L’histoire religieuse de l’Espagne

« Je suis l’alpha et l’oméga, dit le Seigneur Dieu, je suis celui qui est, qui était et qui vient, le Tout-Puissant. » (Apocalypse 1,8)

 DES ORIGINES À SANTIAGO

L’Espagne a la réputation d’être un pays très catholique. Son évangélisation remonterait en effet, selon la tradition, aux Apôtres eux-mêmes dont un groupe aurait abordé la province romaine d’Hispania dès l’an 40, soutenu par la présence de Marie : la Vierge leur serait apparue sur un pilier de jaspe vert à Saragosse. La Virgen del Pilar, Vierge du Pilier est la patronne de l’Espagne (et de l’Amérique hispanophone), conjointement avec Saint Jacques dont le tombeau fut « retrouvé » en 813 au nord-ouest du pays, en Galice, grâce à un « champ d’étoiles » (Campus stellae = Compostelle) brillant dans le ciel… C’est là l’origine du célèbre pèlerinage de Saint-Jacques de Compostelle.
Ces récits légendaires ont cependant un fond de vérité : l’évangélisation de l’Espagne commença tôt, dès le IIème siècle et, après la disparition de l’Empire romain, le roi wisigoth Récarède se convertit en 586 au catholicisme, religion de la majorité de ses sujets.

 LA CONQUÊTE MUSULMANE ET LA « RECONQUISTA » ESPAGNOLE (711-1492)

Pendant tout le Moyen Âge, les chrétiens d’Espagne luttèrent pour reprendre la péninsule aux Maures qui l’avaient conquise au début du VIIème siècle (Al-Andalus) et étaient arrivés jusqu’à Poitiers où ils avaient été arrêtés par Charles Martel, en 732. Cette « Reconquista » (reconquête) dura huit siècles et se termina par la prise de Grenade par les Rois Catholiques, Ferdinand d’Aragon et Isabelle de Castille, en 1492. Cette date est capitale puisqu’elle scelle la fin de la Reconquista, l’unité espagnole et la découverte de l’Amérique. Mais au-delà des batailles, l’Espagne médiévale se caractérise par une étonnante cohabitation entre chrétiens, juifs et musulmans : le roi Alphonse X le Sage (1252-1284) ouvrit dans sa capitale, Tolède, une École de Traducteurs des trois religions, chargés de transcrire en castillan les textes hébreux et arabes, qui transmettaient une grande part de la sagesse antique. Cette parenthèse ne dura pourtant pas longtemps : amollis par le luxe, les musulmans se divisèrent et firent appel à de redoutables tribus (Almoravides puis Almohades) qui, tenants d’un islam rigoriste et intolérant, rétablirent à leur profit l’unité d’Al-Andalus. C’est à cette époque que se situe la fameuse figure du Cid qui conquit Valencia. Après sa mort, c’est sa veuve Chimène qui défendit la ville pendant deux ans.

L’an 1492 correspond aussi à l’expulsion des Juifs par les Rois Catholiques : ils devaient choisir la conversion ou l’exil ; cette politique fut poursuivie par leurs successeurs qui chassèrent en 1609 les Moriscos, descendants des musulmans installés au Moyen Âge dans la région du Levant (sud-est du pays). Le tribunal de l’Inquisition fut créé par la couronne, initialement pour surveiller les nouveaux convertis (conversos).

 MYSTIQUES ESPAGNOLS du « Siècle d’or » (XVIème siècle)

Une fois accomplie l’épopée de la Reconquista et au moment où l’appât de l’or vint pervertir la conquête du Nouveau Monde, les Espagnols poursuivirent le combat spirituel dans leur cœur et dans leur âme d’abord. De nombreux chrétiens espagnols servirent le Christ et l’Église avec fougue, et rayonnèrent à travers le monde. Le XVIème siècle fut celui de :

  • saint Ignace de Loyola (1491-1556), ancien militaire qui fonda la Compagnie de Jésus (les Jésuites), par laquelle l’Évangile fut porté jusqu’en Chine et au Japon (St François Xavier) ;
  • sainte Thérèse d’Avila (1515-1582), l’infatigable réformatrice du Carmel, première femme « docteur de l’Église » et favorisée de fréquentes extases qu’elle décrit – à la demande de son confesseur – avec une précision et une finesse extrêmes ;
  • saint Jean de la Croix, ascète, réformateur, poète mystique reconnu comme un des plus grands auteurs de langue espagnole.

 L’ÉVANGÉLISATION DU NOUVEAU MONDE

Elle fut l’une des grandes entreprises des Espagnols. Et si le contact fut souvent brutal entre les conquistadors et les Indiens d’Amérique, ceux-ci eurent en Fray Bartolomé de las Casas (1484-1566) un défenseur qui démontra qu’ils étaient des enfants de Dieu comme les Européens et, à ce titre, avaient droit au baptême et au salut. Les jésuites fondèrent en Argentine et au Paraguay des « reducciones », villages regroupant des Indiens guaranis pour les protéger des esclavagistes. Ils étaient autogérés, parlaient leur propre langue et étaient indépendants économiquement.

 AU XVIIème siècle commence la décadence de l’Espagne qui perd son hégémonie en Europe (guerres contre la France). Marie-Thérèse, la fille de Felipe IV, épouse le roi de France Louis XIV. Après la longue guerre de Succession d’Espagne qui secoue l’Europe, c’est le petit-fils de Louis XIV, Philippe V, qui devient roi d’Espagne et inaugure la dynastie des Bourbons : l’actuel roi d’Espagne, Juan Carlos Iero est un Bourbon.

 À PARTIR DU XVIIIème siècle, l’Église fut remise en cause en Espagne comme dans d’autres pays par la philosophie des Lumières, mais elle fut aux côtés des Espagnols lorsque ceux-ci se soulevèrent en 1808 contre l’occupation des troupes de Napoléon Ier, lors de la guerre d’Indépendance.

 LE XIXème siècle et la première moitié du XXème siècle furent particulièrement instables. On assista à une suite de conflits récurrents entre les libéraux et les monarchistes (trois guerres carlistes successives, Pronunciamientos, Restauration, République…) La société espagnole se sécularisa. L’Église fut expropriée des terres qu’elle avait accumulées depuis des siècles mais garda une influence importante dans le domaine de l’éducation et du secours aux indigents et aux malades. La guerre civile, déclenchée par un coup d’état militaire contre la République, déchira l’Espagne de 1936 à 1939. Elle fut longue, meurtrière, passionnée et douloureuse : beaucoup de prêtres, de religieux et de religieuses, mais aussi de simples laïcs, moururent en martyrs de la foi. Près de 900 d’entre eux ont été béatifiés et une dizaine reconnus saints. Le général Franco, vainqueur, inaugura une dictature qui s’acheva à sa mort en 1975. Depuis, et après une transition pacifique, l’Espagne est devenue une monarchie constitutionnelle.

 AUJOURD’HUI, 77% des Espagnols se déclarent catholiques, même si 53% disent n’aller que très rarement à la messe. L’Église bénéficie d’un statut concordataire, rénové en 1979 au moment du passage à la démocratie, et elle reste très présente dans la vie sociale :

  • évêques et laïcs n’hésitent pas à descendre dans la rue pour défendre la vie et faire entendre leur voix dans les débats de société actuels ;
  • la plus grande ONG en Espagne est Caritas (le Secours Catholique) ;
  • plus des trois quarts des jeunes dans les collèges et lycées suivent l’enseignement optionnel de religion ;
  • on constate toujours un très fort attachement aux nombreuses traditions religieuses comme les célèbres processions de la Semaine Sainte dans de nombreuses régions : les confréries qui les organisent se sont fortement rajeunies et féminisées.

Notons enfin deux mouvements religieux nés en Espagne au XXème siècle :

  • l’Opus Dei (son fondateur Josemaría Escrivá de Balaguer a été canonisé par le pape Jean Paul II) : sa mission consiste à diffuser l’idée que le travail et les circonstances ordinaires sont une occasion de rencontrer Dieu, de servir les autres et de contribuer à l’amélioration de la société ;
  • le Chemin néo-catéchuménal, de type charismatique, propose un itinéraire de formation catholique et de catéchèse baptismale ; il prie au rythme des guitares andalouses.

C’est en 1982 que Jean-Paul II a visité l’Espagne pour la première fois. Benoît XVI y est venu à son tour en 2010 : la consécration de la Sagrada Familia à Barcelone fut un moment fort de cette visite.

Carnet du pèlerin - JMJ Madrid 2011