Il y a longtemps que je t’aime

Philippe Claudel

Pour son premier film, Philippe Claudel aborde le tabou absolu : l’assassinat d’un fils par sa mère. Le propos est ambitieux : dire l’innommable, voir si et comment la vie peut assumer la mort. Une critique du père Denis Dupont-Fauville.

Récit d’une renaissance.

Loin de chercher une excuse au crime, Il y a longtemps que je t’aime montre comment l’humanité est plus forte que les fêlures qui l’affectent. Une femme, marquée à jamais par ses actes et par le manque qui en découle, cherche à se reconstruire parmi les autres, tout aussi incomplets même si moins criminels. Où se situe, comment se vit l’humain ?

Claudel dispose de deux atouts. D’une part, de merveilleux acteurs, au premier rang desquels une Kristin Scott Thomas stupéfiante de volonté ravagée, d’enfermement assumé et de tendresse blessée. D’autre part, un style qui rappelle celui de ses romans. Dans cette succession de plans serrés, de couleurs mattes, d’images qui se dégustent lentement, lestant chaque instant de son poids de silence, chacun se dit et se blottit, tente de vivre et de parler, fait face au quotidien sans cesse imprévisible. Notre monde à la fois inquiet bardé de certitudes défile, avec son altruisme inquisiteur et ses principes moraux à courte vue.

Fait pourtant défaut un véritable univers visuel, où les mouvements de caméra et la composition des images construisent eux-mêmes le discours. Surtout, la trame trop linéaire du récit fait parfois paraître le temps long, jusqu’à une conclusion qui, sans être vraiment surprenante, manque de pudeur et de crédibilité.

Á l’inverse, la scène la plus émouvante du film nous paraît être le moment où les deux héroïnes retrouvent à l’hôpital leur mère atteinte d’Alzheimer. Tandis que la cadette s’absente, l’aînée, qui a tué son enfant pour éviter à celui-ci de souffrir, voit la vielle dame, désormais imperméable à la souffrance, lui tomber soudain dans les bras en la reconnaissant comme sa petite fille. En deçà de la résurrection impossible du fils, le cœur de sa mère vient, malgré tout, battre encore contre le sien.

Avec une forme plus aboutie, cette œuvre poignante serait un grand film ; le cinéaste n’égale pas encore l’écrivain. Pour dire le fond, c’est une phrase qui ressort : « La mort n’a pas d’excuses. » Sentence que tout homme doit affronter, mais dont seul le chrétien, peut-être, pressent la profondeur : car lui seul sait à quel point et à quel prix la mort a été vaincue pour que la vie, toujours, redevienne possible.

P. Denis DUPONT-FAUVILLE

Cinéma