Interview du cardinal André Vingt-Trois dans Le Parisien

Le Parisien – 3 avril 2010

En ce dimanche de Pâques, l’Église catholique, secouée par les scandales pédophiles, n’est pas à la fête. L’archevêque de Paris dénonce une campagne de « dénigrement ».

Mgr Vingt-Trois : « Une campagne de dénigrement qui vise à salir le pape »

Cardinal et archevêque de Paris, Mgr André Vingt-Trois, qui est aussi président de la Conférence des évêques de France, vient de publier Une mission de liberté (Denoël, 18 €). Il célébrait la messe de Pâques ce matin en la cathédrale Notre-Dame de Paris.

Quel est le sens de Pâques aujourd’hui ?

Pâques est la fête centrale de la foi chrétienne et commémore la mort et la résurrection du Christ. Tout l’édifice de notre foi repose sur cet événement. La réalité ne se limite pas à notre expérience de quelques dizaines d’années sur cette terre : il y a autre chose, une autre réalité. Même si je n’ai aucune expérience de ce qui se passe « du côté de chez Dieu », je suis convaincu que la mort n’a pas le dernier mot.

Pâques s’inscrit cette année dans un contexte marqué par les scandales de pédophilie qui éclaboussent l’Église…

Face à ces crimes abominables commis par certains prêtres, un sentiment d’horreur nous saisit. Nous éprouvons tous honte et regret. Les auteurs de ces actes défigurent notre Église. Cela dit, il s’agit non pas d’un déferlement d’actes de pédophilie, mais d’une vague de révélations de faits commis au cours des cinquante dernières années. Si l’on exhumait tous les cas de pédophilie jugés depuis un demi-siècle en France, ça ferait un catalogue de l’horreur dans lequel les religieux sont une minorité. Rappelons qu’en France, actuellement, sur vingt mille prêtres et religieux en exercice, une trentaine sont en prison après avoir été jugés pour des agressions sexuelles, d’ailleurs pas toutes à caractère pédophile.

A travers ces affaires, n’est-ce pas le cardinal Ratzinger, devenu Benoît XVI, qui est mis en cause ?

Il y a une campagne de dénigrement et de calomnies qui vise à salir le pape. Or c’est le cardinal Ratzinger, alors préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi (NDLR : de 1981 à 2005), qui a encouragé les évêques à agir contre la pédophilie en leur demandant de systématiquement transmettre ces affaires à Rome.

Ces scandales ne vont-ils pas remettre en question la règle du célibat des prêtres ?

Non, parce que je ne fais pas de lien entre pédophilie et célibat, pas plus qu’il n’y a de lien entre pédophilie et vie conjugale. Pourtant, c’est dans la vie conjugale qu’il y a le plus de pédophilie : 80 % de ces crimes sont commis dans l’environnement familial. La question n’est donc pas celle du célibat.

Où en est le dossier de béatification de Jean-Paul II, décédé le 2 avril 2005 ?

Il suit son cours. La rumeur disait que Jean-Paul II serait béatifié le 16 octobre prochain. Or ce ne sera pas le cas puisque quatre autres béatifications sont annoncées pour le 17 octobre.

Vous avez déclaré la semaine dernière aux évêques réunis à Lourdes : « Nous sommes davantage vivants que nous ne le croyons nous-mêmes. » Qu’avez-vous voulu dire ?

Le slogan qu’on entend depuis trente ans « Les églises sont vides » n’est pas juste. Allez à la messe le dimanche matin, vous verrez, il y a du monde ! Il existe certes des communes rurales où il n’y a plus ni prêtres ni beaucoup de chrétiens. D’où l’idée que le catholicisme s’éteint comme le bureau de poste, l’école ou la boulangerie. Mais cette situation n’est pas celle de toute l’Église en France. Lorsqu’on a préparé la visite de Benoît XVI à Paris en septembre 2008, on nous a dit : « Si vous faites une grand-messe sur l’esplanade des Invalides, ce sera vide ! » Or il y a eu 280 000 personnes.

Quelle lecture faites-vous des résultats des récentes élections régionales ?

Ces résultats ne reflètent le vote que de la moitié des électeurs. La question, c’est donc de savoir pourquoi les gens ne vont pas voter. Il y a une perte de confiance dans la capacité des politiques à changer les choses. Il y a aussi le sentiment injustifié que le pouvoir régional n’a pas grande influence. Certains électeurs se demandent peut-être enfin comment on peut être à la fois conseiller régional à plein temps et député.

Interdire le port de la burqa n’est juridiquement pas possible, estime le Conseil d’État, qui vient de se prononcer pour une interdiction de la dissimulation du visage…

J’ai toujours dit que la République n’a pas à réglementer les habitudes vestimentaires. Ou alors, s’il s’agit du respect de la femme, il faudrait aussi poser la question des corps dénudés qu’on exhibe notamment sur les affiches publicitaires. En revanche, l’État est dans son rôle lorsqu’il prend des mesures pour assurer l’ordre public. Or le fait de dissimuler son visage peut effectivement poser un problème de sécurité publique.

Propos recueillis par Philippe Baverel.

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