Mgr André Vingt-Trois : « L’Église est missionnaire ou elle n’existe pas »

Le Figaro - Jeudi 22 septembre 2005

Interview parue dans le Figaro.

Mgr André Vingt-Trois est né à Paris. Après avoir passé les trente premières années de son ministère dans la capitale, il en est devenu l’archevêque en février dernier. Traditionnel interlocuteur catholique du gouvernement, avec peu d’autres évêques, cet observateur de la société française n’est pas de ceux qui manient la langue de bois. À l’heure de la célébration de la laïcité, « un concept moderne » et « qui n’avait pas le même sens en 1905 », il observe à Paris des « signes de manifestations identitaires en forte hausse ces quinze dernières années ». À cet égard, il souligne la « vocation culturelle importante » de la capitale et prévient que « bien vivre cette mixité sera le signe de la capacité de la France à mettre en œuvre ses intentions “droit-de-l’hommistes” et universalistes dans l’accueil des étrangers ».

Que pensez-vous de l’écart qui ne cesse de se creuser entre ce que vit la société française et ce que propose l’Église catholique ?

Je ne suis pas là pour faire un hold-up sur la société, pour rassembler tout le monde sous une même bannière ! Je suis là pour annoncer l’Évangile. La véritable conversion repose sur la liberté. Nous devons aider les gens à grandir dans leur liberté, à se dégager de ce qui les conditionne et les empêche de rencontrer le Christ. Depuis les premières générations apostoliques, au cœur de l’Empire romain, on constate que la proclamation de la bonne nouvelle suscite des clivages et des réactions bien différentes !

Ne sommes-nous pas en train d’assister à un retour des manifestations extérieures de la foi chrétienne ?

Nos communautés sont peut-être moins complexées. À l’occasion, elles sortent pour des célébrations. L’an dernier, Paris Toussaint 2004 a permis aux catholiques de prendre conscience que la perception de leur foi chez beaucoup de ceux qu’ils rencontrent n’était plus aussi automatique qu’elle pouvait l’être et que la foi intéresse de nouveau. Il faut que nous allions au-devant de la société, que nous prenions conscience de ce que disait le concile il y a quarante ans : l’Église est missionnaire ou elle n’existe pas ! Revenant à Paris, je constate que les communautés chrétiennes sont vivantes, se renouvellent et se diversifient aussi dans leur composition culturelle et ethnique. Elles doivent faire la démonstration de leur capacité évangélique à accueillir ceux qui sont différents et étrangers.

Quelles relations entretenez-vous avec la communauté musulmane à Paris ?

La question déborde la situation parisienne ou française. J’ai d’excellentes relations avec le recteur de la Mosquée de Paris que je rencontre toujours avec plaisir et intérêt, ou avec d’autres représentants de la communauté musulmane. Est-ce le même islam qu’au Soudan ou en Iran ? Aux musulmans de le dire. Les catholiques du Soudan appartiennent bien à mon Église. Lorsque l’un d’eux est maltraité, c’est mon Église qui est touchée. Si l’islam est une religion universelle, il lui faut répondre aussi de ce qui se passe ailleurs qu’en France. J’affirme qu’il est indigne que des musulmans soient contraints de prier dans la rue dans la France des droits de l’homme. Je dis aussi qu’il est indigne que des chrétiens soient empêchés de prier dans des pays d’islam.

Nicolas Sarkozy affirme que l’organisation de l’islam en France pourrait donner de bonnes idées aux pays musulmans...

Pour l’instant, le CFCM a tenu dans la mesure où les ministres de l’Intérieur ont suffisamment fait sentir leur pression pour que ce conseil comprenne la nécessité de se rallier à la vision unificatrice du ministère !

Jugez-vous excessive l’implication du « ministre des Cultes » ?

Il n’existe pas de « ministre des Cultes » dans la République non confessionnelle. Il existe un ministre de l’Intérieur chargé de l’ordre public et qui, à ce titre, veille au respect de l’ordre public dans les cultes. La République ne se préoccupe pas de la confession des citoyens, ni d’ailleurs de l’organisation des cultes, même si, parfois, un coup de pouce peut être nécessaire pour aider à la vie collective. Bonaparte l’a donné pour les juifs, au moment du Concordat.

Pensez-vous qu’il faille retoucher la loi sur la laïcité de 1905 ?

La République a organisé la séparation. C’est à elle de savoir si cela lui plaît ou non, même si nous pouvons donner notre avis. Il ne s’agit pas d’abord d’une loi sur la laïcité, mais d’une loi de séparation des Églises et de l’État. La laïcité est un concept plus moderne qui n’avait pas le même sens en 1905.

Le supérieur de la communauté lefebvriste saint Pie X, Mgr Fellay, a récemment rencontré Benoît XVI et lui a, entre autres, demandé un accès simplifié à la liturgie antéconciliaire. Où en est cette question à Paris ?

On sait bien que le dialogue avec la Fraternité saint Pie X n’est pas d’abord conditionné par la liturgie. Cette question est un simple drapeau agité pour mobiliser des braves gens et leur faire croire qu’il s’agit du véritable enjeu. A Paris, l’autorisation de célébrer selon la liturgie tridentine existe depuis près de vingt ans. La pratique en est large et généreuse, sans que cela fasse pourtant bouger grand monde de la Fraternité saint Pie X. Le problème est bien ailleurs... Il réside dans leur refus du concile Vatican II, du dialogue interreligieux et du respect dû par tous à la conscience personnelle, respect dont ils se réclament pourtant pour contester la position de l’Eglise.

Pensez-vous que le dialogue puisse aboutir ?

Nous devons tous travailler à l’unité de l’Eglise. Encore faut-il que les interlocuteurs soient représentatifs, que Mgr Fellay soit suivi. Il serait triste d’aboutir à un fractionnement supplémentaire... Il faut dialoguer, mais on ne peut pas faire le chemin à leur place.

Propos recueillis par Sophie de Ravinel

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