Homélie du cardinal André Vingt-Trois – 23e dimanche du temps ordinaire - Année B

Cathédrale Notre-Dame de Paris - Dimanche 6 septembre 2009

- Is 35, 4-7 ; Ps 145, 7-10 ; Jc 2, 1-5 ; Mc 7, 31-37

Homélie du Cardinal André Vingt-Trois

Frères et sœurs,
Dimanche dernier l’évangile nous relatait une controverse entre Jésus, les scribes et les pharisiens à propos de ce qui est pur et de ce qui est impur. Immédiatement après cette dispute, l’évangile de Marc poursuit son récit en conduisant Jésus hors d’Israël. Tyr et Sidon, tout comme les villes de la Décapole, étaient considérées comme des régions à majorité païenne. Ce déplacement géographique et ce franchissement de frontières éclairent la discussion dont nous avons été témoins la semaine dernière. Jésus avait dit : « Ce qui est impur ce n’est pas ce qui vient du dehors mais c’est ce qui vient du cœur de l’homme » (Mc 7, 20). Dans ce territoire habité principalement par des païens, Jésus va faire un certain nombre de guérisons et de miracles. Ainsi sera manifesté que les frontières de la mission du Christ et de l’amour de Dieu dépassent les clivages historiques et les limites du seul peuple élu. Par là, nous est signifié l’accomplissement en Jésus de la mission qui a été confiée à Israël d’être témoin de l’Alliance pour l’humanité toute entière.
Le signe de la guérison du sourd-muet dans cette ville de la Décapole peut être l’objet de plusieurs lectures successives.

1. Le premier niveau de lecture est celui du récit. Un homme est blessé dans sa chair, de telle façon que toute communication avec les autres lui est impossible. Et cet homme est guéri par la puissance de la Parole du Christ. La visite de Jésus dans le territoire de la Décapole est d’abord un acte de salut parce que le Christ apporte la guérison à ce sourd-muet, et à d’autres personnes. Mais la venue du Christ ouvre aussi une espérance, parce qu’à travers ces guérisons il annonce que la séparation qui régnait entre juifs et païens est appelée à être brisée, et que les païens à leur tour vont pouvoir recevoir le fruit des promesses faites à Israël.
Nous retrouvons la trace de cette lecture littérale des événements dans la conclusion du récit que nous venons d’entendre. Les gens disent « tout ce qu’il fait est admirable, il fait parler les muets et entendre les sourds » (Mc 7, 37). Les païens qui sont là ne vont pas beaucoup plus loin que l’événement qui s’est accompli devant eux. Ils admirent le thaumaturge qui fait entendre les sourds et parler les muets. Ils ne comprennent pas que cet évènement accomplit les prophéties qui annoncent la venue du Sauveur. En effet, ils ne connaissent pas ou fort mal les Ecritures, tel que ce texte du prophète Isaïe que nous avons écouté.

2. C’est là une deuxième lecture possible de ce récit. Les signes de la venue du Sauveur donnés par Isaïe sont précisément que « s’ouvriront les yeux des aveugles », que « le boiteux bondira comme un cerf » et que « la bouche du muet criera de joie » (Is 35, 5-6). Les guérisons opérées par le Christ prennent alors une signification particulière. Le juif qui est témoin de ces événements ne peut pas ignorer que ces signes manifestent que Dieu vient lui-même et qu’il vient « pour vous sauver » (Is 35, 4).

3. Un troisième niveau de lecture nous est proposé et il nous concerne directement. Dans ces événements, comment découvrons-nous la puissance de Dieu à l’œuvre à travers la parole du Christ ? Comment comprenons-nous, non seulement qu’il a ouvert les oreilles du sourd et qu’il a rendu la parole au muet, mais encore qu’il réalise la même chose pour nous ? Il ne s’agit plus alors d’une guérison médicale, comme si nous étions sourds et muets comme le sont malheureusement un certain nombre de personnes, mais d’une guérison plus profonde et spirituelle. Car la difficulté pour nous est bien de savoir comment nous entendons et comment nous annonçons la Parole de Dieu. Comme il ouvre les oreilles du sourd, le Christ lui-même vient ouvrir nos oreilles à l’Esprit pour que nous entrions dans l’intelligence de la Parole. Et comme il délie la langue du muet pour le rendre capable de parler, il met dans notre bouche l’annonce même de la parole de Dieu.
La parole - « Effata » - que le Christ prononce sur le sourd-muet en touchant ses oreilles et sa langue est une parole efficace et concerne chacun d’entre-nous. L’ancien rituel du baptême comportait ce rite – le nouveau le propose simplement –, qui consistait précisément à toucher l’oreille et la bouche de celui qui était baptisé pour ouvrir son cœur à la foi et pour le constituer en témoin de la foi.
Qui ouvrira notre cœur et notre bouche si nous sommes devenus muets et sourds ? L’humanité semble parfois sourde à la parole de Dieu. Cela ne vient pas simplement des difficultés des temps ou de l’hostilité des autres, mais aussi du fait que nous ne croyons pas, ne demandons pas et n’espérons pas que Dieu puisse ouvrir nos oreilles et nos cœurs. Si notre Église a tant de mal à exprimer le témoignage de la foi, cela ne tient pas simplement à ce que la foi soit difficile à annoncer à notre temps, car il en a toujours été ainsi. Mais Dieu seul peut ouvrir nos bouches et délier nos langues. Il nous constitue lui-même témoins de la foi. En accueillant avec confiance la parole et le geste du Christ, nous pouvons vraiment devenir auprès de lui de bons auditeurs de bons témoins de la parole de Dieu.

Si nous sommes frappés comme l’étaient les témoins des villes de la Décapole devant les signes que le Christ accomplit au milieu d’eux, si nous aussi sommes tentés de dire : « Ce qu’il fait est admirable, il fait entendre les sourds et parler les muets » (Mc 7, 37), alors nous devons aussi comprendre qu’il nous fait entendre ce que Dieu veut nous dire et qu’il nous rend capable d’annoncer ce que Dieu veut dire à l’humanité. Nous rendons grâce à Dieu pour la puissance de la parole du Christ qui ouvre nos oreilles et nos bouches, et met dans notre bouche la parole de vie que nous avons reçu dans nos cœurs. Amen.

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