Accueillir la fragilité, c’est une force

Paris Notre-Dame du 9 mars 2017

Comment intégrer la fragilité dans notre société ? Comment savoir reconnaître sa propre fragilité et en faire un atout ? Ces problématiques cruciales seront creusées lors d’une conférence au Collège des Bernardins, le mardi 14 mars. Paris Notre-Dame donne la parole à deux des intervenants. • Par Céline Marcon

© Yannick Boschat

Stephan POSNER, directeur de l’Arche [1] en France

« Intégrer la fragilité dans notre humanité nous rend plus libre »

« Fort de nos cinquante ans d’expérience à l’Arche, nous pouvons témoigner que la fragilité n’est pas qu’une négativité. Certes, les personnes en situation de handicap sont confrontées à des limites parfois sévères, mais elles témoignent aussi de la possibilité d’une vie bonne, même sans les attributs socialement reconnus de la réussite ou du succès. Intégrer la fragilité dans notre humanité nous rend plus libre. C’est là un vrai enseignement de vie, qui change notre rapport à soi et aux autres, et nous concerne tous. Nous sommes naturellement des mortels exposés à toutes sortes de vicissitudes, mais reconnaître notre vulnérabilité est une condition pour être véritablement des vivants. Si, dans notre société, le discours sur la performance et l’excellence reste prédominant, le thème de la fragilité est, depuis un certain nombre d’années, porté par un nombre croissant de personnes. À l’Arche, nous espérons accueillir chacun tel qu’il est et l’encourager dans un chemin de croissance, qui consiste aussi à intégrer et reconnaître ses limites et sa vulnérabilité à côté de ses talents et de ses dons. Non seulement la “performance” d’un individu n’est pas atteinte par une telle approche, mais elle peut se déployer de façon plus équilibrée et féconde. »

Patrick VIVERET, philosophe et essayiste

« Si on nie sa propre fragilité, on construit des carapaces »

« La fragilité est au cœur de la condition humaine. Elle touche même les personnes en pleine santé, qui se croient au sommet de leur puissance, parce que nous sommes tous des êtres reliés à la nature (nous ne pouvons pas vivre sans nourriture) et aux autres (nous avons besoin de reconnaissance). Le déni de cette fragilité est au cœur de la plupart des maux que rencontre l’humanité. Si on nie sa propre fragilité, on construit des carapaces extérieures (rivalité vis-à-vis des autres, incapacité d’écoute des fragilités d’autrui) et intérieures (ce qui entraîne la fermeture des cœurs, comme la nomme les traditions spirituelles). Ce déni est présent dans nos sociétés depuis très longtemps, notamment dans le modèle patriarcal. Le fait que le discours masculin machiste fasse résider dans les parties génitales des hommes leur force alors qu’il s’agit, au contraire, de leur zone de fragilité, n’est-il pas un bel exemple de ce déni ? Dans la société actuelle, ce déni a entraîné une logique compétitive, particulièrement forte dans les domaines de l’économie et de la politique, où il y a des dominants et des dominés. Cela conduit à des impasses gigantesques et génère la peur des dominés face aux dominants, et des dominants face à d’autres dominants. Nous avons besoin que ceux qui exercent le pouvoir sortent d’une logique de puissance dominatrice pour entrer dans celle de puissance créatrice. C’est une des conditions de la construction du vivre ensemble dans notre monde. »

[1Réseau de communautés où cohabitent des personnes en situation de handicap mental et des accompagnants. Site : www.arche-france.org

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