« Le dialogue avec des chrétiens m’a éclairé »

Paris Notre-Dame du 21 mai 2009

Aujourd’hui, un certain nombre de juifs sont engagés dans le dialogue avec les chrétiens. Quelles sont leurs motivations ? Quel regard portent-ils sur Jésus ? Entretien avec l’un d’eux, le rabbin Rivon Krygier, responsable de la communauté massorti (« traditionnelle ») Adath Shalom (Assemblée de la Paix) dans le 15e.

P. N.-D. : Vous êtes juif. Pourquoi le dialogue avec les chrétiens est-il important pour vous ?

Pour le rabbin Rivon Krygier, responsable de la communauté massorti, Adath Shalom (15e), « nous avons absolument besoin de dialoguer »
© D. R.

Rivon Krygier – Nous sommes à l’ère de la mondialisation. Nous ne pouvons plus nous ignorer. Les religions, les croyants doivent apprendre à se connaître et à dialoguer. L’actualité nous montre tous les jours combien les risques de conflits religieux sont importants. Pour les éviter, pour nous libérer de nos a priori, nous avons absolument besoin de dialoguer. Je crois aussi que nous avons tous aujourd’hui conscience qu’il existe une certaine relativité de la vérité. Il ne s’agit pas d’indifférentisme ou de relativisme… Disons simplement qu’il existe de vrais trésors spirituels dans chaque religion et que nous pouvons nous enrichir de la spiritualité de l’autre grâce au dialogue. Les spiritualités s’éclairent et peuvent nous aider à mieux comprendre notre propre religion tout en construisant la fraternité universelle voulue dans le projet ultime de nos religions respectives.

Dans votre foi juive, qu’est-ce que le dialogue avec les chrétiens vous apporte ?

R. K. – Beaucoup et toutes sortes de choses. Mais donnons un exemple : l’étude des évangiles et le dialogue avec des chrétiens m’ont beaucoup éclairé sur ma propre tradition. De fait, dans sa mémoire ou dans son culte, le christianisme a gardé beaucoup de coutumes juives qui ont été complètement abandonnées dans le judaïsme qui continuait d’évoluer. Je pense par exemple à la veillée pascale qui traditionnellement, dans l’Église, durait toute la nuit. En fait, c’était une tradition juive essentielle, mais celle-ci a été abandonnée et oubliée. Aujour­d’hui, le repas pascal doit absolument s’achever avant minuit. Le christianisme permet souvent de retrouver nos racines ! Or on dit le plus souvent que c’est plutôt le christianisme qui retrouve ses racines dans ce dialogue.

Vous ne reconnaissez pas Jésus comme étant le Messie et le Fils de Dieu. Quel regard portez-vous sur lui ?

R. K. – Pour moi, la question de savoir s’il s’agira d’un retour ou de la venue première du Messie attendu est une « querelle de chiffonnier ». Pour ma part, le jour où il viendra, qu’il s’appelle Shimon ou Jésus, je ne serai pas déçu ! Sur ce point, les chrétiens doivent bien comprendre que les juifs ont une spiritualité messianique qui leur est propre. Celle-ci ne passe pas par la rencontre de la personne nommée Jésus. Les conditions et la fonction de la venue messianique sont pensées et vécues autrement. Nous ne sommes pas « messianocentrés » mais d’abord préoccupés de réformer notre conduite et la conduite du monde par l’accomplissement de la volonté divine. Mais au final, il y a convergence.

Comment les Évangiles et la vie de Jésus font-ils écho en vous ?

R. K. – Les Évangiles constituent une vison riche, une réflexion sur le judaïsme. J’avoue que lors­que j’en lis certains passages, je suis très ému par la profondeur et l’humanité du message spirituel. On ressent vraiment le ju­daïsme de Jésus, sa façon d’in­ter­préter et de vivre la foi juive, à l’école des grands prophètes.

Pour moi, en tant que juif, Jésus incarne un homme éperdu de rédemption et de salut. Il a voulu précipiter la venue du royaume de Dieu et s’y est employé tout au long de son existence. Le fait est qu’il n’y est pas parvenu quel que soit le jugement que l’on en porte. En même temps, il a effectivement permis à des millions de non-juifs de par le monde de se lier à la souche d’Israël et à la foi du monothéisme universel selon la promesse faite à Abraham. Il est acquis que Jésus a vraiment déclenché un mouvement spirituel d’une ampleur majeure, fondamentalement respectable (même si l’on regrette la trop longue mésentente entre juifs et chrétiens…) et cela en soi participe du messianisme.

A Paris et plus largement en France, peu de juifs semblent s’intéresser au dialogue avec les chrétiens. Pourquoi ?

R. K. – Soyons réalistes. D’une façon générale, les croyants qui s’intéressent à la religion ou aux croyances des autres sont peu nombreux. Et les juifs n’échappent pas à la règle. Il existe d’autres facteurs importants qui ne facilitent pas le dialogue. D’abord, les juifs sont, nu­mériquement, bien moins nombreux que les chrétiens. Il est donc normal qu’ils soient moins représentés dans les lieux de dialogue.

Ensuite, beaucoup de juifs ne sont pas pratiquants ou ne s’intéressent pas de près à la religion. Quant à ceux qui ont une quête spirituelle, ils éprouvent le plus souvent le besoin d’approfondir d’abord leur propre tradition. Les communautés juives sont également dispersées et pas aussi bien organisées que l’Égli­se et cela ne favorise pas les rencontres formelles avec d’autres communautés. Enfin, je crois que, lorsque nous commençons à dialoguer, nous devons tous surmonter nos a priori et stéréotypes. J’en ai moi-même fait l’expérience. Pour moi, le christianisme était une religion superficielle, basée seulement sur l’affect, une foi irrationnelle, impliquant le déni du corps, etc. Grâce au dialogue, non seulement je découvre de grandes richesses spirituelles, mais aussi des hommes et des femmes exemplaires dans leur foi et leurs œuvres, des « justes » selon notre vocabulaire. Leur foi et la mienne ne sont pas rivales mais tendues, main dans la main, vers le royaume de Dieu. • Recueilli par Sylvain Sismondi

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