Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Grande veillée de prière pour la Vie

Cathédrale Notre-Dame de Paris - Jeudi 27 mai 2010

En présence des évêques des huit diocèses de la Région Ile-de-France
« Veillée de prière, d’enseignement et de témoignages afin de porter devant Dieu le mystère de la Vie, et d’intercéder pour tous les acteurs de la Vie. »

 Voir également la prière pour le respect de la vie et l’album-photos.

 Lc 10, 25-37

Frères et Sœurs,

Comme Jésus a été mis à l’épreuve par le docteur de la loi, nous qui sommes vivants, nous sommes nous aussi mis à l’épreuve par les débats que suscite la vie. On voudrait bien nous faire dire clairement qui mérite de vivre et qui a le droit de vivre. Mais demander : « Qui est notre prochain et à qui reconnaissons-nous le titre de notre prochain ? », c’est demander : « Qui a le droit à l’existence et à partir de quel seuil a-t-on le droit de vivre ? A partir de combien de semaines a-t-on le droit de vivre ? A partir de quel handicap a-t-on encore le droit de vivre ou de ne plus vivre ? Et jusqu’à quel âge a-t-on le droit de vivre ? ». Nous comprenons bien que pour beaucoup de nos contemporains, une réponse simple, claire et nette serait la bienvenue, parce qu’elle définirait les seuils de responsabilité. Alors, on va chercher des indices, des signes, des échos visuels ou des moyens d’analyse pour pouvoir affirmer : « Dans ce cas-là, objectivement, nous devons reconnaître qu’il n’a pas le droit de vivre ». Mais on dit tout-cela à voix très basse, sauf le mot « objectivement » que l’on énonce à voix très haute. Car la décision doit paraître imposée de l’extérieur pour que nous soyons innocents.

Ce docteur de la loi demande à Jésus de définir qui a droit au titre de prochain (Lc 10, 29), c’est-à-dire qui a le droit à l’amour que Dieu nous commande d’exercer envers le prochain, et donc qui a le droit à la vie. Le docteur de la loi cherche à définir les frontières et les limites lui permettant de préciser ce qu’il n’est pas tenu de faire. Car si on définit qui est le prochain, tout ce qui est en dehors du cercle du prochain ne bénéficie pas de ses droits. On demande donc : « Dites-moi bien qui est le prochain ? Qui a le droit de vivre ? ». Ainsi celui qui n’est pas le prochain sera très objectivement au-delà du cadre que l’on aura posé pour définir qui est vraiment une personne humaine. « Dites-moi à partir de combien de semaines on est vraiment devant quelqu’un qui est en train de devenir une personne humaine ? Dites-nous à quels signes cliniques nous savons que nous ne sommes plus devant une personne humaine ? Donnez-nous les critères objectifs qui vont nous permettre de ne pas être obligés de nous reconnaître prochain. »

« Lequel des trois à ton avis a été le prochain de l’homme qui était tombé entre les mains des bandits ? Celui qui a fait preuve de bonté envers lui. » (Lc 10, 36-37) Celui qui s’est penché sur l’homme blessé n’est pas celui qui savait que cet homme était son prochain, mais celui qui s’est fait proche de cet homme. Cette parabole du Bon Samaritain, la tradition patristique chrétienne l’a interprétée en voyant l’image de l’humanité dans cet homme roué de coups par des bandits, qui perd son sang et sa vie au bord du chemin. Et Jésus, le Bon Samaritain (nous savons que c’était un titre qui lui était donné par ses ennemis), voit cet homme et s’approche saisi de pitié. Il se fait le prochain de l’humanité. Cette humanité abandonnée au bord du chemin en train de perdre la vie, il la prend à son compte, il la prend en charge, il la prend sur soi, pour la faire vivre.

Ce soir nous avons entendu quatre témoignages. Nous aurions pu en entendre dix. A partir d’expériences différentes, ils nous disaient la même chose : « le Seigneur était là et je ne le savais pas » (Gn 28, 16) ; au cœur de mon épreuve, il s’est fait proche de moi. Parfois, il a surgi de façon instantanée, à travers une personne, une équipe, un groupe d’accueil. Parfois, sa présence s’est manifestée petit à petit, au long des années. Mais c’est toujours le même mouvement de Dieu qui se fait proche de l’homme pour lui permettre de vivre. C’est pourquoi ces témoignages nourrissent notre action de grâce : Dieu s’est fait notre prochain, le plus proche. Il s’est approché de nous, il a touché nos plaies et il nous a fait vivre.

Quand nous entendons des témoignages qui évoquent cette proximité de Dieu à travers la présence des autres, nous sommes invités à rendre grâce, mais également à nous mettre en route. « Va et toi aussi fais de même » (Lc 10, 37) dit Jésus à l’homme qui l’interroge. Va et toi aussi fais-toi proche de ton frère, surtout s’il n’est pas reconnu comme un prochain légitime, surtout si on ne lui a pas décerné le titre officiel et objectif de prochain. Fais-toi le prochain de celui qui n’a pas le droit au bénéfice de la protection commune, dans notre monde où l’égalité radicale devant la vie se module en des inégalités très grandes, des exclusions très profondes et des jugements implacables qui définissent ceux qui méritent l’attention et ceux qui ne la méritent pas, ceux qui ont le droit de vivre et ceux qui ne l’ont pas.

Alors frères et sœurs ce soir, nous voulons rendre grâce à Dieu qui s’est fait proche de nous. Et nous le prions pour qu’il ouvre nos yeux sur les misères de l’humanité et nous associe au mouvement de sa sollicitude qui le rend proche de l’homme en train de perdre la vie. Que Dieu fasse de nous des serviteurs de la vie, et des personnes capables de nous rendre proches de ceux qui sont mal reconnus comme prochains. Qu’il nous rende capables d’aller au-devant d’eux comme il vient au-devant de nous, comme il se fait proche de nous dans le sacrement de l’Eucharistie que nous allons maintenant accueillir et vénérer.

+André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris

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