Homélie de Mgr André Vingt-Trois – Premier dimanche de Carême

Cathédrale Notre-Dame de Paris – Dimanche 5 mars 2006

Evangile selon Saint Marc, chap.1, versets 12-15.

Frères et Sœurs,

Le temps du Carême dans lequel nous sommes entrés par la célébration des Cendres mercredi dernier, s’ouvre devant nous comme un itinéraire de préparation à la mort et de la résurrection du Christ dans la fête de la Pâque. Ce temps tout particulièrement marque l’ultime étape de préparation pour celles et ceux qui ont demandé à recevoir les sacrements de l’initiation, le baptême, la confirmation et l’eucharistie. Hier après-midi, j’ai procédé à l’appel décisif des 338 adultes qui seront plongés dans le baptême à Pâques, dans notre diocèse de Paris.

Ce chemin qui s’ouvre devant nous, nous sommes invités à le parcourir avec eux, comme des frères, un peu plus avancés dans la vie chrétienne et qui peuvent les soutenir et les encourager, et en même temps comme des baptisés de plus longue date qui ont besoin de rafraîchir en leur vie la nouveauté du baptême. En ces catéchumènes, nous voyons comment l’appel du Christ transforme l’existence humaine ; en les regardant avancer vers le grand jour de Pâques, nous voyons aussi comment nous préparer à vivre dans le Christ le passage de la Pâque, passage de la mort à la vie, passage de la servitude à la libération, passage de la nuit à la lumière.

Chacun des dimanches de ce temps de carême est comme une étape dans cette préparation et une proposition qui nous est faite d’entrer davantage dans l’intelligence du baptême que nous avons reçu, que nous sommes invités à renouveler au cours de la vigile pascale, et dont nous faisons mémoire dimanche après dimanche.

Passage de la nuit à la lumière : nous le vivrons au cours de la vigile pascale dans l’illumination du Christ ressuscité. Passage de la servitude à la liberté : il sera évoqué pour nous par le souvenir de la traversée de la Mer Rouge, où Dieu conduisit son peuple à main forte et à bras étendus, ce souvenir qui constitue le mémorial de la Pâque juive.

Passage de la mort à la vie : c’est le cœur même de l’acte baptismal qui est proposé à notre réflexion. Aujourd’hui, ce passage de la mort à la vie est évoqué pour nous par la référence à l’Arche de Noé. En effet, quand le déluge s’étendit sur la Terre et plongea l’ensemble de l’univers sous ses flots, nous dit la Bible, il ne survécut qu’une petite poignée d’êtres vivants, embarqués par précaution sur l’ordre de Dieu, à bord de l’arche de Noé. De cet événement terrible, quelle que soit la manière dont on l’interprète historiquement, – mais nous n’avons pas besoin de grands spécialistes pour nous aider à comprendre comment l’imagination humaine a pu être frappée par des cataclysmes, nous en avons encore eu l’exemple l’année dernière en 2005 de notre ère lors des raz-de-marée qui ont bouleversé des régions entières –, ne ressort pas seulement le salut opéré grâce à l’arche. Apparaît aussi la double fonction de l’eau : l’eau qui met à mort, l’eau qui extermine, et l’eau qui est source de vie. L’arche de Noé nous est présentée comme l’espérance d’une nouvelle création, développée à partir d’un petit reste choisi par Dieu et qui subsiste après le passage de l’eau. D’une certaine façon, nous pouvons dire que, pour nous, le baptême est le passage de l’eau, ce passage dans lequel la mort fait son ouvre en même temps que la vie ouvre son espérance.

Parfois l’on interprète le baptême chrétien plutôt dans les catégories des rites païens Mais le baptême chrétien n’est pas simplement un baptême lustral qui vise à purifier, par exemple avant d’entrer dans un lieu saint ou avant de faire une prière. L’eau du baptême n’est pas seulement destinée à nous purifier extérieurement, nous dit l’épître de Pierre. Le baptême ne consiste pas en une purification extérieure comme peuvent le faire des bains rituels dans le judaïsme comme dans l’islam, comme dans d’autres religions païennes. Même le baptême de Jean-Baptiste était encore un baptême de purification dans le Jourdain où il accueillait les pécheurs pour qu’ils soient pardonnés. Mais précisément, à partir du moment où le Christ est entré dans la démarche de ce baptême, il en a fait éclater les limites. Il ne s’agit plus simplement d’un baptême de purification, l’enjeu en est autrement important, l’enjeu est un enjeu de mort et de vie. Plonger dans l’eau, c’est mourir ; se relever de l’eau, c’est vivre. Le baptême consiste en cette plongée dans les eaux de la mort pour nous faire nous relever dans la vie du Christ ressuscité. C’est pourquoi saint Pierre nous dit que le baptême n’est pas simplement une purification extérieure mais un engagement envers Dieu pour vivre d’une manière droite. Etre baptisé dans le Christ n’est pas simplement se débarrasser de quelque culpabilité ou de quelques erreurs ou de quelques saletés ; c’est vraiment entrer dans une nouvelle manière d’être qui saisit la totalité de notre personne.

Nous comprenons un peu mieux de ce fait comment l’évangile de Marc nous dit que Jésus, après avoir été baptisé, est poussé par l’Esprit au désert, pour y être tenté pendant quarante jours. Nous comprenons ainsi que la titulature qui a été prononcée sur le Christ au moment de son baptême : « Celui-ci est mon Fils bien aimé, écoutez-le », cette titulature de Fils de Dieu n’est pas une sorte d’achèvement dont il pourrait jouir paisiblement pendant des jours nombreux, c’est un ordre de combat. Devenu Fils de Dieu, il entre dans le combat spirituel où il va être confronté au Satan, à l’esprit mauvais, et où il va être entouré par les anges de Dieu. Nous sommes ainsi aidés à découvrir que notre propre baptême est une sorte de mise en arme, une sorte d’envoi pour que, nous aussi, nous soyons confrontés à ce combat. Non que la tentation soit une succession de désirs malsains à l’égard de choses mauvaises. La tentation est l’épreuve radicale de notre liberté de choisir pour Dieu ou contre Dieu, de vivre selon la foi ou contre la foi. Evidemment, ce choix radical se concrétise à travers des comportements quotidiens, il prend forme dans des fautes, mais la tentation n’est pas d’abord d’être séduit par la faute c’est d’abord d’être séduit par l’esprit qui veut nous détourner de Dieu, comme il l’a fait pour Adam et Ève dans la faute originelle.

Ainsi, Frères et Sœurs, c’est l’Esprit baptismal lui-même qui nous transforme en combattants, en lutteurs, pour le combat de la liberté humaine. C’est l’Esprit de Dieu qui nous conduit à affronter les difficultés de ce monde, et la difficulté principale est l’épreuve d’être confrontés à l’esprit mauvais à travers toutes sortes de circonstances. C’est l’Esprit du Christ encore qui va le pousser vers la Galilée pour devenir le prédicateur de la Bonne Nouvelle, comme l’Esprit nous pousse, nous aussi, vers nos “galilées” d’aujourd’hui, c’est à dire des lieux où se croisent et s’entrecroisent toutes sortes de populations de cultures et de religions pour y être témoins de l’Évangile.

Ainsi, dans notre chemin vers la Pâque, dans l’invitation à nous convertir pour vivre notre baptême d’une façon renouvelée, nous sommes appelés aujourd’hui à mieux prendre conscience de l’enjeu vital de mort et de vie qui constitue le baptême, de l’engagement envers Dieu qu’il représente et que nous devons mettre en ouvre pratiquement dans notre vie quotidienne à travers tous nos comportements. C’est l’espérance que le baptême manifeste puisque, à travers le tissu de notre vie d’aujourd’hui, telle qu’elle est, nous connaissons à la fois le combat contre le Satan mais aussi la victoire du Christ. nous savons que nous sommes enfants de Dieu, et à ce titre entourés comme le Christ l’a été au désert par les anges, ces envoyés de Dieu qui entourent le Fils. Pressés par l’Esprit, nous avons, nous aussi, à mettre en pratique la prédication du Christ : « Le règne de Dieu s’est fait proche, convertissez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle ».

Amen.

+ André Vingt-Trois,
archevêque de Paris

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