Homélie de Mgr André Vingt-Trois – 2e dimanche de l’Avent

Saint-Éloi – Dimanche 4 décembre 2005

 Mc 1, 1-8

Chaque année, le temps de l’Avent nous prépare à la célébration de la Nativité du Christ. Bien que nous ayons bon esprit, nous nous demandons parfois au fond de nous-mêmes pourquoi il faut recommencer cette préparation chaque année, ce qui pourrait bien se passer de nouveau. Depuis la naissance de Jésus, la venue du Fils de Dieu dans ce monde, l’accomplissement de la promesse de Dieu par la naissance du Christ, le monde ne s’est pas arrêté. Il a continué. Il nous arrive de nous interroger parfois sur le sens de ce temps si long, au bout du compte : Jésus n’aurait-il pas réussi ce qu’il avait à faire ? Pourquoi le temps de l’histoire s’allonge-t-il ainsi si, ainsi qu’on nous le dit, tout a été accompli par sa mort ?

L’épître de saint Pierre dont un passage a été proclamé ce matin nous rassure : cette question n’est pas mauvaise, les générations qui nous ont précédées se la sont posée. Écoutons sa réponse : « Le Seigneur n’est pas en retard pour tenir sa promesse comme le pensent certaines personnes ». Pour certains qui se disent qu’il aurait mieux valu qu’il vienne plus vite dans la gloire, que cela aurait été meilleur, l’Apôtre ajoute : « C’est pour vous qu’il patiente », pas pour lui, « car il n’accepte pas d’en laisser quelques-uns se perdre ». Voilà qui nous apporte de la lumière sur le sens de la durée qui s’étend depuis la Résurrection du Christ jusqu’à nous et au delà de nous, nous ne savons pas jusqu’à quand.

Je pensais à cela en voyant la phrase qui est écrite sur le mur de votre église : « Le temps de se convertir ». Ce n’est pas seulement le temps pour vous exhorter en vous disant : « Allez-y, c’est le moment de vous convertir », mais c’est aussi une manière de dire : « Dieu nous donne le temps pour nous convertir ».
Il nous donne l’histoire entière pour nous convertir, il nous donne tous ces siècles, non seulement pour que chacun de nous voit sa vie grandir, mais aussi « pour ne pas laisser quelques-uns se perdre », pour que tous les hommes puissent entendre la Bonne Nouvelle.

Le cycle annuel par lequel nous revivons le mystère du Christ depuis sa nativité jusqu’à sa résurrection n’est pas simplement un cycle commémoratif ; c’est une occasion qui nous est donnée pour actualiser dans notre vie l’appel à la conversion, en espérant que chaque année nous fassions un peu mieux que l’année précédente, que nous gagnions du terrain sur le parcours, mais aussi, si nous conservons l’image du marathon, pour que, peut-être nous associons d’autres gens à la course. Nous ne sommes pas les seuls intéressés. Que, année non pas seulement comme une fête de l’enfance ou une fête de la famille, mais aussi comme aussi comme l’annonce d’une bonne nouvelle.

Cette Bonne Nouvelle, le prophète Isaïe nous en donne un aperçu. « Consolez, consolez mon peuple, parlez au cœur de Jérusalem et criez-lui que son service est accompli, son crime est pardonné,. Monte sur ta haute montagne, élève la voix avec force, dis aux villes de Juda : Voici votre Dieu qui vient avec puissance ». Qu’est-ce que cela signifie ? Dans une période comme il y en a eu beaucoup dans l’histoire d’Israël et de Jérusalem en particulier, dans une période où la vie n’était pas facile, comment croire vraiment que Dieu accomplit sa promesse envers son peuple élu ? Comment le croire quand le peuple élu est dispersé, submergé par ses ennemis et occupé ?

Que dit le prophète dans ce cas là ? Il dit : « vous vivez dans la contrainte, la souffrance, la difficulté, mais Dieu m’envoie pour vous dire : ne doutez pas de lui, il va accomplir sa promesse ». Le Seigneur vient avec force et puissance et c’est une bonne nouvelle pour Jérusalem car à travers ses difficultés elle a l’espérance d’en sortir un jour. Autour de nous, il me semble, beaucoup de gens cherchent l’espérance d’en sortir un jour. L’espérance que les difficultés, qui sont quelquefois des difficultés dramatiques, mais aussi les difficultés de la vie quotidienne : difficulté de faire vivre une famille, difficulté de tenir un travail, difficulté de réussir à être un peu heureux dans la vie, seront levées. Tout le monde rencontre ces difficultés, nous chrétiens comme les autres. Que change que nous soyons chrétiens et que nous préparions la célébration de la Nativité ? Cela nous donne-t-il un autre regard sur ces éléments de vie quotidienne ? Cela jette-t-il une lumière d’espérance, non pour échapper aux difficultés de tout le monde, mais en nous donnant une capacité pour comprendre le temps que nous vivons non pas comme une sorte d’épreuve malheureuse mais comme un temps de Pâques qui nous est donné pour nous convertir. Le temps qui passe est toujours le temps de nous convertir : « Le Seigneur n’est pas en retard, c’est pour nous qu’il patiente, il n’accepte pas d’en laisser quelques-uns se perdre ».

Quelqu’un peut avoir envie de répliquer : « On a du temps pour se convertir, mais enfin on n’a pas un temps indéfini. Il va arriver, on ne sait pas quand, ni comment, donc cela peut être en sortant de la messe ! » Le temps pour se convertir est compté, nous ne savons pas comment mais il est compté, de toute façon, et pour chacun de nous il s’arrêtera au moment de sa mort.

Ne perdons ce temps pour la conversion. Retroussons nos manches, et entreprenons, comment on sait bien faire quand on doit faire quelque chose, entreprenons notre conversion. Mais ce n’est pas exactement comme cela que se présente la conversion dans l’Évangile. L’Évangile ne nous dit pas : « Les gens ont compris ce qu’est se convertir et ils se mettent à se convertir », il nous dit « Au commencement il a envoyé Jean le Baptiste pour annoncer que Dieu envoie son messager pour préparer sa route, préparez le chemin du Seigneur, aplanissez sa route ». C’est le Seigneur qui vient, qui trace sa route dans la vie des hommes, ce n’est pas nous qui faisons venir le Seigneur. C’est le Seigneur qui vient, c’est parce qu’Il vient que la route doit être aménagée, refaite, et c’est pour cela que Jean Baptiste appelle à la conversion : « Il proclamait un baptême de conversion pour le pardon des péchés ». Non pas un baptême de perfection humaine : il ne les exhortait pas à devenir des supermen de la religion, il les exhortait à recevoir le baptême pour le pardon des péchés, c’est-à-dire à accueillir celui qui vient à travers le désert, celui qui traverse les déserts de l’existence humaine pour rejoindre le cœur de l’homme.

Alors ce temps donné pour que nous nous convertissions, n’est pas seulement un temps pour re-fabriquer notre vie, c’est d’abord et principalement un temps pour accueillir le pardon de Dieu. Mais devant la miséricorde du Père qui se manifeste dans le Fils venu en notre monde, si nous accueillons le Fils, il changera nos déserts, il fera ce qui a été annoncé, il aplanira les collines, il rabotera les aspects rugueux, il transformera ce qui est une mauvaise route par la puissance de son amour.
Une fois de plus, le temps de l’Avent nous est donné pour vivre le temps de la conversion. C’est le temps de faire place à celui qui vient. Lui faisant place, nous recevons une lumière nouvelle sur notre existence et nous voyons comment cette lumière, cette force de l’amour de Dieu, transforme notre vie.

Amen.

+ André Vingt-Trois,
archevêque de Paris

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