Homélie de Mgr André Vingt-Trois – Épiphanie 2007

Cathédrale Notre-Dame de Paris - dimanche 7 janvier 2007

"Nous sommes invités à ne pas considérer tout le travail de l’intelligence humaine comme une espèce de labeur sans grande signification pour organiser le monde le moins mal possible, mais à y reconnaître aussi une démarche vers la connaissance de la vérité plénière qui est le Christ. "

Evangile selon saint Matthieu au chap. 2, versets 1-12

Frères et soeurs, l’Epiphanie que nous fêtons aujourd’hui fait partie du cycle des manifestations du Christ en ses premiers temps. Ces manifestations ont commencé par la Nativité, elles se poursuivent par l’Epiphanie que nous fêtons aujourd’hui, elles se continuent par le baptême du Christ où le Seigneur va être manifesté comme le Messie, le Fils bien-aimé du Père. Ce cycle se conclura dimanche prochain par la lecture des Noces de Cana qui sont, dans l’évangile selon saint Jean, le premier signe par lequel le Christ manifeste que le temps du Royaume est arrivé. Dans ce cycle de manifestations, l’Epiphanie joue un rôle très particulier. Dans la nuit de la Nativité, les bergers ont été conduits par la voix de l’Ange vers le nouveau-né emmailloté dans une mangeoire, et nous savons que, dans le langage biblique, la voix de l’Ange, c’est la voix de Dieu. C’est Dieu lui-même qui appelle des membres de son peuple et qui les conduit à venir reconnaître le Messie dans l’enfant nouveau-né.

Avec les Mages, nous sommes dans une autre construction. Ce n’est pas la voix de Dieu qui les a appelés à venir, c’est une étoile. L’étoile n’appartient pas particulièrement aux signaux expressément reconnus comme venant de Dieu, elle relève plutôt de l’astrologie. Beaucoup de peuples d’Orient étaient friands de l’observation des astres. Qu’est-ce que l’Evangile veut nous faire comprendre en nous montrant ces trois hommes venus de pays lointains en suivant une étoile ? Il veut nous faire comprendre, -sans exclure que leur intelligence ait été soutenue et aidée par la lumière de Dieu -, elle veut nous faire comprendre que c’est par leur recherche, leur réflexion, leur désir de progresser dans la connaissance de la vérité, qu’ils ont fait ce long chemin et qu’ils viennent à la rencontre de celui dont on leur a dit qu’il serait le Messie, le Roi des Juifs qui vient de naître. D’une certaine façon, on peut considérer que le point de départ de ces hommes n’est pas la révélation biblique : ils ne s’inscrivent pas dans la tradition des prédications prophétiques, ils ne s’inscrivent pas dans l’annonce prophétique du Messie ; ils s’inscrivent dans un autre mouvement qui est la recherche de l’intelligence humaine vers plus de vérité et d’authenticité pour l’existence des hommes. Ils savent cependant que ce Roi des Juifs dont ils ont découvert qu’il venait de naître, serait quelqu’un d’exceptionnel.

La tradition chrétienne a interprété cette réflexion, cette recherche de la vérité, comme un signe théologique proposé à notre réflexion. Que signifie ce signe des mages suivant l’étoile ? Il signifie que l’homme de bonne volonté qui suit avec rigueur les critères de l’intelligence humaine peut parvenir à trouver le chemin vers Dieu ; que l’homme fidèle à sa conscience et guidé par son intelligence peut être conduit vers Dieu, non pas parce qu’il se passerait quelque chose de miraculeux mais tout simplement parce que, - nous le savons par la foi que nous avons dans l’Ecriture -, Dieu a créé l’homme à son image, et cette image de Dieu qui repose dans l’homme rend l’homme non pas seulement capable de rencontrer Dieu mais vraiment désireux de rencontrer Dieu.

Ainsi, nous sommes invités à ne pas considérer tout le travail de l’intelligence humaine comme une espèce de labeur sans grande signification pour organiser le monde le moins mal possible, mais à y reconnaître aussi une démarche vers la connaissance de la vérité plénière qui est le Christ. C’est ainsi que les Pères anciens ont interprété tout l’effort de la philosophie grecque en reconnaissant qu’il y avait dans cette recherche de la vérité une démarche qui conduisait vers la sagesse, et que cette sagesse ne pouvait être quelqu’un d’autre que Dieu lui-même. Ainsi encore, ces mages symbolisent l’ouverture universelle de la manifestation de Dieu en ce monde. Cela n’est pas une nouveauté car, depuis la création et, ultérieurement avec l’Alliance conclue avec Noé, il y a dans toute la tradition de la Bible une dimension universelle de la mission confiée au Peuple d’Israël. Israël est un peuple élu pour faire partie de l’Alliance, cette élection et cette alliance sont orientées déjà à manifester la puissance de Dieu devant les nations païennes. Ce qui s’accomplit dans la Nativité du Christ et sa manifestation, ce qui sera rendu manifeste par le don de l’Esprit Saint au moment de la Pentecôte, saint Paul nous le dit dans l’Epître aux Ephésiens : c’est l’accomplissement universel de la vocation première de l’Alliance conclue avec Israël. Cette alliance est une alliance faite pour s’ouvrir à l’humanité et non pas pour se fermer, c’est une alliance destinée à accueillir l’ensemble des hommes. Ce que l’Esprit manifeste aux apôtres en leur donnant la plénitude de l’Esprit, c’est précisément que, dans le Christ, les païens sont associés au même héritage, au même corps et à la même promesse.

Ainsi, nous sommes invités à comprendre que la joie que l’évangile selon saint Matthieu signale : "Quand l’étoile s’arrêta au-dessus du lieu où se trouvait l’enfant, les mages éprouvèrent une grande joie ", cette joie n’est pas simplement le soulagement de voir leur voyage arriver à son but ; c’est aussi la joie de l’humanité qui se reconnaît dans son Seigneur ; c’est la joie de l’homme qui entend la Parole du Christ ; c’est la joie de la conscience qui s’ouvre à la plénitude de l’amour de Dieu, c’est la joie de celui qui croit que Jésus est le Sauveur. Si nous sommes aujourd’hui disciples du Christ, c’est précisément parce que le Mystère qui avait été caché aux générations antérieures a été dévoilé dans le Christ, comme nous le dit saint Paul ; c’est parce que les Nations païennes ont été associées à la Promesse et à l’Alliance ; c’est parce que nous avons été gratuitement introduits dans ce Mystère d’Alliance que nous pouvons à notre tour nous reconnaître dans Jésus, le Messie de Bethléem. C’est dire que tout acte de foi dans le Christ, toute reconnaissance du signe messianique donné dans l’enfant couché dans une mangeoire, s’accompagne inévitablement d’une exultation car nous découvrons et nous comprenons que l’amour infini de Dieu est ouvert à tous les hommes.

Pour nous qui vivons en ce vingt-et-unième siècle dans une ville et un lieu où convergent tant d’hommes et de femmes de cultures et de religions différentes, c’est notre joie qui doit devenir pour eux un signe, c’est notre exultation d’être disciples du Christ, membres de la famille de Dieu, qui doit devenir un signe pour celles et ceux qui viennent d’autres continents, d’autres religions, d’autres cultures, et qui regardent étonnés ce que nous avons reçu Pourront-ils en nous regardant vivre, en nous écoutant prier, en nous rencontrant jour après jour, dans notre travail, dans nos familles, dans nos relations, dans toute notre existence, pourront-ils reconnaître que quelque chose a été ouvert devant eux ? Qu’une porte s’ouvre pour que la foi rejoigne tous les hommes de la terre ?

Prions le Seigneur, qu’Il fasse de notre vie un signe de joie et un appel. Amen.

+ André Vingt-Trois
Archevêque de Paris

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