Volver

Pedro Almodóvar

Les premières images d’un film sont déterminantes, elles préfigurent l’ensemble de ce qui va suivre. Elles renseignent souvent sur la démarche du réalisateur, sur la relation qu’il souhaite entretenir avec les spectateurs. Critique de Dorothée Cuny.

La beauté des femmes

On entre dans un film comme on entre dans une demeure : celui qui ouvre la porte nous accueille et nous propose de le rencontrer ou nous laisse sur le seuil et nous impose son discours. Les premières images de Volver sont une invitation : du soleil, du vent, des couleurs et des femmes. Veuves et orphelines nettoient les tombes, disposent des fleurs, discutent, se retrouvent, se sourient : on a rarement vu un cimetière si vivant ! Almodovar se concentre sur trois d’entre elles : Raimunda, sa fille Paula et sa sœur Sole. Après avoir visité leurs parents défunts, elles se rendent au village natal situé dans la Mancha où demeure encore leur vieille tante sénile. La scène est délicieuse, à la fois drôle et émouvante.

Chez Almodovar, l’humour et la légèreté n’éclipsent jamais la tristesse et le sentiment grave. Ils se mélangent avec grâce, retranscrivant le perpétuel mouvement de l’existence, sa noirceur et sa beauté, tout ce qui fait qu’elle est résolument imprévisible. Puis les trois jeunes femmes quittent la tante pour se rendre chez la voisine Agustina. Curieux personnage que celui de cette jeune femme qui vit seule dans ce village perdu. Hantée par la disparition de sa mère dont elle ne sait si elle est vivante ou morte, elle vit dans l’attente et veille sur la vieille tante. Le visage pâle et les cheveux très courts, elle a l’apparence d’une malade ou d’une prisonnière, la féminité l’a désertée. A l’inverse, Raimunda, magnifiquement interprétée par Penélope Cruz, apparaît comme l’incarnation du charme et de la féminité. On l’aura compris, Volver est un film de femmes.

Le scénario d’Almodovar est particulièrement audacieux. Le dévoiler risquerait d’atténuer la force que le film puise dans ses multiples rebondissements. Disons simplement que Volver est une tempête, une sorte de tourbillon coloré au rythme effréné, où les femmes voient s’abattre sur elles une pluie de drames. Ce que regarde Almodovar, c’est le prodigieux pragmatisme que ses créatures opposent aux évènements les plus terribles. L’agir n’est pas ici ce qui distrait au sens pascalien du terme, il ne dissipe pas les blessures. La douleur est éprouvée entièrement mais ces femmes la supporte avec dignité et parviennent à rester debout grâce à cette intarissable force de vie qui, pour Almodovar, semble être le propre du féminin. Son film en épouse la forme, y conquière sa beauté.

Ce perpétuel franchissement des limites, où l’insupportable devient supportable et l’impossible, possible, entraîne le film aux confins du fantastique. Volver signifie « revenir » en espagnol. Il s’agit ici de revenir à la vie. Sait-on toujours qui repose sous la tombe ? Almodovar prend des risques mais, tout comme ses superbes créatures, il transforme avec brio : l’invraisemblable devient vraisemblable. Sorte de boule en fusion d’où s’échappe une infinie tendresse, Volver est un superbe film d’amour.

Dorothée Cuny

Cinéma