Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - 3e dimanche de Pâques

Dimanche 26 avril 2009 – Cathédrale Notre-Dame de Paris

Lectures : Ac 3, 13-15.17-19 ; Ps 4, 2.7.9 ; 1 Jn 2, 1-5 ;
Evangile selon saint Luc au chapitre 24, versets 35-48

Homélie du Cardinal André Vingt-Trois

Frères et sœurs,
Tout au long du temps pascal qui nous conduit jusqu’à la Pentecôte, les évangiles du dimanche nous font entendre les récits des apparitions du Christ ressuscité à ses disciples. A travers ces manifestations du Seigneur nous voyons comment, peu à peu, les disciples s’ouvrent à la foi en la résurrection du Christ.
Et nous sommes invités à parcourir le même chemin pour entrer nous aussi dans la foi au Christ ressuscité.

Le passage de l’évangile de saint Luc que nous venons d’entendre, vient à la suite du récit bien connu des disciples sur la route d’Emmaüs. Il en reprend d’ailleurs les accents. Dans cette apparition de Jésus aux onze le soir de Pâques, les questions qui se posent aux disciples concernent l’identité de celui qui se tient devant eux et la forme de sa présence. L’Evangile nous dit en effet « qu’ils croyaient d’abord avoir affaire à un esprit » (Lc 24, 37).
D’une certaine manière c’est absurde puisque par définition un esprit ne se voit pas, alors que dans le cas d’une apparition il y a justement quelque chose à voir. Cependant, il est tellement inimaginable que celui qu’ils ont vu crucifié et enseveli puisse être vivant, qu’ils ne peuvent accepter la réalité même de son apparition. Ils imaginent qu’il s’agit d’un fantôme, comme sur le lac, quand Jésus était venu à eux en marchant sur les eaux. Aujourd’hui nous dirions qu’ils pensent être devant quelque chose « qui n’est pas réel », qui n’est pas de l’ordre de l’expérience.
Pour les aider à surmonter cette difficulté, le Christ insiste sur la matérialité de sa présence, sur son corps, ses mains, ses pieds, « voyez mes mains et mes pieds, c’est bien moi ! Constatez que j’ai de la chair et des os. Un esprit n’a pas de chair et n’a pas d’os et vous constatez que j’en ai » (Lc 24, 39). Celui qui est là devant eux n’est pas une image un peu étrange de Jésus de Nazareth, mais le Seigneur lui-même, « en chair et en os » comme nous disons justement. Ils peuvent le voir et le toucher.
Mais cette présence expérimentable ne suffit pas à les convaincre. L’évangile nous dit que « dans leur joie ils n’osaient pas encore y croire » (Lc 24, 41), en dépit de ce qu’ils le voyaient et pouvaient le toucher.

Il nous est bon de nous arrêter sur cette difficulté quelques instants. Nous sommes tellement habitués à dire que Jésus est ressuscité que c’est devenu presque banal pour notre esprit et notre intelligence. Jésus est ressuscité, cela va de soit. Nous avons du mal à comprendre que pour un certain nombre de nos contemporains, parfois très proches, la résurrection du Christ ne soit pas croyable.
Dans le même chapitre 24 de l’évangile de saint Luc, lorsque les femmes viennent raconter qu’elles ont vu le tombeau vide, les apôtres pensent qu’il s’agit d’un délire (v 11). La résurrection échappe en effet à la raison humaine et au bon sens. On ne revient pas de la mort.
On ne peut pas dire si simplement « Jésus est ressuscité, cela va tout seul ». Car cela ne va pas tout seul ! Nous voyons que même les disciples qui l’ont connu, le reconnaissent et peuvent toucher son corps, n’osent y croire. Ils sont dans la joie mais ne croient pas encore. Nous aussi, nous devons entrer dans cette joie et cette crainte des disciples qui découvrent le Christ ressuscité. Il est juste de ne pas oser y croire, parce que c’est inimaginable.

Pour surmonter une deuxième fois cette retenue, le Christ leur demande à manger et ils lui offrent « un morceau de poisson grillé qu’il mange devant eux » (Lc 24, 41-43). C’est une nouvelle manière de leur montrer qu’il est présent dans la réalité de son corps.

Les disciples vivent l’expérience de la rencontre du ressuscité, ils le voient et le touchent, mais tout ceci suffit-il pour qu’ils comprennent et pour qu’ils croient ? Parfois, nous rencontrons des gens qui nous disent : « Si je voyais un paralytique guérir je croirais. » Mais ce n’est pas si sûr. Dans l’Evangile, beaucoup de gens ont vu les miracles du Christ, et ils n’ont pas cru pour autant.

La foi n’est pas provoquée et entretenue par la survenue d’un évènement que nous expérimentons par les sens, mais par la découverte et la connaissance du sens de cet évènement. Le sens de la rencontre que les disciples font du ressuscité jaillit lorsque Jésus leur explique que sa résurrection est l’accomplissement des Écritures, de la Loi et des prophètes, de ce qu’il avait lui même annoncé.
Quand ceux qui connaissent ces prophéties, parce qu’ils les ont entendues depuis leur enfance ou bien au cours de leur vie commune avec Jésus, quand ceux-ci comprennent que les événements qui se sont déroulés accomplissent ce qui avait été annoncé, ils saisissent alors que celui qui est devant eux est vraiment le Messie, le Sauveur. Jésus leur rappelle ce qu’il leur avait dit quand il était encore avec eux.
Il leur ouvre l’esprit à l’intelligence des Écritures. Il ne s’agit pas simplement de la lettre des textes, que tous les juifs connaissaient parce qu’ils les lisaient et les entendaient à chaque Sabbat à la synagogue. Savoir ce qui devait arriver ne permettait pas de reconnaître que c’était effectivement arrivé. Il fallait quelque chose de plus. Comme il a ouvert le cœur des disciples sur le chemin d’Emmaüs, il leur ouvre ici l’esprit à l’intelligence des Écritures, c’est-à-dire à la foi.

Nous qui découvrons laborieusement la réalité de la Résurrection du Christ, pouvons retenir trois choses de ce récit évangélique :
 Nous aussi faisons l’expérience de la rencontre du Christ ressuscité. Même si nous ne le voyons pas de nos yeux, même si nous ne le touchons pas de nos mains, nous voyons les fruits de sa vie à travers le témoignage rendu par l’Église et dans la vie de ceux qui sont ses disciples aujourd’hui.
 C’est l’accueil de l’Esprit Saint qui ouvre notre intelligence au sens des Écritures et par là à la foi. Notre expérience ne sert de rien si nous ne pouvons pas en déchiffrer le sens grâce à la lumière de la Parole de Dieu lue dans l’Esprit Saint, qui ouvre notre intelligence.
 Enfin, la reconnaissance du Messie Sauveur conduit immédiatement à la mission donnée par le Christ de faire connaître sa résurrection : « c’est vous qui en êtes les témoins envers toutes les Nations, à partir de Jérusalem » (Lc 24, 48).
Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois

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