Homélie de Mgr André Vingt-Trois – 1er dimanche de l’Avent 2006

Saint-Thomas d’Acquin - dimanche 3 décembre 2006

« Redressez-vous et relevez la tête car votre Rédemption approche. » C’est le chemin qui s’ouvre devant nous en ce temps de l’Avent : non pas un chemin d’accablement, de renoncement et d’abandon, mais un chemin d’espérance, un chemin de force, un chemin de renouveau, de façon que nous aussi, comme l’Évangile nous le dit, nous puissions paraître debout devant le Fils de l’Homme.

Evangile selon saint Luc chap.21, versets 25-28.34-36

Frères et Soeurs, nous n’avons pas beaucoup à réfléchir ou à chercher autour de nous pour rencontrer les signes que l’Evangile évoquait à l’instant. Peut-être sommes-nous moins sensibles que nos ancêtres aux signes cosmiques mais pour ce qui concerne la vie des nations nous sommes aussi bien servis qu’eux et sans doute mieux informés. Oui, aujourd’hui, sur la terre, les nations sont affolées, des hommes et des femmes sont saisis de crainte non seulement à cause du fracas de la mer et de la tempête, mais encore à cause de la violence des hommes.

Aujourd’hui se développe dans notre culture un courant de peur qui ne repose pas simplement sur des risques ou des dangers réels mais qui repose aussi sur les fantasmes des dangers qui pourraient arriver. Cette crainte est telle que toute action, tout événement, tout projet, est examiné dans la perspective des risques qu’il peut faire courir à l’humanité. Visant à la sécurité absolue, on a tendance à tout réfléchir en termes de protection. Pas seulement de protection de l’Homme, pas seulement de protection de son environnement, mais aussi protection de la nature qui aboutit quelquefois à une sorte d’idolâtrie, mais aussi protection de notre genre de vie qui aboutit à une sorte d’enfermement sur nos biens.

Cette peur se diffuse à travers nos sociétés développées, elle suscite une paralysie face aux questions auxquelles nous sommes confrontés, et par rapport aux initiatives qu’il faudrait prendre. Cette peur se développe sournoisement, comme une sorte d’empêchement à faire quelque chose : "Des hommes mourront de peur dans la crainte des malheurs arrivant sur le monde ". Même s’ils ne sont pas encore au point de mourir de peur, beaucoup vivent dans la crainte des malheurs qui arrivent sur le monde.

La question qui nous est posée, c’est de savoir si notre foi chrétienne apporte quelques réponses dans ce contexte ou bien si, au contraire, l’annonce du retour du Christ et du jugement final ne font qu’accroître la peur. On a souvent accusé, et probablement pas à tort, la prédication chrétienne d’actionner ce levier de la crainte, la crainte de la damnation éternelle, comme une sorte d’épée de Damoclès qui aurait pesé sur tous les hommes, pour susciter la conversion de leur vie. Vous venez de l’entendre dans l’Evangile, le Christ ne propose pas à ses disciples ce genre d’arguments. Quand il voit les hommes mourir de peur dans la crainte des malheurs arrivant sur le monde, il ne dit pas à ceux qui le suivent : Ayez encore plus peur qu’eux. Il leur dit : "Vous verrez le Fils de l’Homme venir avec grande puissance et grande gloire. Quand ces événements commenceront, redressez-vous et relevez la tête car votre rédemption approche ".

La venue du Christ dans l’humanité, sa première venue telle que nous la connaissons dans l’incarnation, est l’accomplissement de la promesse qui a été faite à nos pères. Le prophète Jérémie nous la rappelle : "Voici venir des jours où j’accomplirai la promesse de bonheur que j’ai adressée à la maison d’Israël et à la maison de Judas ". L’incarnation du Fils de Dieu dans notre vie d’homme est l’annonce de l’accomplissement de cette promesse : il ne va pas venir dans la nuée avec grande puissance et grande gloire, mais dans l’obscurité et dans la pauvreté car s’il vient, c’est pour annoncer la bonne nouvelle de l’accomplissement de la promesse, c’est pour apporter au milieu des malheurs qui frappent l’humanité, une lumière d’espérance, c’est pour susciter au coeur des disciples la confiance en l’amour tout puissant de Dieu pour les hommes. Voilà ce que nous méditerons dans le mystère de la Nativité.

C’est pourquoi, au milieu des événements de ce monde, alors même qu’ils manifestent leur capacité de destruction, au moment où les hommes privés de toute espérance sont abandonnés à la crainte pour leur avenir, le chrétien en ce monde n’est pas quelqu’un d’extraordinaire mais il est quelqu’un qui apprend à interpréter les événements à la lumière de la foi. Au moment où le monde semble saisi par le chaos, le chrétien n’est pas invité à joindre ses gémissements aux autres gémissements. Il est invité à se redresser et à relever la tête car, à travers l’oeuvre de la mort qui s’accomplit au long des siècles, la Résurrection du Christ lui apprend à discerner l’aurore de la vie éternelle. Elle prend peu à peu possession de l’épaisseur de l’humanité jusqu’à son accomplissement final dans le retour glorieux du Christ.

Plongés dans l’histoire des hommes, saisis comme eux par les événements, soumis comme eux aux contraintes de l’existence humaine, nous ne sommes pas "morts de peur " dans la crainte des malheurs qui arrivent sur le monde ; nous sommes remplis d’espérance : nous savons que ces douleurs, comme saint Paul nous le dit dans l’épître aux Romains, sont "les douleurs d’un enfantement ", l’enfantement d’un monde nouveau dans lequel le Fils de l’Homme manifestera sa puissance et sa gloire. "Redressez-vous et relevez la tête car votre Rédemption approche. " C’est le chemin qui s’ouvre devant nous en ce temps de l’Avent : non pas un chemin d’accablement, de renoncement et d’abandon, mais un chemin d’espérance, un chemin de force, un chemin de renouveau, de façon que nous aussi, comme l’Evangile nous le dit, nous puissions paraître debout devant le Fils de l’Homme. Dieu a appelé l’homme à la vie non pas pour qu’il soit terrassé et anéanti mais pour qu’il devienne son partenaire et son interlocuteur, un homme debout, jugé digne d’échapper à tout ce qui doit arriver.

Qu’avons-nous à faire pour nourrir cette conviction et développer cette espérance ? "Tenez-vous sur vos gardes de crainte que votre coeur ne s’alourdisse dans la débauche, l’ivrognerie et les soucis de la vie ". "Tenez-vous sur vos gardes, veillez et priez en tout temps ". Pendant les quelques semaines qui nous préparent à la Nativité, nous sommes invités plus particulièrement à veiller et à prier, à être en état de vigilance, non pas de peur de manquer Noël, mais de peur de ne pas comprendre comment la puissance du Ressuscité traverse l’histoire humaine et donne aux événements de nos vies une dimension nouvelle, de peur de nous laisser accabler par la vie comme si nous n’avions pas d’espérance, de peur de nous laisser submerger par l’effroi qui saisit les hommes, de peur de n’être pas debout à tout moment de notre vie pour recevoir le Christ. Amen.

+ André Vingt-Trois
Archevêque de Paris

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