Conclusion par le cardinal André Vingt-Trois de l’Assemblée plénière de mars 2010

Lourdes – Vendredi 26 mars 2010

Dans quelques jours, nous allons entrer dans la grande semaine de Pâques. Dans chacun de nos diocèses, nous célébrerons la Messe Chrismale avec notre presbyterium et les représentants de toutes les paroisses. Vivant de la communion de l’Église, nous entrerons dans le Triduum pascal pour faire mémoire de la mort et de la résurrection du Seigneur, le cœur de notre foi et de notre vie ecclésiale.

Cette année, nous aurons la grâce de vivre ces fêtes en communion avec tous les chrétiens, puisque la Pâque sera le même jour pour tous. Nous serons donc dans une communion plus étroite encore avec nos frères orientaux auxquels nous adressons un salut fraternel, particulièrement à ceux qui rendent témoignage au Ressuscité dans les tribulations ou les persécutions. Dans beaucoup de nos diocèses, nous aurons la joie d’une célébration œcuménique avec tous nos frères chrétiens.

Cette année, notre Église catholique célèbre Pâques dans un climat de suspicion et de tristesse. Les cas de pédophilie révélés dans certains pays d’Europe sont une cause de scandale pour beaucoup de nos contemporains et plongent les catholiques dans la honte et le désarroi. La lettre du Pape aux catholiques irlandais exprime la compassion pour les victimes, reconnaît courageusement les erreurs et les fautes passées et appelle à des mesures strictes pour éviter que de pareilles abominations se reproduisent. Naguère, nous avions nous-mêmes engagé un long travail sur ce sujet qui a abouti en 2002 à la publication d’un ouvrage à destination des éducateurs : Lutter contre la pédophilie. Les mesures que nous avions alors préconisées demeurent pertinentes et nous appelons tous les éducateurs à les travailler et à les appliquer. Nous sommes confrontés à un problème qui concerne toute notre société, et pas seulement l’Église. Nous aurions été intéressés de voir d’autres institutions faire un travail équivalent au nôtre.

Devant la campagne de dénigrement et de calomnies qui s’organise pour salir la figure du Pape, nous avons voulu lui adresser un message de solidarité et de communion. Nous savons tous avec quelle vigueur il a agi, d’abord comme Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, puis comme Souverain Pontife, pour mettre à la disposition des évêques des moyens de gérer énergiquement et clairement les situations délictueuses.

Cette épreuve que nous traversons doit renouveler notre vigilance. Elle ne doit pas cependant occulter les autres réalités de notre vie ecclésiale. L’immense majorité des prêtres de nos diocèses vivent leur engagement dans la fidélité et la joie du service pour lequel ils donnent leur vie. Les milliers de catéchumènes qui vont recevoir les sacrements de l’initiation à Pâques manifestent que la foi continue de porter ses fruits.

Nous sommes émerveillés par les signes de renouveau que manifestent les catéchumènes et les « recommençants ». Nous sommes aussi interrogés par de nouvelles façons de vivre la foi qui se développent dans les nouvelles générations, et les communautés. Les rassemblements comme les JMJ, l’attrait de Taizé et d’autres groupes qui invitent à des modes de vie plus sobres, le succès du pèlerinage étudiant en Terre Sainte en juillet 2009, montrent les voies d’un autre avenir : nouveaux engagements sociaux et ecclésiaux, expériences spirituelles décisives.

La vie chrétienne continue d’intéresser et de rassembler : nous sommes davantage vivants que nous ne le croyons nous-mêmes. Nous passons à travers une épreuve réelle qui sollicite notre foi, dynamise notre espérance et réveille notre charité : n’est-ce pas l’épreuve de Pâques, le passage, avec le Christ, de la nuit vers la lumière, de la mort vers la vie ? Avons-nous mesuré le chemin prodigieux que nous vivons depuis cinquante ans ? Les chrétiens eux-mêmes sont devenus de vrais témoins explicites de la foi. Les prêtres et les diacres partagent eux aussi ces changements de notre vie ecclésiale et les assument avec courage.

Cette vitalité de notre Église ne nous autorise pas à oublier les difficultés auxquelles nous sommes confrontés : les signes de la présence chrétienne dans la société s’estompent, la transmission vers les plus jeunes générations paraît fragile ; nous ne voyons pas bien comment les communautés chrétiennes assumeront d’ici quelques années les charges de leur animation. La baisse du nombre des prêtres rend de plus en plus aléatoire la possibilité de tenir un dispositif ancien, tel que nous l’avons connu. Depuis deux ans, notre Conférence s’est engagée dans un travail de longue haleine : « Demain la vie de nos communautés chrétiennes ».

Nous ne cherchons pas à élaborer un plan national de réforme. Nous voulons plutôt nous soutenir les uns les autres pour mener à bien le travail dans chacun de nos diocèses, dans leurs particularités et leurs diversités. En effet, nous ne partons pas de rien ; ce travail est commencé depuis des années. Au cours des deux décennies écoulées, beaucoup de diocèses français ont célébré des synodes ou mis en œuvre des recherches du même genre. Ces démarches diocésaines ont déjà permis de faire évoluer progressivement les pratiques et l’organisation des communautés. En 2009, un de nos groupes, sous la responsabilité de Mgr Dagens, nous a remis le résultat du travail auquel il nous avait entraînés : « Indifférence religieuse, visibilité de l’Église et évangélisation. » Nous avons encore beaucoup à faire pour exploiter ce document qui n’a sans doute pas encore été assez diffusé.

Nos dernières assemblées nous ont permis un échange très riche et intense sur nos différentes réalisations. Au cours de la présente assemblée, l’apport de deux théologiens (le Père J.-F. Chiron et Sœur M.-T. Desouche) a fait ressortir les enjeux théologiques et canoniques de nos travaux. D’une certaine façon, ils ont relancé notre réflexion et soulevé de nouvelles questions. C’est à nous maintenant de prolonger ce travail dans nos diocèses et nos provinces avec les conseils qui nous entourent. Les situations de pauvreté, voire de pénurie, que nous connaissons peuvent aussi être une chance et une grâce. Elles peuvent nous inciter à mieux évaluer les vraies ressources que nous avons.

Le témoignage de M. Robert Rochefort nous a aidés à mieux percevoir et à mieux comprendre certains aspects des changements de notre société. Il a aussi fait apparaître des attentes dont certaines peuvent être perçues par les chrétiens comme une nouvelle opportunité de proposition de la foi dans une société sécularisée. Pourrons-nous, saurons-nous répondre à ces attentes ?

Certes, les communautés d’Église sont plus petites que naguère, mais elles ne sont pas sans réaction : elles savent accueillir des personnes en quête de sens, et des événements qui les dépassent. Elles savent s’organiser, se prendre en main, témoigner de la Parole de Dieu qui les habite. Et Dieu envoie au milieu d’elles des prêtres qui relient entre elles les communautés dont ils ont la charge et les aident à vivre dans la communion de l’Église. Ensemble, ils tournent leurs regards vers le Christ qui se préoccupe de tous les hommes et qui pose sur eux un regard d’amour.

Notre Église retrouve le goût d’être apostolique et missionnaire. Elle est apostolique parce que, depuis vingt siècles, nous recevons la foi au Christ par le témoignage des Apôtres et de leurs successeurs : « As-tu quelque chose sans l’avoir reçu ? » (1 Co 4,7). L’Église est missionnaire parce qu’elle ne serait rien si elle n’était pas animée par l’Esprit de Pentecôte, constamment tournée et tendue vers les autres, vers ceux qui ne connaissent pas le Christ, ceux vers qui le Christ lui-même est toujours tourné : « allons ailleurs, parce que là aussi il faut que j’annonce l’Évangile » (Mc 1,38). Sans cesse, il nous faut appeler les communautés à se laisser entraîner par ce dynamisme missionnaire.

L’année sacerdotale nous a réveillés. Non seulement nous avons continué à appeler des hommes au sacerdoce, mais nous avons aussi osé reprendre plus clairement la parole au sujet du ministère des prêtres. Dans tous les diocèses, les prêtres ont été invités à rendre grâce pour le ministère qu’ils exercent. Surtout, dans beaucoup de nos communautés, ce fut l’occasion de réfléchir sur le ministère du prêtre et sur sa mission, de parler de ces sujets dans différentes rencontres comme dans les familles, de prier pour les prêtres et pour les hommes appelés à le devenir.

Tous ont pu redécouvrir à quel point les prêtres aiment l’Église qu’ils servent avec conviction et désintéressement. Tous ont pu redécouvrir combien l’Église aime ses prêtres qui donnent toute leur vie pour le Christ et le service de tous ceux qui leur sont confiés.

Nous disons à nouveau notre confiance à nos prêtres. Nous pensons aussi aux séminaristes qui doivent accueillir et examiner leur appel dans ce contexte. Leur générosité est soumise à une véritable épreuve. Nous voulons les encourager et témoigner auprès d’eux que le chemin où ils se sont engagés peut leur permettre de connaître un véritable épanouissement. Servir dans le clergé diocésain est une belle mission qui peut rendre un homme heureux.

Qui entendra l’appel à servir le Christ et nos frères humains en rejoignant les prêtres de nos diocèses ?

Cardinal André Vingt-Trois
archevêque de Paris
Président de la Conférence des évêques de France

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