Portrait du bon Pape Jean XXIII par le cardinal Paul Poupard

Conférence de Carême 2003 du cardinal Paul Poupard : 6e figure : “Le bon pape Jean XXIII, homme d’unité et de paix”.

Extrait.

UN MOT SUR SA VIE

Né le 25 novembre 1881, à Sotto-il-Monte, près de Bergame, troisième enfant d’une famille paysanne nombreuse et pauvre, Angelo Giuseppe Roncalli entre au petit séminaire, en 1893, va, en 1900, terminer ses études de théologie à Rome, où il est ordonné prêtre le 10 août 1904. Son évêque, Mgr Radini Tedeschi, en fait son secrétaire, l’aumônier des jeunes, directeur spirituel et professeur d’histoire, d’apologétique et de patrologie, au séminaire de Bergame. Après la guerre où il se dépense généreusement comme sergent infirmier et aumônier, il fonde une maison d’étudiants et s’occupe de l’action catholique et des œuvres missionnaires, tout en poursuivant l’édition monumentale des Visites pastorales de saint Charles Borromée, à Bergame. Il entre ainsi en contact avec le préfet de bibliothèque ambrosienne de Milan, le futur Pie XI, et avec tout le courant du concile de Trente, dont il perçoit la fécondité pour l’Église.

En 1921, la Congrégation des missions l’appelle au Vatican pour réorganiser les œuvres de coopération missionnaire, en particulier la congrégation Propagation de la foi de Pauline Jaricot, qu’il implante en Italie. Sacré évêque, le 19 mars 1925, il va représenter Rome à Sofia comme visiteur apostolique en Bulgarie. C’est le premier contact officiel entre les deux villes depuis un millénaire. Puis, de 1934 à 1944, pendant dix ans, il est délégué apostolique en Turquie et en Grèce, jusqu’à sa venue à Paris, où il est nommé nonce apostolique, le 22 décembre 1944. Le 14 janvier 1945, il remet ses lettres de créance au général de Gaulle et lui présente les voeux du corps diplomatique. Il devient cardinal, le 12 janvier 1953, après huit années de nonciature apostolique marquées par de nombreux contacts, non seulement avec les milieux d’Eglise, mais avec tous. Il sillonne littéralement la France, comme en témoigne son journal. Patriarche de Venise, il est élu pape le 28 octobre 1958, et couronné dans la basilique Saint-Pierre de Rome, il m’en souvient, le 4 novembre. Le concile, qu’il annonce le 23 janvier 1959, s’ouvre le 11 octobre 1962. Il meurt le 3 juin 1963, après un pontificat d’un peu moins de cinq ans.

Sa vie n’a rien d’extraordinaire jusqu’à son élection comme pape. En 1948, il avait alors soixante-sept ans, il la considérait même comme terminée. Ses carnets intimes témoignent au fil des années d’un détachement de plus en plus grand, dans une totale disponibilité au Seigneur : selon sa devise : « Obéissance et paix. » Il y trouve effectivement la paix, la liberté et la sérénité d’une vie donnée. Tel est le secret de cet extraordinaire rayonnement spirituel qui est le sien, celui du bon pape Jean, homme de Dieu ; parmi les hommes.

Sa vie est éclairée par cette confidence de son journal, le Journal de l’âme : « Voilà le mystère de ma vie. Ne cherchez pas d’autre explication. J’ai toujours répété la phrase de saint Grégoire de Naziance : “Ta volonté, Seigneur, est notre paix”. »

UN HOMME D’UNITÉ

Homme de Dieu parmi les hommes, pleinement homme et homme de Dieu, toute sa vie, Jean XXIII a été un homme d’unité. Secrétaire de son évêque à Bergame, il y trouve l’idéal vécu d’un pasteur pour tous en ces moments difficiles ; mais lesquels ne le sont pas dans la vie du monde ? Comme il le dira plus tard :

« L’évêque est la fontaine sur la place du village, la source d’eau vive qui coule pour tout le monde, de jour et de nuit, d’hiver et d’été, pour les petits enfants comme pour les hommes d’âge mûr. On va s’y désaltérer, s’y laver, s’y purifier, y puiser des forces, et rien qu’à la regarder couler, on y trouve sérénité et paix. »

Image de l’eau vive qui coule dans la BibIe, comme un fleuve ininterrompu qui traverse toute l’Histoire sainte, de la Genèse à l’Apocalypse. « Des hommes de toutes les catégories viennent à ma pauvre fontaine. Ma fonction est de donner de l’eau à tous. »

Soldat pendant la guerre, il fait le lien entre ses camarades, par sa bonne humeur, toujours disponible aux uns et aux autres. Représentant du Saint-Siège dans l’Europe de l’Est au milieu de populations divisées par la foi, il recherche toujours ce qui unit, au lieu de mettre l’accent comme tant d’autres, sur ce qui sépare, le tout avec une « candide sincérité » selon l’expression employée par son successeur Paul VI, dans son allocution prononcée avant l’Angélus, le 28 octobre 1973 [1].

Homme d’unité, il le sera en ouvrant le concile œcuménique et en y invitant nos frères séparés, les chrétiens anglicans, protestants et orthodoxes. Homme d’unité, il le fut en recevant des hommes de toute obédience. L’une de ses rencontres parmi les plus émouvantes fut sans conteste celle où il accueillit un groupe d’israélites en leur disant, bras grands ouverts : « Je suis Joseph, votre frère. » Parole biblique, aux résonances profondes.

(...)

Oui, Jean XXIII fut un homme d’espérance, comme l’a souligné son successeur Jean-Paul II :

« La note dominante de son pontificat fut son optimisme... Appelé au gouvernement suprême de l’Église, alors que trois années seulement, à peine plus, le séparaient de son quatre-vingtième anniversaire, il fut d’une jeunesse d’esprit et de cœur telle qu’il semblait être un prodige de la nature. Il savait regarder l’avenir avec une espérance inébranlable ; il attendait pour l’Église et pour le monde, le fleurissement d’une saison nouvelle (...), une nouvelle Pentecôte (...), une nouvelle Pâque, c’est-à-dire, un grand réveil, la reprise d’un chemin plus courageux [2]. »

Comme l’écrivait François Mauriac, au lendemain de sa mort, « Jean XXIII aura été le pape de l’espérance, celui par lequel l’accélération de l’Histoire est devenue l’accélération de la grâce [3]. »

« Obéissance et paix », telle fut sa devise. « Ces simples mots, écrivait-il lui-même dans le Journal de l’âme, dès 1925 – il avait alors quarante-quatre ans –, sont un peu mon histoire et ma vie. »

Sa bonté fut sans nul doute un fruit de la grâce de Dieu, mûri tout au long d’une vie sacerdotale vécue dans l’obéissance à l’Eglise, et en même temps avec foi dans la bonté et la miséricorde de Dieu proche de tous les hommes qui le cherchent. A travers le pape Jean, c’est l’amour de Dieu qui a parlé au monde, et le monde en a été profondément bouleversé.

Le père Leiber, qui fut pendant de longues années le collaborateur du pape Pie XII, a révélé que ce grand pape, au début de la maladie qui devait l’emporter, lui avait fait cette confidence : le sentiment qu’avec sa mort c’était une époque de l’histoire de l’Église qui se terminerait [4].

Et de fait, Jean-Paul II déclarait, c’était le 21 avril 1981, à Sotto-il-Monte :

« Le pape Jean a été un homme d’une merveilleuse simplicité et d’une humilité évangélique. Dans le cours d’un peu moins de cinq ans de son ministère pastoral sur la chaire de Pierre, il a presque donné un commencement à une nouvelle époque de l’Église. Vieillard presque octogénaire, il a manifesté la jeunesse incroyable de l’Église. Un homme passionné de tradition a donné le commencement à une nouvelle vie dans l’Église et dans la chrétienté. [5] »

Chers amis, cet héritage du bon pape Jean XXIII, homme d’unité et de paix [6], nous est confié.

(...)

 Cardinal Paul Poupard, La sainteté au défi de l’Histoire. Portrait de six témoins pour le IIIème millénaire, Presses de la Renaissance, 2003.

“Ce que fut Jean XXIII”

Jean XXIII vu par les Actualités Française le 5 juin 1963, le surlendemain de sa mort.

[1Osservatore Romano, 29-30 octobre 1973.

[2Jean-Paul II, Audience générale, 25 novembre 1981.

[3François Mauriac, in Figaro littéraire, Paris, 8 juin 1963, p. 20.

[4Cardinal König, Commémoration de Jean XXIII, vingt ans après sa mort, le 8 octobre 1983, salle du synode des évêques au Vatican.

[5Jean-Paul II, Homélie à Sotto-il-Monte, 21 avril 1981, in Documentation catholique, t. LXXVIII, pp. 467-470.

[6Cf. cardinal Paul Poupard, Un pape pour quoi faire ? IIe partie, ch. II : « Jean XXIII, pape de transition », Paris, éd. Mazarine, 1980, pp. 203-230.

Canonisation des bienheureux Jean Paul II et Jean XXIII

Jean XXIII