Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Le mariage chrétien - 27e dimanche du temps ordinaire - année B

Cathédrale Notre-Dame de Paris - dimanche 4 octobre 2009

Messe de clôture de l’Assemblée Plénière du Conseil des Conférences Episcopales Européennes.

Homélie du Cardinal André Vingt-Trois
Gn 2, 18-24 ; Ps 127, 1-6 ; He 2, 9-11 ; Mc 10, 2-16

Frères et sœurs,

Dimanche après dimanche, l’évangile de saint Marc nous enseigne comment le Christ dévoile aux yeux des disciples les caractéristiques du Royaume de Dieu qu’il est en train de construire avec eux pour le monde. Les passages que nous avons entendus ces derniers dimanches nous ont montré comment les disciples ont été choqués ou troublés lorsque Jésus a révélé qu’il serait un Messie serviteur souffrant (Mc 9, 31) et que celui qui voulait être le plus grand parmi eux devait être le dernier et se faire serviteur (Mc 9, 35).

Dans l’évangile que nous venons de lire, les pharisiens tendent un piège à Jésus. Et dans sa réponse, Jésus formule un enseignement sur le caractère unique et définitif du mariage qui nous paraît encore plus difficile à entendre. Et nous savons combien la simple raison humaine a du mal à l’accepter et à le mettre en pratique.
C’est pourquoi l’évangéliste fait suivre ces paroles difficiles par quelques versets sur les enfants : pour accueillir pleinement les exigences de l’Evangile, il faut être comme un enfant, « le Royaume de Dieu est à ceux qui leur ressemblent » (Mc 10, 14).
 Nous devons donc nous aussi ouvrir notre cœur avec une simplicité et une générosité d’enfant pour accueillir cette parole du Christ dans toute sa plénitude et lui donner toute sa fécondité. Il nous faut accepter de nous laisser guider par notre Père et ne pas nous laisser aller à croire que nous serions devenus plus malins, plus savants ou plus expérimentés que Lui.

Les échecs du mariage et de la vie conjugale frappent aujourd’hui quantité de familles. Ils blessent dans leur cœur et dans leur être, des hommes et des femmes qui se sont donnés l’un à l’autre avec le désir de vivre un amour réel.
Petit à petit, les circonstances de la vie, et pour une part aussi leur difficulté à accepter les conditions nécessaires d’un amour authentique, semblent avoir détruit ce projet. Leurs enfants également aimés de l’un et de l’autre, et également aimants de leurs deux parents, sont blessés à leur tour d’une façon d’autant plus profonde qu’ils ne peuvent souvent pas l’exprimer.
Cette expérience cruelle que font beaucoup de nos contemporains touche nos amis, nos familles, et nous-mêmes parfois. Nous avons tendance à croire que c’est là une situation exceptionnelle et inimaginable en d’autre temps. Il est donc précieux de découvrir à la lecture de cette page d’évangile que cette question déjà était au cœur des préoccupations comme le montre la discussion entre Jésus et les pharisiens.

En demandant à Jésus quel comportement il convient d’adopter, les pharisiens lui tendent un piège : Faut-il appliquer avec toute sa rigueur la loi inscrite dans l’Ecriture ou alors faut-il trouver des accommodements comme celui que Moïse a proposé au Peuple d’Israël ?
Cette question, notre Église la reçoit aujourd’hui aussi comme un piège : Doit-elle annoncer imperturbablement et fermement que l’union de l’homme et de la femme est une union définitive et unique ? Ou bien doit-elle exercer sa mission de miséricorde et apporter la consolation du pardon à ceux qui ont connu l’échec et la souffrance ?

La réponse du Christ au piège ainsi tendu ne consiste pas à choisir entre la fermeté absolue et la fermeté relative. Elle projette le regard et la réflexion dans une autre dimension. Jésus veut faire découvrir à ses auditeurs, et à travers eux à nous tous, que le fondement du mariage unique et définitif n’est pas une loi positive que les hommes auraient fabriquée au gré des circonstances.
Il ne se reporte pas à tel ou tel article de loi, fut-elle la Loi de l’Alliance et la Loi révélée. En effet, Moïse, tout grand législateur de la première alliance qu’il fût, n’a pas eu le pouvoir personnel de définir les conditions du mariage entre l’homme et la femme.
Le Christ rappelle que ce ne sont pas les hommes qui définissent les conditions dans lesquelles doit se réaliser l’union de l’homme et de la femme et renvoie au temps des origines et au projet de Dieu qui « les fit homme et femme » (Mc 10, 6) : la différence sexuelle entre l’homme et la femme est ce qui fonde la communion entre eux, même si elle aussi source de division et d’opposition.
L’union entre l’homme et la femme est dans la nature même de la personne humaine, telle qu’elle a été voulue et créée par Dieu « Au commencement il les fit homme et femme, […] ainsi ils ne sont plus deux mais ils ne font plus qu’un » (Mc 10, 8).

Notre annonce de la nature profonde de l’union de l’homme et de la femme et notre proposition du mariage indissoluble comme un chemin de vie et de bonheur, n’obéissent donc pas à des critères que nous aurions élaborés par nous-mêmes, même à la lumière de la révélation.
Nous n’avons pas fabriqué ces critères, et nous ne pouvons les changer en disant qu’ils ont fait leur temps et que nous devons aujourd’hui en adopter d’autres.
L’homme et la femme n’unissent pas leur vie selon les règles d’une loi contingente mais selon le mouvement propre de leur constitution personnelle qui les pousse l’un vers l’autre, pour qu’ils s’engagent l’un envers l’autre et qu’ils découvrent ensemble la fidélité de leur communion.

Cette merveille inscrite dans la nature de l’existence humaine ne nous met à l’abri ni des tentations, ni des difficultés, ni des échecs. Mais il ne dépend pas de nous de dire que les tentations, les difficultés et les échecs deviendraient la norme, pas plus que nous pourrions dire que Dieu ait voulu que l’homme et la femme s’unissent de manière précaire et provisoire.
Il ne dépend pas de nous non plus de dire que l’homme et la femme ont été conçus de telle façon que leur union produise la fécondité de leur amour à travers leurs enfants, ni d’affirmer que Dieu « les fit homme et femme » (Mc 10, 6) et non pas homme et homme ou femme et femme, ni encore d’accepter que cette union de l’homme et de la femme transcende les cultures, les situations historiques et économiques, les faiblesses personnelles et les situations de souffrance que nous connaissons tous.

En annonçant courageusement ce qui est inscrit par Dieu dans la
nature humaine, l’Église est fidèle à sa mission. Cette loyauté ne lui fait pas perdre sa capacité d’accompagner ceux qui souffrent l’échec et la souffrance et de les associer le plus étroitement possible à la vie de leur communauté et de les voir même aboutir avec le temps nécessaire, à travers cette conversion des cœurs que tous nous devons vivre, à la plénitude de la communion, pour que l’union conclue sous le regard de Dieu trouve son épanouissement à travers l’histoire d’une vie et au-delà même de cette histoire.

Frères et sœurs, rendons grâce à Dieu pour la force qu’il donne aux hommes et aux femmes qui vivent fidèlement leur engagement. Rendons grâce à Dieu pour la joie des enfants qui grandissent avec des parents qui les aiment. Rendons grâce à Dieu pour les époux et les épouses délaissés qui restent fidèles à leur engagement.
Et rendons grâce à Dieu aussi pour ceux qui, ne restant pas fidèles à cet engagement premier, continuent de chercher à vivre de la vie du Christ et de la Parole de Dieu à travers les engagements de leur vie. Que le Seigneur nous donne la force de porter cette parole avec sérénité et avec amour. Amen.
+André cardinal Vingt-Trois

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