Homélie de Mgr André Vingt-Trois - Messe à l’intention du Brésil et de la France

Notre-Dame de Paris – Samedi 1er octobre 2005

Le fils du Maître de la vigne chassé hors de la vigne est mis à mort. Telle que Jésus nous la raconte, cette parabole est une prophétie de ce qui va advenir à Jésus de Nazareth, fils unique envoyé par le Père pour accomplir l’alliance inaugurée avec son peuple. Vous aurez noté que cette parabole est adressée plus particulièrement aux chefs des prêtres et aux pharisiens : ils sont considérés par le Christ dans cette parabole, comme les serviteurs à qui a été confié le soin du domaine, et c’est à eux que le domaine va être retiré. Ce sont eux qui vont perdre la mission qui leur avait été confiée de paître le peuple de Dieu et de le conduire vers la vie. Ce peuple que Dieu chérit comme la vigne chantée par le prophète, ce peuple qu’il a engendré par son appel, par l’alliance qu’il a conclu avec lui, par les commandements qu’il lui a donnés, par les prophètes qu’il lui a envoyés génération après génération pour raviver et renouveler cette alliance, ce peuple n’est pas accablé de la faute de jeter dehors le Fils, ce sont les chefs des prêtres et les pharisiens.

Mais en même temps, le Christ annonce que ce domaine va être confié à un autre peuple, qui est le peuple engendré dans la nouvelle alliance. Constitué autour de la fidélité à l’Esprit répandu dans le cœur des hommes par la puissance de Dieu, ce peuple nouveau ne sera plus seulement un peuple, il sera Le peuple qui rassemble des hommes et des femmes de beaucoup de nations. Ce peuple nouveau, il est répandu à travers la terre, ses contours ne sont pas toujours visibles. Appartenir à ce peuple nouveau ne peut pas se définir d’une manière purement extérieure. Plutôt : notre appartenance à ce peuple nouveau nous savons qu’elle est évolutive, elle progresse, elle s’approfondit, elle porte du fruit, chaque fois que nous écoutons la parole de Dieu et que nous la mettons en pratique. Elle s’étiole, elle dépérit, quand nous nous détournons de Dieu. Ce peuple nouveau se recrute à travers les hommes et les femmes du monde entier, de toutes les nations, il est fait de tous ceux par qui la pierre, qu’ont rejetée les bâtisseurs est vraiment reconnue comme la pierre angulaire, la pierre de fondement, le point d’appui de l’espérance des hommes.

La statue du Christ-Rédempteur érigée au-dessus de la ville et de la baie de Rio de Janeiro est dressée comme un signe pour manifester la présence bienveillante et pacificatrice du Christ. La projection qui va en être faite sur la façade de la cathédrale veut être aussi une annonce de cette présence bienfaitrice et pacificatrice du Christ, non seulement pour les relations entre les hommes, mais encore pour le cœur de chacun d’entre nous.

Construire et dresser cette statue au-dessus de Rio de Janeiro n’était pas un acte de provocation, mais vraiment une annonce de la bonne nouvelle pour le peuple brésilien. Sa présence virtuelle au cœur de Paris n’est pas davantage une provocation, c’est aussi une bonne nouvelle présentée au peuple parisien.

De toutes sortes de manières, les disciples du Christ à travers le monde essayent de témoigner des fruits que l’Évangile produit dans leur vie. Ils essayent de laisser apparaître ce que la puissance de Dieu peut produire dans le cœur d’un hommes. Ils n’ont fixé d’avance ni ce qu’ils vont montrer, ni ce qu’ils vont annoncer. Ils laissent l’appel du Christ construire son message à travers leur liberté. C’est lui qui suscite au cœur des chrétiens à travers le monde la réponse à l’amour du Père manifesté de tant de façons à travers les siècles. C’est lui qui appelle les fruits de la grâce, c’est lui qui ouvre des chemins de lumière et de paix au milieu des hommes. Et c’est ce témoignage que nous essayons de vivre à travers chacune de nos existences, dans toutes les conditions où nous sommes, que ce soit dans le travail, la vie de famille, les relations sociales, les loisirs, les amitiés.

Le Christ manifesté au cœur de la cité, c’est simplement le symbole visible de cette présence diffuse du Christ ressuscité agissant par son Corps qui est l’Eglise à travers la vie des chrétiens. Il ne nous servirait à rien de dresser une statue au-dessus de Rio de Janeiro, pas plus que d’en montrer l’image au cœur de la vieille cité parisienne, s’il n’y avait le tissu des chrétiens au ras du sol. Ils forment la manifestation vécue aujourd’hui de la puissance de l’Évangile. Le symbole parle parce qu’il s’appuie sur la fécondité du Christ ressuscité et son action à travers l’histoire humaine.

Nous pouvons nous réjouir que ce signe puisse être manifesté devant quiconque veut regarder vers lui, nous pouvons espérer que, comme l’Écriture nous le dit, des hommes et des femmes, - depuis plusieurs décennies à Rio de Janeiro, mais partout et toujours à travers le monde -, des hommes et des femmes lèveront les yeux vers celui qu’ils ont transpercé. Ils ne recevront pas sur eux un regard de condamnation mais un regard de miséricorde ; ils ne recevront pas sur eux un jugement de rejet mais un appel à la communion ; ils ne recevront pas sur eux une puissance de malédiction mais au contraire la bénédiction de la miséricorde qui veut relever l’homme blessé.

Ce soir, au nom de nos pays, du Brésil et de la France, en cette cathédrale, nous voulons être le symbole de nos peuples qui lèvent les yeux vers le Christ. Nous portons nos compatriotes chrétiens, non-chrétiens, tous ceux qui espèrent que l’homme n’est pas voué à la mort et à la destruction, et avec eux, pour eux, nous levons les yeux vers le Seigneur de qui vient toute vie.

Pour terminer, je voudrais faire mémoire en ce lieu de Paul Claudel : vous savez qu’il s’est converti dans cette cathédrale. Il a été Consul général de France à Rio, avec comme secrétaire Darius Milhaud, ce qui ne formait pas une ambassade très banale. Je voudrais évoquer aussi Georges Bernanos qui a vécu tant d’années au Brésil où il a médité et écrit plusieurs de ses ouvres. Ces personnages tracent comme un pont entre nos deux pays, ils sont aussi un témoignage de la fécondité de l’Évangile à travers l’esprit humain, ils sont un appel à lever les yeux vers Celui dont nous vient toute grâce et tout don.

Amen

+ André Vingt-Trois,
Archevêque de Paris

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