Homélie du cardinal André Vingt-Trois – 2e dimanche de l’Avent

Notre-Dame de l’Arche d’Alliance, dimanche 7 décembre 2008

Is 40, 1-5.9-11
2 P 3, 8-14
Evangile selon saint Marc 1, 1-8

Frères et sœurs,

A mesure que nous avançons vers la célébration de la Nativité, la liturgie, de semaine en semaine, nous invite à réfléchir sur le chemin dans lequel Dieu nous engage pour accueillir son Fils. Puisque Dieu est tout puissant et qu’il fait ce qu’il veut, nous aurions pu imaginer qu’il soit intervenu dans l’histoire des hommes sans laisser s’écouler tant de siècles et un si grand délai. Très naturellement, nous pouvons nous demander si Dieu n’est pas en retard pour tenir sa promesse. L’épître de saint Pierre que nous avons entendue, nous donne une clef pour comprendre le sens de ce temps qui s’écoule avant l’achèvement du dessein de Dieu. Il nous est dit : « C’est pour vous que Dieu patiente, car il n’accepte pas d’en laisser quelques-uns se perdre mais il veut que tous aient le temps de se convertir » (2P 3, 9). Alors, nous comprenons que la venue du Fils de Dieu dans notre chair n’est pas simplement un acte décidé par Dieu de manière arbitraire, mais un événement qui s’insert dans l’histoire de la rencontre de Dieu et des hommes au long des siècles, et que tout au long de ce chemin chaque génération est invitée à recevoir à nouveau la promesse de Dieu et à convertir sa vie.
C’est le sens de la prophétie d’Isaïe que nous avons entendue : Dieu se prépare un chemin à travers le désert. Pendant plusieurs siècles il a conduit son peuple et l’a préparé pour l’avènement de la nouvelle alliance. A travers les événements souvent dramatiques de l’histoire d’Israël (l’invasion du pays, l’exil, l’occupation étrangère…), alors que tout semblait contraire à la promesse de Dieu, les prophètes invitaient le peuple à reconnaître un appel et à accueillir « une terre nouvelle et des cieux nouveaux, où résidera la justice. » (2P 3, 13) Aujourd’hui, ce même chemin de conversion nous est encore proposé.

Cette conversion consiste d’abord à renoncer à ce qui fait le cœur de notre péché. Il ne s’agit pas tant de nos petites fautes morales quotidiennes, auxquelles il faut bien sûr renoncer et dont il faut nous corriger. La racine du péché qui habite notre cœur est de nous détourner de Dieu, de vivre dans l’indifférence par rapport à Lui, comme s’Il n’était pas là, de l’éliminer de l’histoire des hommes, de notre propre histoire et de nos vies. Le péché principal de notre humanité c’est bien de croire qu’elle peut réaliser son salut, atteindre le bonheur et surmonter la mort, sans avoir besoin de Dieu. Mais Dieu nous conduit pas à pas, année après année, siècle après siècle, pour nous faire comprendre qu’il désire profondément que nous parvenions à cette terre nouvelle, mais que l’avènement de ce monde de justice selon sa promesse ne peut pas être une conquête que nous ferions par nos propres forces et sans Lui. Si bien que la première conversion à laquelle nous sommes invités par les prophètes, et par Jean-Baptiste « le plus grand d’entre eux » (Mt 11, 11), c’est d’abord l’acte de foi, la reconnaissance que nous recevons tout de Dieu, et que, en retour, nous devons offrir tout à Dieu. Préparer le chemin du Seigneur à travers les déserts de notre monde c’est reconstruire, année après année, notre vie autour de la présence de Dieu.

En ces jours où nous nous préparons à accueillir le Christ, nous pouvons réfléchir et nous demander quel espace nous laissons véritablement à Dieu dans notre vie. Est-il simplement une référence générale et lointaine, ou a-t’il une place concrète dans notre existence de chaque jour ? Quel temps prenons-nous le matin, le soir, et dans la journée pour nous remettre devant lui, pour lui exprimer notre foi, notre faiblesse et nos hésitations, pour lui dire : « Tu es là Seigneur, et je veux être avec toi. Je ne sais pas très bien comment je devrais faire, je ne sais pas très bien ce que je dois changer mais je sais que je veux vivre avec toi. Seigneur, donne-moi de croire, donne-moi d’être vraiment présent à ton amour, à ta venue, à ta promesse. » ? Ce moment peut être bref. Ce qui importe c’est la qualité de notre présence. Si nous faisons régulièrement cet acte de foi, alors la lumière de Dieu éclaire notre vie et nous fait découvrir progressivement ce que nous devons changer dans notre manière d’être et ce que nous pouvons renouveler pour vivre vraiment dans cette communion avec Dieu. « Dans l’attente de ce jour frères bien-aimés, faites donc tout pour que le Christ vous trouve nets et irréprochables dans la paix » (2P 3, 14). Frères et sœurs, nous préparer à célébrer la venue du Christ, c’est ouvrir dans nos cœurs l’espace et la brèche pour qu’il puisse vraiment venir à nous, pour toucher notre cœur et renouveler notre manière de vivre. Comme saint Pierre nous y invite, nous pouvons passer en revue un certain nombre d’aspects de notre vie : comment sommes-nous en relation avec les autres, comment mettons-nous en pratique le commandement de l’amour, comment essayons-nous de construire quelque chose à travers notre existence, comment laissons-nous la générosité de Dieu transformer notre égoïsme, comment entendons-nous les appels au partage et à la fraternité, comment sommes-nous des artisans de paix ? Pour chacune de ces questions je ne doute pas que nous puissions trouver dans notre existence quelque chose à bouger et à convertir. Et quand nous l’avons trouvé nous venons avec confiance nous placer sous la miséricorde de Dieu, accueillir son pardon, recevoir un renouveau de la force de notre baptême dans notre vie et devenir davantage disciples du Christ.

Ce chemin de conversion n’est pas un chemin de tristesse ou d’angoisse, mais un chemin tout empli de joie. Il est illuminé par l’invitation de Dieu que le prophète Isaïe nous rappelait tout à l’heure : « Consolez, consolez mon peuple. Parlez au cœur de Jérusalem » (Is 40, 1). Ce chemin est éclairé par la promesse de celui qui vient. La bonne nouvelle est proposée aux hommes, à nous d’abord et à travers nous à tous ceux qui attendent notre témoignage : « Dites aux villes de Juda voici votre Dieu, voici le Seigneur Dieu » (Is 40, 9-10). Par la conversion de nos vies, la manière dont nous mettons à nouveaux frais l’Évangile en pratique, et dont nous témoignons de l’amour et de la miséricorde de Dieu, nous annonçons au monde d’aujourd’hui que le Seigneur vient, et que celui que nous attendons est « un berger qui conduit son troupeau, qui rassemble les agneaux, qui les porte sur son cœur, et prend soin des brebis qui allaitent leurs petits » (Is 40, 11), qu’il est le Père des hommes.
Amen.

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