Prière œcuménique pour la sauvegarde de la création

Le jeudi 3 décembre 2015, à l’occasion de la COP21, le Conseil d’Églises chrétiennes en France a organisé une célébration œcuménique à la cathédrale Notre-Dame de Paris.

Cette célébration était présidée par Mgr Georges Pontier, le pasteur François Clavairoly, le Métropolite Emmanuel, en présence du cardinal André Vingt-Trois, du pasteur Olav Fykse Tveit ainsi que de nombreux responsables mondiaux d’Églises chrétiennes.

La COP21 s’est déroulée du 30 novembre au 11 décembre 2015.

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Homélie de sa sainteté le patriarche œcuménique Bartholomée lu à Notre-Dame de Paris

Cher Monseigneur le cardinal André Vingt-Trois, Archevêque de Paris,
Éminences,
Excellences,
Cher Monsieur le Pasteur Olav Fykse Tveit, secrétaire général du Conseil Œcuménique des Églises,
Monseigneur l’Archiprêtre et les membres du Chapitre,
Mesdames et Messieurs les représentants des autorités civiles et de la Mairie de Paris,
Chers frères et sœurs en Christ,

Propos introductifs de son Éminence, le Métropolite Emmanuel, de France

Avant toute chose, je tiens à présenter les excuses de Sa Sainteté le Patriarche œcuménique Bartholomée au nom duquel je vous adresse les paroles suivantes. Comme vous le savez, ce dernier a été dans l’obligation de renoncer à sa visite en France et à ses différents engagements liés à la COP21. Il regrette profondément de ne pouvoir être avec nous ce soir, et tient à exprimer sa tristesse à la suite des attentats qui ont touché notre ville de Paris, au soir du 13 novembre 2015.

Nous présentons nos condoléances aux victimes, à leurs familles et à l’ensemble du peuple français meurtris par ces terribles événements. Nos prières vous accompagnent en ces instants de grandes douleurs et incertitudes. Nous demandons au Seigneur qu’Il soit « le secours des sans-secours, l’espérance des désespérés... Tout pour tous » ainsi que nous le disons dans la Divine Liturgie selon Saint Basile le Grand.

Aussi, forts de notre foi en Dieu et de notre espérance dans le Seigneur, nous vous transmettons nos plus compatissantes salutations, nos plus vives félicitations pour votre présence ce soir et nos plus sincères encouragements pour l’indispensable engagement de chacune et de chacun d’entre vous en faveur de la protection de l’environnement. Au cœur de cette ville blessée, la prière de ce soir se doit d’englober les cicatrices qui marquent nos cœurs et la création tout entière de l’empreinte de la haine. La foi est appelée à vaincre la peur. Elle doit nous inspirer à poser des actes audacieux dans le monde en faveur du bien et de la protection de l’environnement.

Nous sommes tout particulièrement heureux de la tenue de cette prière œcuménique pour la sauvegarde de la création, portée par le Conseil d’Églises Chrétiennes en France. Nous remercions aussi son Éminence le Cardinal André Vingt-Trois, archevêque de Paris, d’accueillir cette prière. Nos salutations vont également à tous les représentants d’Églises venus d’autres pays du monde et qui nous honorent de leur présence.

Comme le Patriarcat œcuménique ne cesse de le répéter avec les autres chrétiens et notamment avec notre frère, Sa Sainteté le Pape François, la protection de l’environnement doit être un objectif œcuménique commun. La prière que nous faisons monter vers le Seigneur en cette soirée, alors que les principaux dirigeants du monde s’emploient à trouver un accord permettant de limiter au maximum les changements climatiques, est décisif à bien des égards.

Cette prière n’est pas qu’un message envoyé à l’attention des autorités politiques, il s’agit d’un engagement spirituel essentiel, comme le Patriarcat œcuménique ne cesse de le clamer depuis des décennies. Nous entendons par ce geste dépasser la séparation artificielle entre ce qui relève du monde et ce qui relève du sacré et faire de tout un sacrement du Royaume. À cette fin, reconnaître la marque du divin dans l’ensemble de la création, de l’image de Dieu dans l’humanité et du sceau du sacré dans la nature doit nous pousser à prendre soin de notre monde. En d’autres termes, la manière dont nous traitons la nature et la biodiversité de la création est directement liée au traitement de notre prochain.

Par conséquent une spiritualité écologique doit être une spiritualité de conversion. Par conversion, il faut comprendre la transformation de l’être intérieur comme le point de départ d’un changement extérieur. Les scientifiques mettent inlassablement en avant la nécessité d’une mutation radicale de nos modes de vie afin de limiter les actions polluantes qui influent sur les changements climatiques. Il s’agit ici d’une réalité que le christianisme appelle metanoia, un retournement tout entier de l’être. Ce dernier encourage, dans la tradition patristique des Pères du désert – ces spirituels qui ont forgé à travers les siècles l’expérience ascétique – un regard transparent sur l’humanité. C’est précisément cette vision qu’envisageait saint Isaac le Syrien, un mystique du VIIe siècle, lorsqu’il considérait comme but de la vie spirituelle « l’acquisition d’un cœur miséricordieux qui brûle d’amour pour la création tout entière..., pour toutes les créatures du Dieu ».

Tel est le sens de l’effort qui est attendu de nous aujourd’hui : sortir de l’égoïsme dans lequel l’inertie de nos habitudes nous a fait tomber, et découvrir la sobre liberté que nous apporte la conversion du cœur, la pratique du jeûne et de la prière. Dans le christianisme, la création est inséparable de l’identité et du destin de l’humanité. Interrogeant les mêmes conditions de la vocation humaine, prier pour la création met en perspective les conditions de notre propre salut. Parce que le temps s’oriente invariablement vers l’avènement du Royaume, la création est un don qui nous a été donné gratuitement et dont nous serons amenés à rendre compte, non seulement aux générations futures, mais aussi au Dieu Créateur qui l’a placée entre nos mains.

Le futur de l’humanité restera incertain tant que collectivement nous ne serons pas en mesure de faire le choix du bien commun. Les crises multiples qui touchent aujourd’hui le monde agissent comme le prisme déformant de notre propre irresponsabilité. Aux plus sceptiques nous devons dire que la protection de l’environnement est un tout qui dépasse la sauvegarde de la faune et de la flore. Il s’agit aussi d’une question de justice, de solidarité, de fraternité, autant dire des éléments constitutifs d’un humanisme à redécouvrir. Comme a pu l’écrire le prophète Michée : « On t’a fait connaître, ô homme, ce qui est bien ; et ce que le Seigneur demande de toi, c’est que tu pratiques la justice, que tu aimes la miséricorde, et que tu marches humblement avec ton Dieu » (Michée 6,8).

Chers frères et sœurs en Christ,

Nous tenons à saluer tout particulièrement ce soir les nombreux pèlerins qui ont traversé l’Europe tout entière, et ceux qui viennent de plus loin encore. Pèlerins, nous le sommes tous à notre manière, car il s’agit d’une condition essentielle du christianisme. En revanche, en parcourant ces milliers de kilomètres, vous avez fait preuve d’une motivation et d’un courage qui, il faut le reconnaître, envoient un message puissant aux participants de la COP21. Votre pèlerinage est en soi déjà une prière.

Par la prière, nous devons réapprendre à lire l’œuvre de Dieu dans le livre de la nature et à comprendre l’interdépendance entre l’humain et son environnement. C’est tout cela que nous appelons une spiritualité écologique. Pourtant, il faut aller encore plus loin et dire le nom de « Dieu », lorsque nous parlons du créé. Car selon la tradition théologique de l’Église orthodoxe, il ne peut y avoir de spiritualité en dehors de l’action transfiguratrice de l’Esprit Saint. La nature est inséparable du don gratuit de la création par lequel Dieu nous rend responsables de sa préservation et de sa sauvegarde. Le don de la nature est l’expression aimante d’une beauté harmonieuse par laquelle la marque du divin ne saurait être épuisée.

Il est donc de notre obligation morale de nous engager activement en faveur de la protection de l’environnement comme la manifestation d’un éthos chrétien non négociable avec les intérêts particuliers. Il n’est pas trop tard pour agir, mais nous ne pouvons nous permettre de remettre à demain ce que nous pouvons faire aujourd’hui. Nous sommes tous d’accord pour affirmer qu’il faut protéger les ressources naturelles de notre planète qui ne sont ni infinies ni encore moins négociables. L’unité de l’humanité à l’égard de la protection de la création, que nous appelons de nos vœux, nous oblige simultanément à mettre nos actes en conformité avec nos paroles. Nous terminerons par ces mots du Saint Apôtre Jacques : « À quoi bon, mes frères, dire qu’on a de la foi, si l’on n’a pas d’œuvres ? (...) La foi qui n’aurait pas d’œuvres est morte dans son isolement » (Jc 2,14-17).

Sortons donc de notre isolement !
Prions pour l’environnement !
Agissons en sa faveur !