Homélie du cardinal André Vingt-Trois – Consécrations episcopales de Mgr Renauld de Dinechin et de Mgr Eric de Moulins Beaufort

Vendredi 5 septembre 2008 - Notre-Dame de Paris

 Lire le compte-rendu de l’ordination épiscopale de Mgr Éric de Moulins-Beaufort et Mgr Renauld de Dinechin.

Frères et Sœurs,

En 1792, au plus fort de la tourmente révolutionnaire, trois évêques, cent quatre vingt un prêtres, deux diacres, un clerc et quatre laïcs furent massacrés dans les prisons parisiennes et principalement au couvent des Carmes. Chaque année, nous faisons mémoire de ces hommes qui sont morts par fidélité au Pape en refusant le serment de la constitution civile du clergé. En nous rappelant leur sacrifice, nous plongeons dans un des martyrologes les plus fournis de l’histoire de l’Église. A travers les siècles et les continents, des milliers d’hommes et de femmes sont allés au martyre pour ne pas renier leur attachement au Siège de Pierre.

Un tel attachement désigne à notre attention une dimension constitutive de la catholicité de l’Église. Par la communion avec l’évêque de Rome c’est la communion de chaque Église particulière dans le Corps du Christ Ressuscité qui est assurée et signifiée. C’est pourquoi, au moment de leur consécration, les nouveaux évêques sont invités à s’engager par serment à vivre cette fidélité. C’est pourquoi, tout à l’heure encore, je demanderai à Éric et à Renauld de prendre solennellement cet engagement devant notre Église assemblée ce soir. Et leur engagement prendra une dimension particulière du fait de la présence de Mgr le Nonce Apostolique, du cardinal Agré et de tous les évêques qui m’entourent. Devenir évêque, c’est d’abord entrer dans la communion du Collège apostolique autour du Successeur de Pierre et participer à sa mission au service de toute l’Église. Prendre cet engagement à la veille de la visite apostolique du Pape en France est une grâce exceptionnelle. Nous allons vivre cette communion dans la joie des célébrations de la semaine prochaine avec Benoît XVI.

Ainsi, nous voyons que le ministère de l’évêque ne se définit pas d’abord comme une fonction de gouvernement et d’administration. Elle est avant tout un ministère de communion entre les communautés chrétiennes et d’ouverture de ces communautés à la dimension universelle de l’Église. Ce ministère de communion demande de notre part une résolution ferme d’exhorter les catholiques et de les encourager pour qu’ils ne se laissent pas enfermer dans le seul souci de la vie de leur communauté particulière. Cet appel à la communion universelle dans la charité n’est pas forcément toujours bien reçu ni bien compris, parce que l’orientation missionnaire de la vie de l’Église suppose une conversion permanente aux dimensions infinies de l’amour de Dieu pour les hommes.

Cet engagement dans la mission du Christ nous entraîne à partager plus étroitement la vie du Seigneur Jésus-Christ et à connaître avec lui les tribulations de la mission. « Le serviteur n’est pas au-dessus du Maître ; s’ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront, vous aussi. » Cet avertissement prophétique du Christ à ses disciples ne peut pas être pris seulement comme une figure de style. Il s’est vraiment réalisé pour les Apôtres auxquels il s’adressait. Il se réalise aussi pour nous. L’Évangile que nous annonçons ne peut pas ne pas être un « signe de contradiction » et nous devons cesser d’imaginer que son annonce puisse nous faire accueillir favorablement par tout le monde.

Nous remettre en face de cette « étrangeté » de l’Évangile ne doit certes pas devenir un moyen commode d’expliquer, -moins encore de justifier-, nos erreurs ou les aspérités de nos manières de faire. Elle ne nous incite pas à construire de notre propre fait les incompréhensions et les ruptures. Elle ne fait pas de nous des « accusateurs publics » qui se prendraient pour des prophètes. Il ne s’agit pas ici des procédés d’un meilleur « management » ou d’un meilleur « marketing ». Il s’agit de la découverte que nous faisons dans notre propre vie : l’Évangile, pour nous aussi, - pour nous, d’abord-, est un signe de contradiction qui nous appelle à notre propre conversion. Devenir témoins de l’Évangile, « être toujours prêts à justifier notre espérance devant ceux qui nous en demandent compte », c’est avant tout nous laisser évangéliser nous-mêmes et laisser la lumière de la Parole éclairer nos vies et fortifier notre confiance en Celui qui nous envoie.

Ce qui nous est dit aujourd’hui est vrai d’abord pour vous, Eric et Renauld, qui entrez dans le Collège apostolique, pour nous évêques qui en sommes membres depuis des années, pour les prêtres qui sont nos collaborateurs proches, pour toute l’Église enfin. Tous les baptisés, conformés au Christ par le don de son Esprit sont appelés à devenir des témoins de son Évangile dans tous les domaines de leur existence, partout où ils sont immergés au milieu de l’humanité et où ils sont confrontés à la désespérance et à l’abattement des hommes.

Eric et Renauld, vous allez être consacrés par le don de l’Esprit, par l’imposition de nos mains et l’onction sainte, pour être tout entiers au service de cette mission de l’Église. Vous m’assisterez pour rappeler sans cesse aux catholiques parisiens le don qu’ils ont reçu pour être témoins de l’Évangile, témoins de l’espérance et artisans de l’amour vécu au nom du Christ. Vous le ferez en annonçant vous-mêmes cette Bonne Nouvelle, à temps et à contretemps, sans vous laisser décourager par les effets immédiats de votre annonce et sans vous laisser blesser par la contradiction. Vous le ferez en confortant les prêtres et les diacres dans leur ministère, en les stimulant et en les exhortant par les liens de la charité. Vous les aimerez et vous les soutiendrez dans les moments d’épreuve. Vous rendrez grâce avec eux pour les fruits de leur ministère.

Cette mission à laquelle vous êtes associés de manière privilégiée est partagée par l’Église entière. D’abord évidemment par les hommes et les femmes consacrés dans la vie religieuse et qui se donnent tout entiers au service de l’Évangile. Mais aussi par tous les membres de l’Église, chacun selon son état et ses moyens. Au cours des dix dernières années, sous la conduite du regretté cardinal Lustiger, notre Église parisienne a été relancée avec vigueur sur les chemins de la mission. Il suffit de nous souvenir des grâces particulières que furent pour nous les Journées Mondiales de la Jeunesse de 1997 et « Paris-Toussaint 2004 ». Depuis trois ans, j’ai appelé les catholiques de Paris a un travail de réflexion et d’évaluation, pour que chaque communauté devienne plus exigeante dans la formulation de ses objectifs et leur mise en œuvre. Ce fut le travail des visites pastorales des trois années écoulées depuis décembre 2005. Nous allons maintenant mettre en commun les fruits de ces travaux avec les Assises diocésaines pour la mission.

Commencer votre ministère épiscopal avec ces quelques mois de travail diocésain intense est une grâce particulière. Vous aurez ainsi la possibilité de découvrir, de manière condensée mais réelle, la vitalité des communautés parisiennes dans leur extrême diversité, mais aussi dans leur profonde unité. Malgré les difficultés et les pauvretés, vous verrez l’imagination à l’œuvre pour renouveler notre présence missionnaire à la grande ville de Paris. Vous mesurerez comme je le mesure, semaine après semaine, comment nous sommes non seulement aidés et assistés dans notre mission, mais réellement portés par la grâce de l’Esprit agissant en son Église. Parcourir les doyennés, visiter les équipes pastorales et les conseils pastoraux, rencontrer les équipes engagées dans les différents secteurs de la mission, pourra être fatigant à, certains moments, mais ce sera aussi revigorant et stimulant parce que vous ferez l’expérience d’une Église qui vit et qui est appelée à vivre plus encore.

Puisque j’ai le privilège, sans doute discutable, de fêter le vingtième anniversaire de ma propre consécration épiscopale dans cette même cathédrale en 1988, et d’avoir exercer ce ministère pendant quatorze ans à Paris, je peux vous assurer que la vitalité de notre diocèse, si elle n’est certes de tout repos, est une source de force et d’action de grâce quotidienne. Nous avons nos misères, mais nous ne sommes pas un corps délabré ou inanimé. En ce moment même, l’ouverture du Collège des Bernardins est un signe et une mise en œuvre de notre volonté d’être présents et agissants dans les grands débats de notre siècle.

Enfin avec l’année de réflexion sur les vocations sacerdotales, c’est l’avenir de notre presbyterium auquel nous allons travailler tous ensemble. L’année du prêtre a un objectif principal : que l’on en parle. Rien ne serait plus ruineux pour les vocations que de surgir dans un environnement où cette hypothèse serait ignorée ou occultée. Oui, Dieu appelle, Dieu appelle aujourd’hui et nous ne devons pas faire silence sur cet appel !

Eric, Renauld, que Dieu vous nourrisse par votre ministère apostolique ; qu’Il fasse de vous les missionnaires de l’espérance et de la charité dont notre monde a besoin ; qu’Il vous comble de sa joie !

+André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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