Homélie du cardinal André Vingt-Trois – 6e dimanche de Pâques (Année A)

Rome – Dimanche 27 avril 2008

Messe de prise de possession du titre cardinalice de Saint-Louis-des-Français par le cardinal Vingt-Trois.

 Actes 8, 5-17 ; 1 P 3, 15-18 ; Jn 14, 15-21

Les semaines du temps pascal que nous vivons forment un chemin qui développe en nous la capacité de vivre non plus dans la présence physique du Christ, mais dans sa présence par la personne de l’Esprit Saint. Cette pédagogie se développe d’abord en nous faisant méditer les rencontres du Christ et de ses disciples, du Christ Seigneur ressuscité qui affermit en ses disciples la certitude qu’il a bien vaincu la mort et du Christ Seigneur exalté qui les a préparés à son absence dès avant sa Passion, nous venons de l’entendre dans l’évangile selon saint Jean. Ces deux aspects de la présence du Christ à ses disciples se réunissent en un même objectif : assurer, approfondir et développer la communion du Christ avec les siens. Cette communion s’approfondit et se développe par la manière dont ils gardent sa Parole : ceux qui l’aiment sont ceux qui gardent ses commandements et qui les mettent en pratique, et ceux-là deviennent ceux que Dieu lui-même aime, ceux auprès desquels il vient demeurer.

Le Père et le Fils viennent établir leur demeure dans le cœur de ceux qui croient en sa Parole et qui la mettent en pratique.
Ce chemin auquel Jésus invite ses disciples, il nous y invite tout autant, nous qui avons été baptisés dans le Christ et qui avons reçu la plénitude de l’Esprit par la confirmation. A notre tour nous sommes invités à accueillir la Parole de Dieu au plus profond de nos cœurs, à en faire la lumière de notre vie, à la mettre en pratique dans nos comportement et à devenir ainsi des signes vivants de la présence de Dieu en ce monde.

Ces paroles peuvent vous paraître exagérées. D’une certaine façon, nous avons tendance à sous-estimer et l’ampleur de la mission et la force considérable des moyens qui nous sont donnés pour l’accomplir, et pourtant c’est de rien moins que cela dont il s’agit. Quand nous sommes rassemblés autour du cierge pascal, symbole du Christ Ressuscité vivant en son Église, quand nous sommes rassemblés dans la célébration de l’Eucharistie, présence et communion avec le Christ Ressuscité, nous ne faisons rien d’autre que d’accueillir ce que Dieu nous donne et de devenir porteurs de la richesse de Dieu pour le monde.
Que cette mission et les forces qui lui sont nécessaires, soulèvent l’enthousiasme de ceux qui les découvrent peut nous paraître parfois un peu étrange, à nous qui sommes de vieux chrétiens, qui avons sans doute profités du mieux que nous avons pu de ce que nous avons reçu mais qui avons parfois laissé s’émousser en nous le choc de la nouveauté chrétienne et la connaissance de la richesse qui nous était confiée. Combien de nos frères dans la foi vivent leur relation au Christ comme une relation purement formelle, symbolique, mais non pas comme l’axe autour duquel se construit leur existence, non pas comme le repère et la force qui doit leur permettre de mener une vie nouvelle !

Cet écart entre l’assoupissement de l’habitude et l’enthousiasme de la nouveauté, nous permet sans doute de comprendre pourquoi nous pensons si rarement à la foi chrétienne comme à une expérience de la joie. Les Actes des Apôtres nous rapportent que, devant les signes qui étaient donnés, « la ville était en pleine joie ». Nous avons quelques difficultés à nous représenter que notre foi chrétienne constitue une source inépuisable de joie et qu’elle doit s’exprimer à travers la joie que nous éprouvons.

Que l’annonce de l’Evangile soit une source de joie pour ceux qui l’entendent et qui le découvrent cela nous le concevons peut-être, mais que l’Évangile soit une source de joie pour ceux qui le portent et qui l’annoncent, nous le concevons plus difficilement, sans doute plus sensibles que nous sommes aux difficultés de la mission qu’à la beauté des signes. Et pourtant, comment mieux qu’ici à Rome et dans cette église, pourrions-nous mesurer à quel point cette force de la foi a produit, non seulement une culture littéraire, mais une production esthétique qui est toute entière tournée vers l’exultation et la joie de l’Évangile. Oui, l’Évangile est pour nous une source inépuisable de joie à travers les péripéties de notre existence, à travers les difficultés que nous rencontrons, à travers les obstacles, à travers les adversités, à travers parfois l’hostilité et la persécution, si elle devient nécessaire quand on est fidèle à l’Évangile et que l’Évangile n’est pas reçu, qu’il est rejeté, qu’il est combattu.

Nous sommes souvent perplexes, interrogatifs devant l’avenir de la foi et l’avenir de l’Église. Notre perplexité, nos interrogations sont encore alimentées et augmentées par la perplexité et l’interrogation de ceux qui estiment qu’ils ont à nous aider à penser qui nous sommes et qui nous présentent toujours plus de points d’interrogation que de points d’exclamation. Le Christ n’a pas promis à ses disciples que le chemin serait balisé, que les étapes seraient clairement indiquées, que les moyens seraient évidemment imposés ; il leur a promis qu’il serait avec eux, toujours, chaque jour, à chaque instant de leur vie. Il ne leur a pas promis que la vie chrétienne serait facile, il leur a promis au contraire de connaître le même chemin que lui. Il ne leur a pas promis que leurs efforts seraient couronnés de succès visibles mais il leur a promis que jamais il ne les abandonnerait.
La force de la foi quand elle est vécue profondément dans l’obéissance à la Parole de Dieu, ce n’est pas d’aplanir les difficultés de l’existence, de les estomper, de les négliger ou de les enfouir, c’est de les affronter, de les assumer et de les surmonter. Non pas dans l’excitation ou la puissance artificielle des projets que l’on nourrit et que l’on attribue si facilement à Dieu, mais dans la fidélité quotidienne à la parole reçue, dans la méditation habituelle de la présence du Christ, dans le recours quotidien à l’Esprit-Saint qui habite nos cœurs.
Nous traversons l’histoire des hommes, ses erreurs, ses souffrances, ses espérances, ses réalisations sans être jamais ni éblouis ni écrasés, parce que celui qui est notre lumière n’est pas au-dehors de nous, il ne s’impose pas à nous de l’extérieur, il est vivant en nos cœurs et il est présent au secret de nos âmes. Si nous connaissons la sérénité et la paix, ce n’est pas par l’exercice de quelque sagesse extraordinaire, c’est par la certitude que tout homme qui croit au Christ Ressuscité et qui vit de sa Parole est habité par l’Esprit de Dieu, c’est par la certitude que la fidélité de Dieu manifestée à travers les siècles jusqu’au don suprême de son Fils bien-aimé continue de s’exercer à l’égard des hommes, c’est par la conviction que quiconque est attentif à cette présence de Dieu est déjà béni de Dieu en toutes ses démarches et accompagné jusqu’au bout de sa vie.

Frères et sœurs, soyons dans la joie de la révélation que nous avons reçue ; soyons heureux de connaître le Christ même si nous le connaissons mal ou de manière insuffisante ; soyons joyeux d’être habités par l’Esprit-Saint ; soyons heureux d’être réquisitionnés, pour notre part, tels que nous sommes, pour devenir témoins de cette Bonne Nouvelle au milieu des hommes ; soyons heureux d’être les membres de cette Église qui reçoit la mission de témoigner à travers les siècles de l’amour et de la présence de Dieu à l’humanité ; soyons heureux que, aujourd’hui encore, le Christ soit vivant pour nous et à travers nous, vivant pour le monde. Amen.

+André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris

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