Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Messe à l’Hôpital Saint-Louis pour les 400 ans de la première messe

Hôpital Saint-Louis - mardi 18 mai 2010

 1 Jn 4, 7-16 ; Ps 22 ; Mt 25, 31-46

Frères et sœurs,
Chers amis,

Ce qui est extraordinaire dans la foi chrétienne que nous essayons de vivre, c’est que nous prétendons avoir quelque chose en commun avec Dieu. Pourtant, nous le savons, Dieu est Celui qui n’est pas comme nous, Celui que personne n’a jamais vu, Celui qui échappe à nos sens comme à notre pensée, Celui qui nous déborde de toute manière. Et pourtant, Celui que nul n’a jamais vu est venu partager l’existence humaine. Il est venu vivre au milieu des hommes en la personne de Jésus de Nazareth. Et depuis le temps où Jésus a parcouru les routes de Galilée, de Judée et de Samarie en annonçant une vie nouvelle et en donnant des signes de cette nouveauté, nous savons que nous pouvons réellement entrer en relation avec Dieu.

Mais cette relation n’est pas de l’ordre des rapports interplanétaires ou du spiritisme. Elle se réalise très concrètement à travers des relations humaines. « Celui qui dit qu’il aime Dieu qu’il ne voit pas et qui n’aime pas son frère est un menteur » (1 Jn 4, 20). Nous connaissons que nous sommes vraiment disciples du Seigneur à la manière dont nous nous aimons les uns les autres et à la manière dont nous sommes capables, avec Lui et par sa grâce, de nous mettre au service des autres. Si bien que nous pouvons dire que Dieu a un visage parmi les hommes et que ce visage est rejoint par l’amour, non pas l’amour sentimental, mais l’amour très concret qui s’exprime par le service que nous nous rendons les uns aux autres.

La scène du jugement dernier dans l’évangile de saint Matthieu nous révèle la manière dont seront jugés ceux qui n’ont pas la Loi d’Israël. Les juifs seront jugés par rapport à la Loi puisqu’ils l’ont reçue pour en vivre. Mais comment seront jugées la vie et la conduite de ceux qui n’ont pas la Loi ? A quoi va-t-on reconnaître l’intention de leur cœur et la réalité de leur vie ? L’Evangile que nous venons d’entendre nous enseigne que le poids de leur vie correspondra à la manière dont ils ont servi les autres et particulièrement les plus petits. Ce qu’ils ont fait aux plus petits des hommes sera retenu à leur crédit et ce qu’ils ont refusé aux plus petits sera mis à leur débit.

Le récit de l’évangile va plus loin et nous fait découvrir que le service de nos semblables atteint en fait la personne de Dieu lui-même. Tout geste, toute action et toute démarche pour venir en aide à notre prochain nous met objectivement en relation avec Dieu, même si nous n’en n’avons aucun désir et aucune conscience. Ainsi dans l’évangile certains demandent : « Mais Seigneur, quand t’avons-nous vu ? Quand sommes-nous venus te visiter ? Quand t’avons-nous donné à manger, à boire ? Quand t’avons-nous vêtu ? » (Mt 25, 37). Et Dieu leur répond : « Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces petits qui sont les miens, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25, 40). Ainsi le jugement de Dieu sur nos vies n’est pas simplement une somme de déclarations contradictoires. Il est le dévoilement d’une réalité qui restait cachée même à nos propres yeux.

Tout ceci n’est pas une manière de dire que tout acte de solidarité est de nature chrétienne, ou une récupération de tout acte de générosité comme une démarche de foi. C’est la proposition d’un regard de foi sur l’existence humaine : ce qui se réalise de bien et de bon parmi les hommes, ce qu’ils mettent en œuvre de grand ou de modeste pour le soin des plus fragiles ou pour venir en aide à leur semblables ; tout ceci a quelque chose à voir avec Dieu et avec la foi. Et que cela reste voilé aux yeux des hommes ne m’empêche pas de croire ce qu’eux-mêmes ne voient pas, et ne m’interdit pas de rendre grâce à Dieu pour cet immense capital d’amour et de service que la générosité humaine offre. Dans la logique et la démarche de la foi, je reconnais dans cette bonté qui monte du cœur des hommes quelque chose de la réalité de Dieu et de sa présence en ce monde.

Ainsi quand nous célébrons le quatrième centenaire de la construction de l’hôpital Saint-Louis et de sa chapelle, nous faisons mémoire de quatre siècles au long desquels la générosité humaine a été mise au service de la misère humaine de manière très diverse. Nous rappelons les générations d’hommes et de femmes qui ont mis leur compétence, leur savoir et aussi leur sagesse au service de ceux qui souffraient. Nous faisons également mémoire de la souffrance qui a été vécue dans ces lieux et de l’espérance qui a traversé cette souffrance. On doute parfois que la parole d’espérance du médecin à son malade soit authentique. On le soupçonne de vouloir l’encourager pour lutter sans être lui-même convaincu du succès. Et pourtant, dans cette parole d’espérance et cette volonté de combattre jusqu’au bout, il y a pour toute personne frappée dans sa chair une aide et une lumière véritable : elle n’est pas abandonnée à la mort, elle n’est pas isolée dans les combats et rejetée hors des vivants. Elle est au contraire accompagnée, encouragée, soutenue et consolée même quand il faut renoncer à bout de moyens.

Frères et sœurs, le drame de la maladie traverse l’existence de tant de nos contemporains et de tant de familles. Il suscite tant de souffrance et de larmes. Nous pensons que nous pouvons le rendre moins insupportable si nous apportons le réconfort d’une présence pleine d’espérance, non pas parce que nous pourrions garantir le succès des soins, mais parce que nous garantissons le prix inestimable de chaque existence.
Nous rendons grâce à Dieu pour cette foi, pour cette espérance et pour cette charité. Nous lui demandons de renouveler en notre temps les merveilles qu’il a accomplies au long de ces quatre siècles, de raviver en nos cœurs le désir de nous mettre au service de nos frères et de trouver notre joie dans l’accompagnement de ceux qui souffrent. Amen.

+André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris

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