Homélie de Mgr André Vingt-Trois

Cathédrale Notre-Dame de Paris - dimanche 19 février 2006

Evangile selon Saint Marc chap.2, versets 1-12.

Frères et Sœurs,

L’Évangile selon saint Marc continue de nous conduire pas à pas dans la découverte de la personne de Jésus. Vous vous souvenez sans doute que dimanche dernier nous avons entendu et médité le récit de la purification du lépreux. Nous étions invités à l’interpréter comme le signe que Dieu, en la personne de Jésus, purifiait l’humanité mais, d’une certaine façon, rien n’était expliqué.

Aujourd’hui, nous voici à nouveau à Capharnaüm, nous voici à nouveau dans « la maison ». C’est celle de Simon, nous la connaissons bien désormais, et nous savons que ce n’est pas sans dessein que saint Marc l’appelle « la maison » tout court. A nouveau, voici Jésus entouré, pressé par une foule nombreuse comme c’était le cas déjà dans la journée précédente à Capharnaüm. Des gens de toutes sortes viennent entourer le Christ et attendent de Lui quelque chose, et encore une fois l’évangile selon saint Marc nous indique la première chose que Jésus donne à la foule : il proclame la Parole. Jésus est présenté par saint Marc d’abord comme celui qui enseigne longuement le peuple.

Le voici ici qui proclame la Parole. On lui amène ce paralysé que ceux qui le portent sont obligés de faire passer par un trou pratiqué dans la terrasse afin de le descendre devant lui. Si vous avez prêté attention à la lecture qui a été faite, vous vous êtes aperçus que, de façon étonnante, personne ne dit rien. Seul Jésus parle, ou l’évangéliste qui commente à sa façon en évoquant ce qui était dans la tête des scribes et des pharisiens qui entouraient le Christ. C’est une sorte de commentaire en « voix off », si nous employons notre langage moderne. On voit la scène, les personnages ne disent rien mais le récitant dit quelque chose : « Il blasphème ». On n’a rien demandé à Jésus, ni guérison, ni rien d’autre, on a juste fait une démarche assez spectaculaire en descendant le brancard par la terrasse qui a été ouverte pour que tout le monde s’en aperçoive. Jésus, de lui-même, décide ce qu’Il va donner à cet homme qu’on lui a amené. « Voyant leur foi, Il dit au paralysé : Mon fils, tes péchés sont pardonnés ». Voyant la foi des hommes qui avait amené le paralysé, Il lui pardonne ses péchés. En suivant nos souvenirs de catéchisme, nous pourrions imaginer que Jésus, voyant la contrition du paralysé, lui pardonne ses péchés, mais ce n’est pas la contrition du paralysé qui est montrée par l’Évangile, c’est la foi des porteurs. Comme s’il s’agissait pour nous de découvrir quelque chose que la suite du récit va nous faire comprendre : le Christ est venu d’abord pour délivrer l’homme de son péché avant de venir pour le guérir. S’il le guérit, comme il va le faire un peu plus tard, c’est pour donner un signe, pour authentifier, en quelque sorte, le pardon qu’il a accordé par un signe miraculeux. Jésus se présente ici, l’évangile selon Marc nous présente ici la personne de Jésus, non plus simplement comme celui qui guérit, celui qui purifie de la lèpre, mais comme celui qui délivre du péché. D’une certaine façon, ce récit nous fait progresser d’un pas supplémentaire dans la découverte de l’identité de cet homme, dont les scribes et les pharisiens disent à juste titre, qu’il blasphème, car s’il n’est qu’un homme, comment peut-il s’arroger ce pouvoir divin de pardonner les péchés.

A travers ce récit du paralytique, nous commençons une controverse qui va se développer dans la suite de cet évangile selon saint Marc dans les chapitres 2 et 3 que nous lirons encore dimanche prochain puis que nous reprendrons après le temps pascal. Faut-il reconnaître le Fils de Dieu ou Dieu lui-même dans cet homme ? Cela n’est pas encore exprimé de manière extérieure, ce n’est encore qu’une rumination intérieure : « Ils raisonnaient en eux-mêmes : Pourquoi cet homme parle-t-il ainsi ? Il blasphème. Qui donc peut pardonner les péchés sinon Dieu seul ? ». Et Jésus, « saisissant aussitôt dans son esprit les raisonnements qu’ils faisaient », leur dit : « Pourquoi tenir de tels raisonnements ? Qu’est-ce qui est le plus facile ? ». Nous sommes tout prêts à comprendre que le plus difficile, c’est-à-dire ce que seul Dieu peut faire, c’est de pardonner les péchés, et pourtant, l’Évangile semble nous donner une autre indication : « Pour que vous sachiez que j’ai le pouvoir de pardonner », il dit au paralysé : « Lève-toi, prends ton brancard et marche », comme si guérir le paralysé était plus difficile que lui pardonner les péchés. On peut comprendre cette explication de l’Évangile, car la guérison est quelque chose qui se voit, tandis que le pardon des péchés ne se voit pas. Jésus peut dire : « Je te pardonne tes péchés », qui pourra vérifier si les péchés ont été pardonnés ? Dans l’ordre des choses constatables, dans l’ordre des choses que l’on peut mesurer, que l’on peut discuter, il est évidemment plus convaincant de faire marcher un paralytique que de dire : « Tes péchés sont pardonnés ». C’est pourquoi Jésus guérit le paralysé mais, ce faisant, il ne fait pas quelque chose de plus difficile que le pardon des péchés, il donne un signe plus significatif ou plus déterminant aux yeux de ses contradicteurs, car c’est un signe irrécusable : « L’homme se leva, prit son brancard et sortit devant tout le monde ». Tous étaient ébahis et se disaient : « Nous n’avons jamais rien vu de pareil » !

Voilà que cet événement nourrit, alimente la question qui va travailler les témoins du chemin du Christ à travers l’évangile selon saint Marc : qui est-il ? Celui qui enseigne avec autorité ? Celui qui guérit les malades ? Celui qui purifie les lépreux ? Celui qui pardonne les péchés et qui relève le paralysé ? On n’a jamais vu cela, on n’a jamais rien vu de pareil ! Qu’est-ce que cet homme qui mobilise l’attention, qui rassemble autour de lui toutes sortes de gens, et qui enseigne avec autorité ? Et l’Évangile, une fois de plus, ouvre pour nous une sorte de perspective pour nous faire pénétrer un peu plus profondément dans l’identité de cet homme. Il n’est pas seulement un sage, il n’est pas seulement un grand prophète, il n’est pas seulement quelqu’un qui fait des miracles, il est doté du pouvoir de Dieu de pardonner les péchés, il apparaît comme celui qui agit comme Dieu. L’Évangile selon saint Matthieu, dans le même récit de la guérison du paralytique, dit qu’ils étaient tous surpris que Dieu ait donné ce pouvoir aux hommes. Voilà un homme qui a le pouvoir divin de pardonner les péchés.

Nous approfondissons donc notre découverte, notre rencontre, de ce personnage énigmatique qui va progressivement se dévoiler comme le Messie et le Sauveur des hommes et qui va progressivement provoquer la foi de ceux qui l’entourent. Nous sommes invités aussi à faire un pas nouveau : vous vous en souvenez, dans le récit de la purification du lépreux, nous avons admiré la démarche de cet homme qui s’approche de Jésus, qui se prosterne, qui dit :« Seigneur, si tu veux, tu peux me purifier ». Je vous avais dit combien nous pourrions inspirer notre prière de cette parole simple du lépreux aux pieds du Christ. Mais nous voici ici devant une autre démarche, qui est aussi destinée à nous éduquer dans notre relation avec le Christ. C’est la démarche des porteurs du paralysé, ils ont eu une foi suffisante pour être convaincus qu’il valait la peine de se donner le mal de porter cet homme sur son brancard, de faire un trou dans la terrasse, de le descendre, et Jésus, voyant leur foi - c’est l’Évangile qui dit que c’est la foi qui les a conduits -, voyant leur foi, dit à cet homme : « Mon fils, tes péchés sont pardonnés ».

Nous sommes invités non seulement à faire la démarche du lépreux qui se prosterne devant le Christ pour implorer sa purification : « Si tu veux, tu peux me purifier », mais nous sommes invités aussi à prendre la suite de ces quatre hommes, à entrer dans le ministère de l’Église qui porte ses membres, dont les membres se portent les uns les autres. Par notre foi, nous sommes invités à accompagner nos frères devant le Christ, à les porter devant Lui, à porter leur attente, à porter leur espérance, à porter leur prière. Ils seront exaucés, non pas en raison de ce qu’ils disent, - car le paralysé n’a rien dit -, non pas en raison de leur attente d’une guérison, - il n’a pas demandé à être guéri -, non pas en raison de leur contrition, - l’Évangile n’exprime pas la contrition du paralysé -, ils vont être exaucés en raison de leur foi.

Comment nous convaincre que nous avons, par la foi, la puissance de faire reposer la marque de Dieu sur l’humanité, en lui présentant cette humanité à travers notre prière, à travers notre démarche ? Comment approfondir en nous la conviction que notre participation à la vie, à la prière et à la communion de l’Église, n’est pas simplement notre participation personnelle, mais qu’elle est aussi notre solidarité avec les hommes et les femmes qui nous entourent, qui n’ont peut-être rien à demander, rien à espérer, rien à attendre, sinon que quelqu’un les prenne par la main, que quelqu’un les porte moralement au moins, que quelqu’un les accompagne devant le Seigneur, et les dépose devant Lui. C’est notre prière quotidienne et c’est la prière de l’Église qui apporte cette humanité paralysée et souffrante et la dépose devant le Seigneur. C’est la foi de cette Église qui suscite de la part du Christ la Parole de miséricorde et de salut, qui suscite le geste de la guérison.

Prions donc le Seigneur, qu’Il développe en nous cette conviction que nous pouvons quelque chose pour nos frères, que nous sommes capables, nous aussi, de porter ceux qui ne peuvent plus marcher, de les amener devant le Christ, de les déposer devant Lui, et de nous mettre avec confiance sous son regard de miséricorde et de puissance.

Amen.

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