L’archevêque Anastasios, un amoureux de la science devenu apôtre de la paix (Marianne Ejdersten)

L’archevêque Anastasios de Tirana, Durrés, et toute l’Albanie a accordé une interview au service d’information du Conseil œcuménique des Églises (COE). Cette conversation s’est déroulée dans la résidence de l’archevêque, à Tirana. Bien connu pour son abord cordial et paisible et pour ses discours stimulants, rien ne semble impossible à cet homme. Il s’est battu face à une multitude de difficultés, notamment une grave maladie et de dures persécutions, et il a été appelé à assumer de nouvelles fonctions à 62 ans.

23 décembre 2015
Version française publiée le 14 janvier 2016 par Marianne Ejdersten*
Bien connu pour son abord cordial et paisible et pour ses discours stimulants, rien ne semble impossible à cet homme. Il s’est battu face à une multitude de difficultés, notamment une grave maladie et de dures persécutions, et il a été appelé à assumer de nouvelles fonctions à 62 ans. Il s’est investi dans un pays dont la langue et la culture lui étaient inconnues : il est arrivé en se déclarant officiellement athée dans le seul État où on lui a demandé de rebâtir l’Église, à Tirana, en Albanie. 24 ans plus tard, il a accueilli à Tirana le colloque du Forum chrétien mondial (FCM) du 1er au 5 novembre. C’est là que se sont retrouvés 150 dirigeants de haut niveau et représentants de diverses traditions ecclésiales, venus de plus de 60 pays, pour écouter et apprendre et pour manifester leur solidarité avec les Églises et les chrétiennes et chrétiens victimes de discrimination et de persécution dans le monde aujourd’hui. « C’est le fruit de ce que nous faisons ensemble en Albanie », a déclaré l’archevêque Anastasios de Tirana, Durrës et toute l’Albanie.

L’archevêque Anastasios de Tirana a accordé une interview au service d’information du Conseil œcuménique des Églises (COE). Cette conversation s’est déroulée dans la résidence de l’archevêque, à Tirana.

Depuis que j’ai fait sa connaissance en 1997, cet apôtre de la paix et de la réconciliation est l’un de mes plus grands modèles. Je le sais bien : je ne suis pas la seule, et de loin, à être dans ce cas. Nous nous rencontrons dans le bureau de sa résidence au lendemain de son 86e anniversaire. Il m’accueille très cordialement et m’offre du café grec et des biscuits. La salle accueillante est parée de couleurs chaudes, de fleurs et d’icônes. Tout cela raconte l’histoire de l’archevêque Anastasios, parfois exposé au danger. Un panneau vitré double a arrêté une balle qui lui était directement destinée. C’est un tireur embusqué qui avait appuyé sur la gâchette, lors des troubles politiques qui, en 1997, ont plongé dans le chaos l’Albanie, pays majoritairement musulman, et qui ont failli emporter l’archevêque. « Je garde cette fenêtre, note-t-il, pour me rappeler que la vie peut se terminer en une seconde. Il ne faut pas perdre un seul jour. »

Il est peu de gens qui emploient leurs journées aussi pleinement que l’archevêque Anastasios. Frêle mais énergique, il a, en 24 ans, surmonté d’immenses obstacles pour réaliser un quasi-miracle dans l’un des pays les plus pauvres d’Europe.
De la Grèce à l’Albanie en passant par l’Afrique.

Né dans une famille religieuse au Pirée (Grèce) le 4 novembre 1929, il s’intéressait, dans son enfance, à la science ; mais son attitude a changé après les quatre années d’occupation de la Grèce par les nazis, qui a apporté la crainte, la destruction et les horreurs de la Seconde Guerre mondiale. Il a alors pris conscience que la seule manière de donner un sens à la souffrance était d’œuvrer pour la paix éternelle, celle qui ne peut venir que de Jésus Christ. Il a consacré sa vie et sa carrière à accomplir le mandat donné par Christ.

Son titre officiel est « archevêque de Tirana, Durrës et toute l’Albanie », mais on appelle parfois Anastasios « archevêque de Tirana et de tous ». Il ne rejette pas ce titre : « Je suis l’archevêque de tout le monde. Pour nous, toute personne est un frère ou une sœur. L’Église n’existe pas que pour elle-même, elle est pour tout le monde. »
Au cours des années 1990, les violences qu’a connues la péninsule balkanique ont fait quelque 160 000 morts. S’il est vrai que, dans une large mesure, les conflits avaient pour causes des différends ethniques, la religion a joué un rôle critique dans la guerre qui opposait trois camps : chrétiens orthodoxes, catholiques romains et musulmans. Peu après son arrivée en Albanie en 1992, l’archevêque Anastasios a découvert que son rôle ne se limitait pas à diriger l’Église orthodoxe d’Albanie : « Il faut bien se souvenir que l’Albanie n’avait guère d’expérience de l’indépendance et encore moins de la liberté. » Durant l’ère communiste, de 1945 à 1990, l’Albanie, située juste au nord de la Grèce, est devenue le seul pays au monde à interdire toute pratique religieuse. Un simple signe de croix pouvait vous mener en prison. Toutes les églises, mosquées et synagogues furent détruites ou converties à des usages profanes, tandis que les Albanais, qui sont aujourd’hui au nombre de trois millions, étaient isolés du reste du monde.

L’archevêque se souvient : « L’État albanais a été créé en 1912-1913. Ensuite, pendant 25 ans, on a essayé d’édifier cet État dans le pays le plus pauvre d’Europe. Dans de telles conditions, il est nécessaire de réfléchir à très long terme sur le développement de la société dans son ensemble, de penser non pas sur des décennies mais sur des siècles […] Nous devons mener une réflexion sur ce que signifie être libre. »

Si tu as la foi, reste et lutte
Lorsque le communisme s’est effondré, en 1991, le patriarche œcuménique de Constantinople, chef spirituel des chrétiens orthodoxes, a décidé d’envoyer l’archevêque Anastasios en Albanie pour faire un rapport sur la situation religieuse dans ce pays. Il y a trouvé 1 600 églises détruites et seulement 22 prêtres – qui plus est âgés – seuls survivants des quelque 440 prêtres en service en Albanie avant la période communiste. Pourtant, les Albanais ressentaient désespérément le besoin de liberté religieuse et beaucoup se rassemblaient dans des champs où rien ne subsistait de leurs anciennes églises, à part des cloches brisées.
Il a vu le désespoir sur le visage des Albanais : « J’ai pensé : “Qui va aider ces gens ? Qui va leur donner de l’espoir ? ” Et je me suis dit : “Si tu as la foi, reste et lutte. Sinon rentre chez toi”. » Alors, il est resté. Pendant les dix années suivantes, l’archevêque Anastasios s’est battu pour surmonter des siècles d’hostilité ethnique et religieuse, pour établir une nouvelle Église dans tout le pays.
Il souligne : « Quelque 150 nouvelles églises (grandes et petites) ont été construites, 60 églises et monastères, classés monuments culturels, ont été rénovés et restaurés, et 160 églises ont été réparées. Plus de 70 bâtiments ont été achetés, construits ou reconstruits pour en faire des jardins d’enfants, des écoles, des maisons de jeunes, des centres de santé, des sièges métropolitains, des foyers d’accueil, des ateliers, des soupes populaires, etc. Au total, il y a eu plus de 460 projets immobiliers. »

Pour l’archevêque, tous les aspects de l’éducation sont essentiels. « L’éducation, fait-il remarquer, c’est beaucoup plus que lire des livres et apprendre des faits. L’objectif doit être de former des gens qui soient non seulement capables intellectuellement ou qui aient une spécialisation professionnelle, mais qui soient aussi motivés par le respect et l’amour plutôt que par la cupidité et la crainte.
Dieu ne nous a pas donné un esprit de crainte mais un esprit de force. Ceux qui craignent Dieu ne craignent rien d’autre. »

Des femmes et des hommes au séminaire
Une de ses principales préoccupations a bientôt été de former des gens à se préparer à travailler au service de l’Église.
« Nous sommes confrontés au problème de la pénurie de prêtres. La jeune génération a été élevée dans une ambiance athée ; puis est venu le rêve capitaliste, qui a poussé bien des gens à s’installer à l’étranger. L’odeur de l’argent est très forte. Petit à petit, certaines personnes se rendent compte que l’argent ne fait pas le bonheur, que le bonheur doit avoir sa source dans quelque chose de plus profond.
« Comme vous l’aurez remarqué, au séminaire, il n’y a pas que des hommes, il y a aussi des femmes, peut-être un tiers du total. Autrefois, le rôle des femmes était essentiellement au foyer ; mais maintenant elles ont une vie en dehors de chez elles, et l’Église doit utiliser leurs dons. Les femmes exercent une autre forme de service dans l’Église. Il y a beaucoup de femmes diplômées du séminaire qui jouent un rôle important dans les activités de l’Église d’Albanie : dans les œuvres de diaconie et de miséricorde, dans l’enseignement, l’administration, les activités missionnaires, et ainsi de suite. Sans elles, nous aurions réalisé beaucoup moins de choses. »

L’Église devrait être présente
L’archevêque souligne que l’Église devrait être présente dans tous les domaines de la vie. Il a lancé des programmes de soins de santé, d’enseignement et de développement, des projets d’aide sociale et de secours, des projets dans les domaines de la culture et de l’environnement ainsi que d’autres secteurs nécessaires de la civilisation.
Il déclare : « Dans chaque domaine de la vie, nous devons implanter une dimension spirituelle. La culture, c’est plus que de la technologie ! Plus que tout, c’est le respect de la dignité des gens. La culture implique nécessairement le respect de la création de Dieu. Là où elle existe, il y a de la beauté. »
Les enfants et les jeunes constituent pour l’archevêque une priorité absolue. « Nous avons ouvert de nombreux jardins d’enfants, crèches et écoles. Mon seul regret est que nous ne puissions pas aider plus de jeunes. Nous faisons ce que nous pouvons avec le personnel et l’espace que nous permettent nos moyens. »

Après son ordination, Anastasios est allé en Afrique. « Le soir de mon ordination, en mai 1964, j’ai pris l’avion pour l’Ouganda, pays auquel j’avais souvent pensé et que je désirais tant voir. Je pensais alors que je serais chez moi en Afrique pour le reste de ma vie. Mais le paludisme a mis fin à ce rêve […] Ce fut la première fois que je me suis senti proche de la mort. Je me souviens de la phrase qui m’est venue lorsque j’ai pensé que j’allais mourir : “Mon Seigneur, vous savez que j’ai essayé de vous aimer”. Puis je me suis endormi et, le lendemain, je me suis senti bien ! J’ai subi une seconde attaque lorsque je suis allé à Genève pour assister à une conférence sur la mission. Heureusement, sur place, les médecins ont pu identifier la maladie et savaient comment la traiter. Lorsque je fus suffisamment remis pour quitter l’hôpital, ils m’ont dit de renoncer à retourner en Afrique. »
L’archevêque reprit alors ses études, mais il n’a pas oublié l’Afrique. Avec une bourse, il poursuivit des études post-universitaires en Allemagne, à l’université de Hambourg, de 1965 à 1969. Il se spécialisa dans l’histoire des religions, tout en étudiant l’ethnologie, la missiologie et les études africaines. Sa thèse avait pour thème “Les esprits Mbandwa et le cadre de leur culte – Recherche sur la religion africaine de l’Ouganda occidental”.

Mouvement œcuménique local et global
En 1969, le COE proposa à Anastasios un poste à la Commission de mission et d’évangélisation, comme « secrétaire pour la recherche et les relations avec les Églises orthodoxes ». Par la suite, il fut le premier président orthodoxe de la Commission de mission et d’évangélisation (1984-1991), et c’est lui qui présida la Conférence mondiale de la Commission de mission et d’évangélisation à San Antonio (1989).

Puis, en janvier 1991, le Patriarcat œcuménique décida de rétablir l’Église d’Albanie. Deux mois après son 61e anniversaire, Anastasios reçut un appel téléphonique du Patriarcat de Constantinople : on lui demandait s’il accepterait d’aller en Albanie pour voir s’il restait quelque chose de l’Église orthodoxe. Au départ, il n’était pas prévu qu’il s’y installe définitivement : il s’agissait simplement de voir si l’Église locale pourrait revivre, et de quelle manière.

Il raconte : « Ce n’est que plus tard que les autorités du Patriarcat m’ont demandé si je serais disposé à accepter d’être élu archevêque d’Albanie. J’ai pris le temps de réfléchir et de prier et j’ai accepté, à trois conditions. Il fallait d’abord qu’il soit bien clair que cela correspondait au vœu des orthodoxes d’Albanie ; ensuite, que c’était bien ce que désirait le Patriarcat œcuménique ; et, enfin, que les autorités albanaises acceptent cette décision, faute de quoi cela ne ferait qu’aggraver la situation de l’Église. Ma réponse était donc bien loin d’un “oui” ! J’étais comme Jonas, cherchant un moyen de me défiler ! Mais, au-dedans de moi, je priais : “Que votre volonté soit faite ! ” »

Et d’expliquer : « Il est vrai que, sur place, les orthodoxes ont fortement insisté pour que je reste ; comment pouvais-je leur refuser cela ? Pouvais-je leur dire que ce n’était pas ce que j’avais prévu pour le reste de ma vie ? Chaque jour, ils priaient pour moi. Rester en Albanie, cela revenait à écarter définitivement les idées que j’avais sur ce que je voulais faire pour le reste de ma vie. J’avais envisagé une paisible retraite en Grèce, à faire des conférences à l’université et à écrire des livres.

« Pour moi, une chose importante a été non seulement d’apprendre l’albanais mais de veiller à ce que, quand je dis quelque chose, je ne me contente pas de me faire comprendre mais de le dire bien ».

L’un des investisseurs et créateurs d’emplois les plus sérieux d’Albanie
Pour l’archevêque, les compétences linguistiques, l’éducation et les bâtiments ecclésiaux sont importants. « Souvent, les bâtiments ecclésiaux, c’est plus qu’une structure pour les liturgies. Lorsque nous construisons ou restaurons une église ou un monastère, il faut aussi souvent reconstruire la route. »

« Avec tous nos projets de construction, l’Église est devenue un facteur important du développement économique de l’Albanie. Nous sommes l’un des investisseurs et créateurs d’emplois les plus sérieux du pays », affirme Anastasios. L’un de ses projets les plus ambitieux, qu’il considère comme la clef de voûte de sa mission en Albanie, fut de reconstruire une cathédrale orthodoxe à Tirana pour remplacer celle qui avait été détruite par le gouvernement communiste. Le nom qu’il a choisi pour cette cathédrale symbolise ce qu’il a accompli pour l’Église orthodoxe d’Albanie et la population albanaise : “Résurrection”.

Une vision œcuménique au-delà des Balkans
L’archevêque parle aussi de sa vision œcuménique : « Au-delà d’une perspective balkanique, européenne, nous essayons, avec respect et amour, d’intégrer l’ensemble de l’Église et le monde entier que Christ lui-même a ressuscité, racheté et illuminé par Sa croix et Sa résurrection. La vision œcuménique offre une puissance, une continuité et une perspective spéciales pour chaque situation concrète et locale. En outre, l’accent mis sur l’œcuménicité et la catholicité de l’Église et le regard porté sur le Verbe incarné de Dieu dans l’Esprit Saint offrent à la pensée et à la conscience orthodoxes un horizon ouvert d’une majesté infinie. »

Il fait remarquer que le dialogue interreligieux se limite pas à échanger des mots : « Mon expérience au Conseil œcuménique des Églises, au Comité chargé du dialogue avec les autres religions, m’a aidé, mais ce que nous faisions, c’était de la théorie. Ici, on apprend que, souvent, le meilleur dialogue se fait dans le silence ; c’est de l’amour sans discussions. » Nous pourrions continuer à parler pendant des heures, mais d’autres journalistes attendent dehors. L’archevêque conclut avec un sourire : « On ne peut faire son travail qu’avec amour et humilité. J’ai l’impression d’être encore comme un étudiant, ou comme un missionnaire pour la justice et la paix ! »

L’archevêque Anastasios, né Anastasios Yannoulatos, en grec Αναστάσιος Γιαννουλάτος, en albanais Anastas Janullatos, le 4 novembre 1929, est archevêque de Tirana, Durrës et toute l’Albanie ; à ce titre, il est primat et chef du Saint Synode de l’Église orthodoxe autocéphale d’Albanie. Il est professeur émérite de l’Université nationale d’Athènes et membre honoraire de l’Académie d’Athènes. Il est primat d’Albanie depuis 1992 ; en cette qualité, il a relevé des ruines l’Église orthodoxe autocéphale d’Albanie et a lancé d’importants programmes dans les domaines de la santé, du développement, de l’assistance, de la culture, de l’écologie et de la consolidation de la paix. De 1984 à 1991, il a été président, au COE, de la Commission de mission et d’évangélisation ; de 2004 à 2013, membre de la présidence du Conseil œcuménique des Églises. De 1981 à 1990, il a fait fonction d’évêque de l’Afrique de l’Est, où il a organisé et développé la Mission orthodoxe en Afrique de l’Est ; et, de 1983 à 1986, il a été doyen de la Faculté de théologie à l’Université d’Athènes. Il est président honoraire de la Conférence mondiale des religions pour la paix.
* Marianne Ejdersten est directrice de la communication au Conseil œcuménique des Églises
Source : COE

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