés dans l’Esprit Saint, communiant à l’eucharistie du Christ, nous recevons de Dieu lui-même la lumière intérieure qui ouvre notre liberté pour que ces événements, relus à la lumière de la promesse de la première alliance, prennent leur sens plénier. Comment pourrions-nous reconnaître le Christ ressuscité, vivant aujourd’hui pour nous et pour le monde, si nous ne participons pas à la vie sacramentelle de l’Église où la Bonne Nouvelle est annoncée sous l’impulsion de l’Esprit Saint, où le signe du vin partagé et célébré, où la communion au Christ nous est offerte ?
Ainsi, nous, chrétiens en chemin, parfois hésitants, parfois troublés, parfois découragés, nous connaissons les lieux et les moments où nous pouvons renouer le contact avec le Christ Ressuscité, où nous pouvons retrouver la plénitude de sa présence, où notre foi peut retrouver sa pleine dimension et notre espérance s’exprimer.

La deuxième question à laquelle nous sommes confrontée en particulier par le discours de Pierre à la Pentecôte est : comment pouvons-nous annoncer la Résurrection du Christ ? Car il ne nous suffit pas d’affermir notre foi et notre conviction en sa présence ; il s’agit pour nous d’obéir au commandement qu’il nous a donné d’être ses témoins jusqu’à la fin des temps.
Témoins du Christ Ressuscité, qui sont toujours, quelles que soient les péripéties de l’histoire, une minorité au milieu d’une humanité qui ne le connaît pas ou qui l’a connu et s’en est détournée, ou qui le refuse et le rejette.

A nous est confié la mission d’annoncer la Résurrection du Christ. Mais comment cette mission peut elle s’accomplir si nous ne tenons pas compte des chemins par lesquels nous sommes nous-mêmes conduits à la reconnaissance ? Comment annoncer le Christ ? Est-ce simplement en racontant les événements, en décrivant les signes, les miracles, Pierre, Paul, l’enseignement de Jésus qui nous est rapporté par les évangiles, les événements de sa mort et de sa Résurrection… ? Certes, ces événements pris dans leur réalisation ordinaire, concrète, peuvent susciter chez certains et chez certaines de nos contemporains l’étonnement, peut-être la curiosité, peut-être même l’intérêt et peut-être même vont-ils, comme les auditeurs de Pierre à la Pentecôte, avoir le cœur transpercé et se demander : que nous faut-il donc faire ?

Mais nous voyons dans le discours que Pierre lui-même s’adressait à des juifs ou à des craignants-Dieu venus à Jérusalem pour les fêtes ; nous pouvons reconnaître ainsi que ce discours n’est pas le simple récit des événements : c’est un récit interprété et commenté, éclairé par la puissance de l’Esprit qui habite les disciples, commenté par la référence à l’Ecriture ; surtout, c’est un récit qui accepte de n’être pas accueilli et reconnu immédiatement pour lui-même. Annoncer le Christ Ressuscité à nos frères, cela suppose que nous soyons d’abord à l’écoute de leurs attentes : que cherchent-ils ? Que cherchaient-ils, ceux-là qui étaient venus à Jérusalem pour les fêtes de la Pentecôte ? Que cherchaient-ils, ceux qui étaient venus en pèlerinage ? Comment l’annonce du Christ pouvait-elle rejoindre leurs attentes et leurs espérances ? Comment pouvons-nous comprendre, accueillir les attentes et les espérances des hommes de notre temps, entrer au dialogue avec elles, peut-être nous trouver avec eux en désaccord, en confrontation, mais en tout cas en vérité ?
Autour de nous, des hommes et des femmes attendent, cherchent, espèrent, et doutent. Comment peuvent-ils imaginer que la foi qui nous anime peut être une réponse à leurs attentes, à leurs espérances ou à leurs doutes si nous ne les entendons pas ; si nous ne les rencontrons pas ; si nous ne les écoutons pas sur ce qui touche le plus intime de leur vie ? Il ne suffit pas que nous soyons juxtaposés dans une société tolérante ; il ne suffit pas que nous habitions les mêmes immeubles, que nous fréquentions les mêmes commerces, que nous participions aux mêmes loisirs ou que nous partagions le même travail. Il ne suffit pas que nous soyons concitoyens pour être devenus compagnons de recherche. Pour passer de la juxtaposition, peut-être respectueuse mais dans laquelle les uns des autres s’ignorent, à l’intérêt mutuel et à un échange de parole authentique, il faut qu’il y en ait un qui fasse le premier pas, et c’est à nous de faire ce premier pas. Non pas parce que nous serions meilleurs que les autres, mais parce que nous savons que ce premier pas est l’accomplissement de la mission que le Christ nous confie.

En lançant pour l’année qui vient les Assises diocésaines pour la mission, j’ai voulu que les chrétiens catholiques de notre diocèse prennent mieux conscience de cette mission qui est sans cesse ouverte devant eux, de cet appel sans cesse renouvelé à rencontrer les hommes et les femmes de notre temps pour qu’ils deviennent, avec nous, des compagnons qui cheminent sur le chemin de la vie, même si dans un premier temps leur foi, leurs convictions, leurs certitudes ne peuvent pas être reconnues ni acceptées.

Soyons des compagnons qui cheminent avec nos contemporains pour entendre leurs espérances d’un monde différent, d’un royaume différent de celui que nous connaissons et pour les aider à découvrir peu à peu que ce monde nouveau ne sera pas fabriqué par l’imposition d’un nouveau maître politique, mais qu’il sera le fruit du renouvellement des cœurs, de la conversion de vie, de l’ouverture de chacun aux soucis de tous.

Comment pouvons-nous, chacun selon nos moyens et les circonstances où nous vivons, devenir ces compagnons d’humanité, habités par le Christ mystérieusement présent sur le chemin des hommes, pour écouter leurs espoirs, les aider à les déchiffrer, leur donner les signes qu’une nouvelle vie est ouverte ?
Frères et sœurs, habités par la joie de la Résurrection, nous sommes invités à partager cette joie à l’humanité : ne manquons pas le rendez-vous du chemin d’Emmaüs. Amen.

+André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris

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