Homélie de Mgr André Vingt-Trois - Messe Chrismale 2005

Cathédrale Notre-Dame de Paris - 23 mars 2005

« Une année de bienfaits »

Frères et Sœurs,

1. Assemblés pour écouter le Christ.

La Messe Chrismale que nous célébrons ce soir est comme le portail qui nous permet d’entrer dans la grande célébration des Jours Saints pendant lesquels nous allons communier d’une manière renouvelée au sacrifice du Christ qui est à la fois le signe et la réalisation du salut pour ceux qui acceptent de le suivre, promesse et signe d’espérance pour tous les hommes. C’est donc avec une joie toute particulière que nous nous retrouvons en cette assemblée diocésaine où convergent des représentants de toutes les communautés catholiques de Paris.

Avec vous, je veux d’abord rendre grâce pour les moments intenses qu’il nous a été donné de vivre depuis un mois. D’abord l’action de grâce pour les vingt quatre ans de ministère épiscopal du cardinal Lustiger à la tête de notre Église. Permettez-moi ce soir de lui renouveler l’expression de notre gratitude et de le remercier de sa présence parmi nous. Vous le savez, Monsieur le cardinal, nous demeurons votre Église particulière puisque vous avez choisi de vous retirer parmi nous et nous serons toujours heureux de vous accueillir et de prier avec vous dans les moments importants de notre vie diocésaine.

Ensuite mon installation a été l’occasion d’une très forte célébration dont tous les participants ont éprouvé la vigueur spirituelle. En ce moment si important pour notre Église parisienne, nous avons vraiment ressenti combien la foi au Christ Sauveur était le ciment de notre communion. Par-delà nos différences, il est le fondement de la mission qui nous est confiée d’être témoins de son amour au milieu des hommes de notre temps J’ai déjà eu l’occasion de la dire ici ou là, mais je veux le répéter ce soir devant vous tous, j’ai été puissamment conforté et soutenu par cette célébration. J’ai mesuré combien nous ne faisons qu’un seul corps qui est le corps ecclésial du Christ ressuscité.

Pour la troisième fois en un mois nous avons donc la grâce d’être rassemblés par Dieu comme le Peuple qu’Il s’est choisi et qu’Il envoie dans la grande ville de Paris poursuivre la mission confiée par le Christ à son Église : annoncer la Bonne Nouvelle à toutes les nations et à toute la création. Cette mission, nous venons de l’entendre, était celle du Messie lui-même, venu « annoncer une année de bienfaits, une année de grâce, accordée par le Seigneur ! » Au nom du Christ qui nous rassemble et qui nous instruit ce soir, je veux vous répéter : « Cette parole que vous venez d’entendre, c’est aujourd’hui qu’elle s’accomplit. »

2. Le combat du Christ

Si la liturgie de ce jour évoque la prédication inaugurale du Christ dans la synagogue de Nazareth, c’est pour nous rappeler la mission confiée à Jésus par le Père et pour éclairer, comme par anticipation, les événements tragiques qui vont marquer les jours qui suivent. Il est bien le Messie, envoyé par le Père. Il a bien reçu l’onction de l’Esprit au moment de son baptême par Jean. Il a bien donné les signes puissants de sa prédication et de ses miracles qui annonçaient et qui préfiguraient le salut. Il reste encore à découvrir le dévoilement ultime de cette mission : le don total de sa vie par lequel va s’accomplir le salut de l’humanité.

L’accomplissement de la parole prophétique dans l’aujourd’hui d’Israël, tel que Jésus l’annonce à Nazareth, sera achevé à Jérusalem quand il sera livré et offert dans l’amour passionné des hommes et l’obéissance absolue à son Père. Oui, la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres, mais cette mission s’accomplit dans un combat dont les évangiles nous relatent les principaux moments.

Le combat de la liberté humaine contre la tentation de se mettre à la place de Dieu inaugure la mission du Christ et devient comme la figure de la tentation éprouvée par tout homme libre dans sa volonté de suivre la loi de sa conscience face aux mirages de la possession et de la domination du monde. Nos frères et nos sœurs catéchumènes, engagés dans le chemin de la conversion et du baptême, sont aux premières lignes de ce combat qui n’est pas seulement un combat sur soi-même mais un combat qui les confronte à l’ennemi de l’humanité. Marqués par l’onction de l’Huile des catéchumènes, ils affrontent cette lutte en étant identifiés au combat du Christ au désert. « Aujourd’hui cette parole que vous venez d’entendre s’accomplit »

La souffrance humaine, et spécialement la maladie et les handicaps de la fin de la vie, sont une hantise pour nos contemporains. Ils ne voient dans l’épreuve de la maladie que le non-sens dont la souffrance de l’homme est l’expression évidente. Ils ne discernent plus comment cette souffrance, endurée et offerte dans l’amour, peut grandir celui qui en est affligé et lui permettre de donner un sens humain à un désordre ou à une dégradation naturels et inévitables. L’Onction des Malades, pour laquelle nous consacrons l’Huile des Malades ce soir, permet à ceux qui la reçoivent d’exprimer leur intention de vivre leur épreuve dans la communion au Christ souffrant pour le salut du monde et de recevoir de lui la grâce nécessaire pour exprimer l’amour qui les anime. Comment pourrions-nous oublier en ce temps que le Pape Jean-Paul II, après avoir donné bien des catéchèses sur ce sujet, nous offre le plus bel exemple de ce don d’amour à travers ce qu’il endure et ce qu’il vit en communion avec le Christ pour la vie de l’Église ? « Aujourd’hui cette parole que vous venez d’entendre s’accomplit. »

C’est toute la vie de Jésus qui est louange du Père et engagement dans sa volonté. L’onction de l’Esprit qu’il a reçue au moment de son baptême le saisit entièrement dans toutes les dimensions de sa personne et le consacre tout entier comme « Fils bien-aimé » du Père. De même, le chrétien, baptisé et confirmé dans le Christ, est engendré comme fils bien-aimé dans toutes les dimensions de son existence et cette consécration personnelle est manifestée et accomplie par l’onction du Saint Chrême. Quand nous sommes marqués par l’onction spirituelle, c’est à la fois un prise de possession et une vocation qui s’inscrit en notre être le plus profond. Nous sommes réellement identifiés au Christ, Prêtre, Prophète et Roi pour la louange du Père et le service de sa volonté.

Dans notre Église, le sacerdoce ministériel est institué, vous le savez, par une ordination qui n’est pas un simple envoi en mission que l’on assumerait ou auquel on renoncerait, selon les circonstances, sans que notre personnalité en soit ni atteinte, ni affectée. L’ordination sacramentelle est réellement une consécration qui investit, qui transforme et qui intègre toute la personnalité de ceux qui la reçoivent, diacres, prêtres et évêques. Avant d’être un ensemble de tâches qui en concrétisent la réalisation, l’ordination sacramentelle est une offrande de nous-mêmes, totale et définitive, au service du corps ecclésial. Si bien que ni le diacre, ni le prêtre, ni l’évêque ne se définissent d’abord par des services confiés, mais par une communion offerte avec le Christ Serviteur et Pasteur de son Église. « Aujourd’hui cette parole que vous venez d’entendre s’accomplit. »

3. La mission aujourd’hui.

Le Christ, prêtre, prophète et roi, Serviteur et Pasteur de l’humanité continue sa mission dans l’aujourd’hui de notre Église. Sa mission, confiée aux disciples se poursuit dans notre ville comme il l’a accomplie sur les chemins de son humanité. Et c’est à nous, baptisés, confirmés et ordonnés par l’onction de l’Esprit d’en être les acteurs. Les Huiles saintes que nous allons bénir sont les signes sacramentels de la consécration qui nous institue comme peuple messianique en ce temps. Notre chemin liturgique au long du Triduum pascal va nous ramener aux sources de cette mission et à en raviver l’engagement au cours de la Vigile Pascale en renouvelant les promesses de notre baptême. Ce soir, notre célébration nous replonge dans le statut sacramentel de notre vie de disciples de Jésus.

En cette année de l’Eucharistie, notre communion au Christ est appelée à s’approfondir et à être encore mieux vécue. C’est pourquoi nous ferons une démarche diocésaine le samedi 28 mai au soir avec toutes celles et tous ceux qui voudront bien se joindre à nous, notamment les jeunes qui se préparent aux Journées Mondiales de la Jeunesse à Cologne en août prochain. Dès maintenant retenez votre soirée. Nous commencerons à 21h par une vigile et une catéchèse à la cathédrale et nous monterons à Montmartre où se terminera notre hommage au Saint Sacrement.

Pour nous, diacres, prêtres et évêques, consacrés pour le service de ce peuple sanctifié pour témoigner de la miséricorde du Père et de l’Alliance offerte à l’humanité, nous sommes ce soir au fondement de notre ministère et de l’engagement de nos vies. Vous comprendrez donc bien, Frères et Sœurs, que je m’adresse quelques instants plus particulièrement à ceux que Dieu me donne comme collaborateurs pour la mission. Mes amis, mes frères, je sais que votre ministère vous soumet aujourd’hui à bien des pressions, ne serait ce qu’en raison de notre nombre décroissant et des discernements auxquels cette réduction numérique nous oblige. Nous avons à être des sentinelles vigilantes pour raviver sans cesse le sens de la mission dans nos communautés. Mais ce soir, je voudrais vous inviter d’abord à l’action de grâce. Malgré nos limites et nos tâtonnements, comment ne serions-nous pas gonflés de joie et de gratitude en voyant l’œuvre du Seigneur se poursuivre à travers notre ministère, en voyant le Peuple de Dieu assemblé, dans la foi et par la foi, semaine après semaine dans nos églises et ici ce soir ? Comment ne serions-nous pas plein d’espérance devant la troupe de nos séminaristes qui se préparent avec foi et confiance à prendre leur place dans le corps ecclésial comme ils la prennent ce soir parmi nous ?

Ne vous laissez pas gagner par l’aigreur ou le ressentiment ni abattre par le dénigrement des esprits amers qui ont « l’œil mauvais » parce que Dieu est bon. Je voudrais simplement vous partager un peu de la grâce que Dieu me fait en ces jours ci, de connaître une grande sérénité tellement je suis convaincu que c’est Lui qui mène notre barque sur les flots incertains. « Je sais en qui j’ai mis mon espérance et je ne serai pas déçu. » C’est donc sans états d’âme et sans aucune réserve que je vous invite à renouveler maintenant les engagements de nos ordinations. Je voudrais particulièrement associer à cette démarche ceux de nos frères qui n’ont pu se joindre à nous, soit en raison de leur ministère, soit en raison de la maladie. S’ils nous écoutent ou s’ils nous regardent, je les salue fraternellement et je les assure de notre communion et de notre amitié.

Enfin, je veux m’adresser particulièrement à ceux d’entre vous qui se posent la question de leur avenir. Nous avons en cette ville un peuple nombreux et vivant, comme nous l’a montré « Paris-Toussaint 2004 ». Ce peuple a besoin de pasteurs pour se donner pleinement à sa mission en ce temps. N’hésitez pas à répondre à l’appel de Dieu pour le service de l’Évangile ou du moins à étudier sérieusement cet appel, à l’accueillir dans la prière et à en parler avec un prêtre. Pensez à tout ce que vous avez reçu et que vous recevez de l’Église par la vie sacramentelle. Pensez à la multitude d’hommes et de femmes qui attendent un signal pour accueillir l’amour de Dieu ! Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement !

Enfin, Frères et Sœurs, je vous invite tous à notre grande célébration diocésaine des ordinations sacerdotales qui seront célébrées, comme les années précédentes, ici même le samedi 25 juin à 9h. Venez nombreux encourager vos nouveaux prêtres et prier pour eux et avec eux. Vous avez besoin d’eux, mais ils ont aussi besoin de vous. Nous avons tous besoin les uns des autres. En silence, prions les uns pour les autres.

+ André Vingt-Trois,
archevêque de Paris

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