12h08 à l’est de Bucarest

Corneliu Porumboiu

Quel drôle de titre ! qui marie la précision du temps et le flou de l’espace. Nous savons l’heure, mais pas le jour, ni l’année, ni le lieu où le film se passe. Le début du film ne nous éclaire pas davantage : nous sommes dans la rue, la ville est déserte, le jour se lève (les réverbères s’éteignent les uns après les autres), il y a un peu de neige. Critique de Bertilie Walckenaer.

Un montage parallèle nous fait découvrir trois hommes qui vont finir par se trouver réunis dans la même image sur un plateau de télévision, le journaliste et ses invités, qui vont tenter de raconter leurs souvenirs de la chute du dictateur, Ceaucescu, le 22 décembre 1989. Ça, au moins, c’est précis, et nous voilà rassurés ; nous allons enfin savoir comment les roumains ont vécu cette révolution que nous avons vue, en France, qu’à travers la télévision et les journaux. Nous ne savions déjà pas grand-chose en réalité de ce qui se passait en Roumanie, et le scandale des images truquées de Timisoara ajouta à la confusion.

Dans le studio de télévision, les choses ne se déroulent pas comme le voudrait le présentateur vedette. Le cameraman ne connaît visiblement même pas le maniement de sa caméra, c’est flou et mal cadré, le plus âgé des deux invités fait des cocottes en papier pendant que l’autre, le professeur, voit son témoignage démoli par les appels des spectateurs qui l’accusent de mensonge et d’ivrognerie et donnent leur version personnelle. C’est comme si l’événement qui avait bouleversé leur vie n’avait en réalité pas existé. Dans cette petite ville, à l’Est de Bucarest, tout le monde était devant la télévision à 12h08, ou bien occupé d’acheter son sapin de Noël. Et l’insistance du journaliste à en savoir plus déclenche querelles et réglage de comptes entre les intervenants.

Trouille, lâcheté et compromission apparaissent ; fouiller le passé est douloureux, et pourtant, nous rions ! Le charme de ce film vient de la tendresse avec laquelle chacun est filmé : alcoolique, lâche, vénal, mais aussi fidèle en amitié, amoureux, courageux. La mise en scène dérisoire de l’émission de télévision et le travail de son cadreur incompétent mais généreux, deviennent alors une parabole de la complexité et de la richesse humaine. Non, la révolution n’a pas eu lieu à l’Est de Bucarest mais elle s’est propagée doucement, comme ces réverbères qui s’allument petit à petit à la fin du film, laissant malgré tout des zones d’ombre, des oubliés de l’histoire qui n’ont pas su évoluer, comme le touchant personnage du professeur.

Bertilie Walckenaer

Cinéma