Interview du cardinal André Vingt-Trois dans La Croix

La Croix – 30 septembre 2009

Pour l’archevêque de Paris, l’avenir de l’Église dans la capitale passera de plus en plus par les paroisses. Il a rassemblé samedi 26 septembre les conseils pastoraux pour les exhorter à être missionnaires

« Mon rêve, c’est de créer plus de paroisses »

Dès après votre nomination en 2005, succédant au cardinal Lustiger, vous avez lancé les « Assises pour la mission » auprès des paroisses parisiennes. Quel bilan en tirez-vous aujourd’hui ?

Il me semble que les conseils pastoraux des paroisses en sortent renforcés et plus conscients de leur mission. Ces chantiers sont un moyen pour eux de structurer leur travail. Les conseils pastoraux risquent de ne pas toujours voir clairement dans quels domaines investir leurs efforts, ou de s’embarquer dans des projets trop lourds qui peuvent les écraser. Les conseils pastoraux ont pu mettre mieux en œuvre des perspectives claires pour l’avenir.

Dans quels domaines avez-vous le sentiment que les paroisses parisiennes ont le plus investi ?

La solidarité. Avec le Festival de la charité sont apparues des initiatives concrètes, proches des situations locales, et dans beaucoup de paroisses, il existe aujourd’hui un conseil pour la solidarité. Je suis aussi frappé par l’engagement important des chrétiens de Paris pour la jeunesse. Si l’on fait l’addition pour cet été, entre 800 et 1 000 jeunes, professionnels ou étudiants, ont participé à un rassemblement proposé par le diocèse ou les paroisses de Paris, dont 350 au pèlerinage des étudiants de France en Terre sainte. Ils souhaitent aujourd’hui s’engager plus résolument dans la mission. Je pense aussi aux 12 000 enfants et jeunes pris en charge chaque semaine par la Facel (NDLR : les patronages de Paris).

Devant les conseils pastoraux, samedi, vous avez parlé de la nécessité d’une « culture d’objectif » : un langage nouveau dans l’Église ?

Une communauté ne peut se contenter d’avancer au jour le jour. Les paroisses parisiennes agissent avec des moyens limités, elles doivent accepter de ne pas s’investir partout. Il est important de savoir débattre des choix, de définir une action, avec un terme dans le temps, de pouvoir faire le point et éventuellement de ne pas la renouveler. Il faut discerner ce qui est moteur pour la paroisse. C’est le principe d’une vie communautaire. Je crois que cette approche a été entendue, et acceptée. Elle n’a pas été rejetée comme illégitime ou sacrilège.

Vous avez demandé aux conseils pastoraux de se recentrer sur l’Eucharistie, en particulier la messe du dimanche. N’est-ce pas contradictoire avec le souhait que les catholiques de Paris soient plus missionnaires ?

Participer à l’Eucharistie n’empêche pas d’aller sur les places, au contraire ! Mais il est essentiel de repartir du cœur de la foi, à savoir l’Eucharistie. Ce qui est important, ce n’est pas tant notre capacité à franchir les barrières, que de savoir pourquoi on les franchit. Le problème de l’évangélisation n’est pas d’organiser des technoparades ou de grandes manifestations. Cela, tout le monde peut le faire. L’évangélisation, c’est être enraciné dans le Christ et le faire connaître par sa vie.

Vous insistez sur la messe du dimanche, alors que ce jour devient de plus en plus banalisé dans la société…

Si on a pu ainsi bousculer le dimanche, c’est peut-être parce qu’un certain nombre de chrétiens ne savaient pas quoi en faire ni montrer pourquoi ils y tiennent…

Quel est le rôle de l’Église dans une capitale comme Paris ?

Paris est par excellence le lieu du pluralisme, du relativisme, où se confrontent au quotidien des systèmes différents. Ce ne sont pas seulement les individus qui sont différents, mais des systèmes de pensées, de culture, de religion. Dans cette confrontation, l’Église peut être tentée soit de chercher le plus petit dénominateur commun, en effaçant les différences, soit de partir à la conquête du monde, comme si le monde extérieur n’avait jamais rien vu et ne détenait aucune richesse.

Les chrétiens à Paris doivent nourrir deux attitudes : premièrement, le dialogue, la capacité d’entrer en relation avec des personnes qui n’ont pas forcément les mêmes convictions que nous, mais qui ont quelque chose à nous apporter. C’est fondamentalement l’intuition du Collège des Bernardins : si l’on n’est pas capable d’entendre des points de vue différents, on n’est pas non plus capable de faire entendre notre point de vue. La seconde attitude est une fonction d’attestation : nous ne pouvons être en dialogue que si nous sommes capables de dire qui nous sommes et à quoi nous croyons.

L’avenir de l’Église à Paris passe-t-il par les paroisses ?

Oui, et de plus en plus ! La paroisse fait partie du lien social et le nourrit. Mais, à Paris, certaines paroisses sont tellement grosses que leur animation demande un quasi-professionnalisme. Lorsque vous avez une paroisse pour 60 000 habitants, comment développer des relations communautaires ? Plusieurs nouvelles paroisses ont été créées à Paris au cours des quinze dernières années. Nous manquons encore d’églises, et il est difficile d’en construire : la place est rare et chère, il faut se battre pour obtenir quelques mètres carrés dans les nouveaux quartiers. Mon rêve, pour l’avenir, est de pouvoir créer beaucoup plus de paroisses.

Alors que Paris faisait figure d’exception heureuse pour les vocations de prêtres, les chiffres récents montrent que rien n’est gagné à l’avance. Comment susciter un renouveau ?

Les vocations ne trouveront pas leur ressort dans du marketing professionnel, mais plutôt dans une générosité de cœur, par un travail de longue haleine auprès des jeunes et par une idée plus précise de ce que fait un prêtre dans l’Église. Lorsque j’invite les communautés chrétiennes à expliciter leurs objectifs, c’est aussi pour permettre aux prêtres d’être eux-mêmes mieux situés. L’être humain n’est pas fait pour vivre dans un univers indéterminé. Sa vocation est de découvrir que ce que l’on vit est ordonné à un projet. Non seulement un projet personnel, mais, pour le prêtre, de s’identifier au projet de l’Église, dont l’Eucharistie est la source.

Vous êtes à la fois archevêque d’une capitale, président de conférence épiscopale, membre de dicastères à Rome… Comment tout tenir ?

La première recette, c’est… de croire en Dieu ! Car ce n’est pas moi qui fais vivre l’Église, mais Dieu ; nous ne sommes pas les maîtres de la barque, c’est le Seigneur qui en est le Maître. Par ailleurs, j’ai d’excellents collaborateurs et collaboratrices, au niveau national comme au plan diocésain : ils ne sont pas de simples exécutants, ils sont partie prenante de l’ensemble du projet de l’Église. Enfin, tout cela n’est possible que si c’est unifiant. Lorsque je vais à Rome, je ne déserte pas ma mission d’archevêque de Paris. Suivre le Christ, ce n’est pas d’abord supporter l’accumulation de tâches éclatées, mais c’est entrer dans un chemin qui structure ma vie. Je suis au service d’une mission unique, celle de l’Église.

Recueilli par Isabelle De Gaulmyn.

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