Homélie de Mgr André Vingt-Trois – 2e dimanche du temps ordinaire - Année C

Saint-François-Xavier - dimanche 14 janvier 2007

Au cours de cette messe, Mgr Vingt-Trois a consacré le nouvel Autel de l’église.

Evangile selon saint Jean au chap. 2, versets 1-12

Frères et soeurs avec la lecture de cet évangile des Noces de Cana se clôt comme chaque année le cycle des célébrations liturgiques liées à la manifestation de Dieu dans l’histoire humaine. Manifestation inaugurée par la Nativité du Christ dans la nuit de Bethléem, manifestation prolongée et ouverte à l’alliance universelle par la vénération des Mages à l’Epiphanie, manifestation inaugurale du ministère public de Jésus par son baptême avec Jean-Baptiste. Voici, enfin, ce premier signe donné par le Christ sur lequel va s’appuyer la foi des apôtres : il inaugure l’annonce de l’avènement des noces éternelles.

Cet ultime rappel que la liturgie nous propose avec l’évangile selon saint Jean ouvre, devant nous, l’espace du développement liturgique du ministère de Jésus qui va se dérouler tout au long de notre année, jusqu’à l’Avent de l’année prochaine. Au long de ce déroulement, nous aurons l’occasion de voir comment ce premier signe de Cana en Galilée est vraiment une annonce et un avant-goût de ce qui va se dérouler tout au long des années de ministère de Jésus entouré de ses apôtres dans la présence de Marie.

Mais aujourd’hui, cette inauguration ou cette conclusion, - selon que l’on considère le cycle des manifestations liées à la Nativité, ou l’inauguration du ministère public de Jésus -, aujourd’hui, cette lecture prend pour nous un relief tout à fait particulier en raison de la consécration de l’autel à laquelle nous allons procéder maintenant. Car le récit de saint Jean place ce premier signe dans un cadre qui n’est pas anecdotique. Dans d’autres circonstances Jésus multipliera les pains pour nourrir la foule, mais ce premier signe qui est comme la préface de son ministère, inclut évidemment un message par les circonstances mêmes dans lesquelles il est donné. Ces circonstances, ce sont des noces à Cana de Galilée. Ces noces sont vécues et décrites comme des noces habituelles, c’est-à -dire un rassemblement de la parenté, des amis, une fête joyeuse, un festin, une alliance.

Chacun de ces éléments, le rassemblement, la fête, le festin, l’alliance, nous renvoie à la prophétie que nous avons entendue tout à l’heure et, plus largement, à l’accomplissement de la promesse de Dieu de conclure une alliance éternelle avec l’humanité. C’est cette alliance éternelle qui est signifiée par l’achèvement de l’histoire avec la mission du Christ, achèvement qui rassemblera tous les hommes en un seul peuple, - j’allais dire en une seule tablée -, en un seul festin, et ce festin sera le festin des Noces de l’Agneau célébrées dans la liturgie céleste.

Mais entre les Noces de Cana et la liturgie céleste des Noces de l’Agneau vont s’écouler un certain nombre de siècles, dont le XXIème qui est le nôtre. Des figures se sont constituées, des micro-réalisations, des annonces de ce rassemblement universel des peuples à travers les communautés humaines et singulièrement les communautés chrétiennes qui deviennent d’une certaine façon à la fois le mémorial des Noces de Cana et la prophétie des Noces éternelles. Chaque dimanche, rassemblée dans la maison du Seigneur autour de son autel, chacune de nos communautés donne à ses membres d’abord, les uns pour les autres, et au monde qui nous entoure, le double signe de la présence active du Seigneur à l’humanité et de l’espérance vivante de l’humanité de sa réunion finale dans l’amour de Dieu.

Cette présence active du Christ à l’humanité, nous en sommes à la fois les bénéficiaires, les témoins et ceux qui ont à l’annoncer. Ce rassemblement, comme les Noces de Cana, est une fête. Peut-être parmi vous, les plus anciens, - il est difficile de fixer un âge pour les plus anciens car plus on avance dans la vie plus les anciens deviennent lointains -, mais enfin ceux qui ont été catéchisés il y a longtemps ont-ils gardé l’idée que la messe du dimanche est d’abord une obligation, une obligation privée : chacun de nous est tenu d’assister à la messe du dimanche. A cette obligation nous avons satisfait, du moins autant que nous avons pu, avec les faiblesses et les manquements habituels. Nous y avons satisfait sans toujours pénétrer que ce rassemblement dans l’eucharistie du Christ était d’abord une fête.

Certes, on peut être tenu de participer à une fête : on peut être obligé d’aller à un mariage sans pour autant être très heureux de le faire, mais une fois que l’on y est, va-t-on rester en marge, à l’écart de la joie et de la fête de tous, faire tapisserie quelques instants, ou même laisser seulement sa carte dans le corridor avant de s’échapper pour d’autres activités plus intéressantes ? Ou bien va-t-on se laisser prendre à la joie de la fête, se laisser emporter au-delà de nos sentiments personnels pour puiser notre joie à la joie commune qui dépasse de toute façon la joie de chacun ? Nos assemblées du dimanche sont-elles la fête qui illumine le jour du Seigneur ? ou sont-elles la corvée qui brise le repos du week-end ? Pour beaucoup d’entre nous, la réponse à cette question peut être variable, elle n’est pas perpétuelle et elle demande à être reconstruite semaine après semaine.

Si nos églises, je veux dire nos communautés, se donnent tant de mal pour réaliser un cadre qui soit de qualité, qui soit esthétiquement beau, qui soit spirituellement parlant, qui soit psychologiquement porteur, ce n’est pas simplement pour voir quelques individus aux quatre coins de l’église attendre plus ou moins péniblement de pouvoir enfin se précipiter dehors avant de rencontrer quiconque. Si nous mettons tant de soins à la qualité liturgique de nos célébrations, si nous investissons tant d’efforts de toutes sortes : effort musical, effort choral, effort scripturaire, effort spirituel, pour que l’assemblée dominicale soit vraiment un temps fort et un temps joyeux, c’est parce que nous savons que cette assemblée puise ses racines dans la fête des noces et doit annoncer aujourd’hui l’espérance des noces vers lesquelles Dieu nous attire. C’est la joie de l’Eglise qui doit être manifestée, reçue par chacun d’entre nous, transmise par notre communication les uns avec les autres, attestée par notre manière de vivre le reste de la semaine dans nos familles, dans notre travail, dans nos loisirs, dans toutes nos relations sociales.

Consacrer ce nouvel autel, c’est espérer que cette vigueur, cette force, cette densité de l’assemblée dominicale sera encore décuplée pour cette paroisse, cette communauté et pour chacun de ses membres. La joie des noces, c’est la joie de nous retrouver, non pas simplement dans la fête humaine du mariage, mais dans la rencontre inespérée de Dieu avec son épouse, c’est-à -dire avec son peuple, dans la rencontre où il va déverser le meilleur vin pour sceller l’alliance nouvelle et définitive. Ce vin, nous le savons, nous l’avons appris et nous en vivons, c’est le sang du Christ répandu sur la croix pour la vie du monde.

La fête du dimanche, la fête du jour du Seigneur, c’est la fête de la vie que Dieu nous rend, c’est la fête de la dignité à laquelle il nous appelle, c’est la fête de l’espérance qui nous anime, c’est la fête et la joie de tous ceux qui se reconnaissent comme membres d’une même famille. Cette célébration, cette joie, cette espérance, elle se vit dans toutes nos églises de Paris. Je dois souligner, s’il était quelques paroissiens qui l’ignoraient encore, que la réalisation de cet espace liturgique s’est accompagnée dans les années passées par une aide substantielle de votre part pour permettre à des paroisses moins richement dotées d’aménager elles aussi leur espace liturgique : que la pauvreté ne soit signe de tristesse mais puisse être aussi un lieu de beauté et de joie.

Frères et soeurs, rendons grâce à Dieu, non seulement de nous avoir rassemblés aujourd’hui, mais de nous constituer comme son Eglise. Rendons grâce à Dieu de nous accueillir au festin du Royaume. Je le dirai tout à l’heure au moment de la communion eucharistique : "Heureux les invités au festin du Royaume ". Nous sommes les invités au festin du Royaume. Le festin du Royaume, c’est le festin des noces que Dieu conclut avec l’humanité, c’est le festin des noces où il se lie à son Eglise, c’est le festin des noces où il nous invite et nous accueille pour nous enivrer de la plénitude du meilleur vin, celui qui coulera du coeur transpercé du Christ pour répandre la vie sur le monde. Frères et soeurs, soyons dans la joie et l’action de grâce pour tant de merveilles auxquelles nous participons. Soyons dans l’espérance de les partager avec ceux qui ne les connaissent pas. Soyons résolus à devenir non seulement des convives heureux de la fête, mais surtout à être de ceux qui vont aller par les places inviter les uns et les autres à s’asseoir au festin du Royaume. Amen.

+ André Vingt-Trois
Archevêque de Paris

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