Homélie du cardinal André Vingt-Trois lors des ordinations sacerdotales 2014

Cathédrale Notre-Dame de Paris, le 28 juin 2014

 Ac 12, 1-11 ; Ps 33 ; 2 Tm 4, 6-8.17-18 ; Mt 16, 13-28

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Homélie du cardinal André Vingt-Trois

Frères et Sœurs,

Nous le savons, pour beaucoup d’hommes et de femmes dans le monde, la pluie est une bénédiction du ciel. Donc, avec eux, nous rendons grâce à Dieu de nous envoyer sa bénédiction aujourd’hui. Depuis le commencement du monde, la voix de Dieu s’est fait entendre pour susciter la vie et pour créer des êtres capables de le connaître et de l’aimer. Depuis cette parole de l’origine, Dieu n’a pas cessé de s’adresser aux hommes pour réveiller en eux la communion qu’il avait souhaité établir avec ses créatures. À travers les siècles, il a continué d’appeler des hommes et des femmes pour qu’ils soient les témoins de sa Parole qui fait vivre l’homme. Toute l’histoire d’Israël est traversée par ces générations de guides et de prophètes qui ont vécu dans la foi en la fidélité de Dieu. D’Abraham, père des croyants, jusqu’à Jean-Baptiste, le plus grand des enfants des hommes, en passant par Moïse et les prophètes, le regard d’amour que Dieu porte sur sa créature s’exprime dans un appel persistant à la conversion de vie. Dans les derniers temps, Dieu s’est adressé lui-même aux hommes pour toucher leur cœur en envoyant son Filsunique, pour que le monde soit sauvé. Les évangiles nous montrent comment Jésus de Nazareth, le Fils bien-aimé du Père, a parlé et agi pour transmettre cet appel et comment il en a assuré la permanence après son départ en envoyant son Esprit-Saint pour que ses Apôtres, ses envoyés, soient à leur tour les messagers de cet appel de Dieu adressé à l’humanité.

J’ai voulu évoquer brièvement cette longue histoire du dialogue entre Dieu et les hommes et les moyens que Dieu a mis en œuvre pour en assurer la permanence à travers les temps et les lieux, parce qu’elle nous dévoile une constante de l’expérience de la foi : répondre à un appel. C’est cet appel qui structure notre relation avec Dieu, c’est cet appel que j’ai voulu mettre en œuvre dans notre diocèse tout au long de cette année pastorale. Chaque chrétien est appelé pour devenir lui-même porteur d’un appel, chaque communauté eucharistique est appelée, convoquée, pour devenir elle aussi porteuse de cet appel de Dieu à l’humanité. Comme nous le répète sans cesse le Pape François, l’Église ne trouve son identité et sa mission que si elle se laisse conduire par l’appel qui la constitue et que si elle porte cet appel à tous les hommes en tous lieux. Ainsi, nous préparons notre mission de l’Avent 2014 pour donner corps à cette mission de l’Église dans notre immense ville de Paris.

Romain, Thibaut, Alexandre, Sébastien, Paul, Maxime et Ludovic,
C’est sans doute une grâce particulière pour vous d’être ordonnés prêtres au cœur de cette année de l’appel. C’est une grâce pour ne pas oublier le sens premier du ministère apostolique auquel vous êtes associés : porter la Bonne Nouvelle aux pauvres de ce monde. C’est aussi une grâce de vivre votre réponse à l’appel de Dieu comme une démarche éminemment personnelle, ce qu’elle est évidemment, mais une démarche personnelle qui prend tout son sens et sa profondeur par son inscription dans la mission commune de l’Église, ce que nous a opportunément rappelé le Concile Vatican II en articulant l’intelligence du sacerdoce ministériel avec le sacerdoce baptismal de tous les chrétiens. Aujourd’hui en vous consacrant par l’imposition de nos mains nous marquons ce lien intrinsèque entre votre mission personnelle et la mission commune de l’Église. Votre engagement à la suite du Christ n’est pas une simple aventure personnelle qui ne se comprendrait que dans l’arbitraire de votre liberté. Il s’éclaire par la mission commune de toute l’Église. Où que vous alliez, où que vous exerciez votre ministère, que ce soit en Birmanie ou à Montfermeil, que ce soit dans la ville de Paris ou dans la poursuite de vos études théologiques, c’est toute la mission de l’Église qui est engagée dans la mission qui vous est confiée.

Appelés comme tous les baptisés, vous avez reçu en outre un appel particulier. Comme les disciples au bord du lac de Tibériade, vous avez entendu l’appel spécial du Christ à tout quitter pour le suivre et vous mettre au service de l’Évangile. Si Dieu vous a choisis pour consacrer toutes vos énergies à la mission en renonçant à l’exercice possible d’une profession et en renonçant à fonder une famille, ce n’est pas simplement parce que la mission suppose des acteurs à « plein temps » qui ne coûtent pas trop cher. C’est pour donner un signe fort du contenu du message dont vous êtes chargés : devenir témoins du Messie qui accomplira sa mission en livrant sa vie pour la multitude. Nous l’avons entendu dans la lecture de l’évangile, les disciples n’étaient pas spontanément accordés à cette vision du Messie souffrant. Comme Pierre, ils étaient plutôt tentés de détourner Jésus de ce chemin et de devenir ainsi un obstacle à sa mission. Aujourd’hui comme hier, nous espérons tous que Dieu vienne en aide à l’humanité, mais nous sommes plus attirés par les solutions à bas coût. Ne serait-il pas possible de trouver des chemins de salut qui nous épargnent les sacrifices et ne mettent en évidence que le triomphe des victoires ? Oui, tout le monde veut aimer et promouvoir un monde d’amour, mais beaucoup oublient que l’amour, le don de soi supposent des choix et des fidélités qui peuvent faire mal. Témoins et ministres de la miséricorde de Dieu à l’œuvre, nous ne pouvons pas recevoir cette mission du Christ sans qu’elle investisse et consume toute notre vie, dans toutes les dimensions de notre personnalité et pour tous les temps de notre existence. C’est à ce prix, et à ce prix seulement, que l’annonce du salut peut être prise au sérieux.

Toutes celles et tous ceux qui vous entourent aujourd’hui : parents, familles, amis, relations de travail, et catholiques de Paris mesurent à quoi vous êtes appelés et quelle est la grandeur de votre réponse, en même temps que sa fragilité. Appelés à tout donner, vous ne pouvez espérer répondre à cet appel par une simple détermination personnelle qui fonderait le sérieux de votre réponse. C’est l’Esprit de Dieu lui-même qui vous saisit et vous transforme pour que, de jour en jour, votre vie s’identifie de plus en plus à la vie du Christ. C’est la seule clé qui peut vous permettre d’avancer sans présomption et avec une confiance totale en celui qui vous a appelés.

Ce chemin dans lequel vous êtes appelés à tout donner pour la mission, vous ne le parcourrez pas seuls. Vous entrez dans un presbyterium vivant qui est heureux de vous entourer aujourd’hui et de vous accueillir en son sein. Permettez-moi de saluer particulièrement les prêtres que l’âge ou la maladie ont empêché de se joindre à nous et qui s’unissent à notre prière grâce à KTO ou à Radio Notre-Dame. Je salue aussi très cordialement les prêtres jubilaires. Je suis heureux de leur rendre hommage, en particulier à ceux qui célèbrent le jubilé de leur ordination : 10 ans, 25 ans, 50 ans, 60 ans, 65 ans, et 70 ans de sacerdoce. A sa manière , chacun, selon ses talents, a accompli les missions confiées. Mais surtout, tous ensemble, ils nous ont montré qu’une vie donnée tout entière à la suite du Christ permet à un homme de trouver sa pleine dimension. Qu’ils en soient remerciés. Grâce au ministère qu’ils ont exercé, nous voyons les communautés chrétiennes de Paris manifester une vitalité réelle. Comme chaque année, cette année, nous avons baptisé plusieurs centaines d’adultes et de jeunes. Pendant la Vigile de la Pentecôte, ici-même à la cathédrale, plus de 400 adultes ont reçu la confirmation.

Cette vitalité de notre Église n’est pas pour le seul bénéfice des croyants. Elle représente aussi une espérance pour tous nos contemporains. À l’heure où le respect de la dignité humaine et de la vie personnelle est arbitrée par des décisions de justice, vers qui tourner son regard pour sortir d’une vision utilitariste et technologique de la valeur de chaque vie humaine ? Qui aime assez l’humanité pour ne pas la juger sur ses performances physiques ou relationnelles ? Qui est prêt à engager sa vie pour que soit reconnue la valeur suprême de la personne humaine ? Ce sont ces questions qui assaillent aujourd’hui les consciences droites et qui les inquiètent. Seule la conviction fondée que l’amour de Dieu confère à tout être humain une valeur transcendante peut soutenir celles et ceux qui refusent de traiter leur semblable comme un objet sans droit.

En terminant, je vais vous faire une confidence. Il y a aujourd’hui exactement quarante-cinq ans et avec 9 autres diacres, que j’ai été ordonné prêtre dans cette cathédrale par le cardinal François Marty. Au cours de ces quarante-cinq années écoulées, il m’a été donné d’entendre beaucoup de discours sur la foi et l’Église. Ils n’étaient pas toujoursencourageants… c’est le moins que l’on puisse dire. Nous avons reçu régulièrement des faire-part annonçant la fin du christianisme, le vieillissement irrémédiable des communautés catholiques, la perte de pertinence de la doctrine chrétienne face aux grandes questions de l’existence, etc. Mais, grâce à Dieu, tous ces faire-part ne se sont pas transformés en célébration d’obsèque. Grâce à Dieu, ils ont peut-être suscité chez nos frères et sœurs chrétiens une réaction certaine et aujourd’hui, vous le savez, beaucoup d’hommes et de femmes attendent que l’Évangile leur soit annoncé et que le Christ devienne leur espérance. À ceux qui se posent la question de répondre à l’appel du Christ et à s’engager dans le ministère sacerdotal, je veux dire : vous ne montez pas sur un bateau à la dérive, mais sur la barque de Pierre, certes bouleversée par les tempêtes mais prête à adapter son action aux conditions nouvelles auxquelles nous sommes confrontés. Comme pour les disciples, Dieu continue d’ouvrir pour nous la « porte de fer » (Ac 12, 10) et il continue d’ouvrir aux païens la porte de la foi (Ac 14, 27).

Bienvenue à tous ceux que le Christ appelle à rejoindre son équipage. Amen.
+André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris

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