Homélie de Mgr André Vingt-Trois - Messe Chrismale 2007

Cathédrale Notre-Dame de Paris - 4 avril 2007

Chaque année, la Messe Chrismale (du grec Krisma, huile) est concélébrée par l’archevêque entouré des prêtres et les diacres de son diocèse. Les prêtres renouvellent leurs promesses sacerdotales. Cette messe rappelle l’institution du sacerdoce par le Christ. L’archevêque consacre le Saint-Chrême, l’huile parfumée qui servira lors des baptêmes, confirmations et ordinations. Il bénit aussi l’huile des catéchumènes et l’huile des malades. Plus de 3000 personnes ont participé à cette célébration.

Frères et Sœurs, cher amis,

Nous sommes invités ce soir à entrer dans la joie du Messie envoyé pour porter la Bonne Nouvelle aux pauvres. Comme l’annonçait le prophète Isaïe, il a été consacré par l’onction pour consoler ceux qui pleurent, les parfumer avec l’huile de joie et leur donner des habits de fête. Par notre baptême et notre confirmation, nous avons tous été consacrés pour devenir avec Lui les « serviteurs de notre Dieu » et entrer dans l’alliance éternelle. Il n’y a pas de paradoxe à évoquer, comme nous l’avons fait dimanche dernier, l’exultation joyeuse du Messie juste avant de célébrer la Passion et la Résurrection du Christ. Il y a , au contraire, une profonde cohérence à contempler le Serviteur souffrant, déjà transfiguré à nos yeux dans la splendeur de sa victoire sur la mort et de sa glorification dans l’amour du Père. Le chemin dans lequel Jésus s’engage est une sorte de préfiguration du chemin où ses disciples sont appelés à le suivre, en prenant chaque jour sur eux le poids de la croix.

La Messe qui nous réunit ce soir est pour nous une source de force et de joie, force et joie du Christ ressuscité auxquelles nous sommes associés par notre configuration sacramentelle au Christ par l’onction de l’Esprit Saint comme par la consécration sacerdotale. L’Huile sainte que je vais consacrer dans un instant nous imprègne tout entiers de l’exultation de Jésus lui-même qui est la joie du Fils totalement donné à sa mission pour le salut des hommes. Rappelez-vous la bénédiction proclamée par Jésus : « Il tressaillit de joie sous l’action de l’Esprit-Saint et il dit : Je te bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l’avoir révélé aux tout-petits. Oui Père, car tel a été ton bon plaisir. » (Luc 10, 21) et encore : « Se tournant vers ses disciples, il leur dit en particulier : Heureux les yeux qui voient ce que vous voyez ! » (Luc 10, 23).

Frères et Sœurs, je voudrais vous inviter tous à entrer dans cette action de grâce du Christ : bénissons Dieu pour ce que nous voyons, puisque nous avons la grâce particulière de connaître comment Dieu a manifesté son amour pour les hommes. Et non seulement nous avons la grâce de la Révélation du Mystère caché en Dieu depuis les origines du monde, mais nous sommes intégrés et incorporés à ce mystère par notre communion à la vie trinitaire et dans les sacrements de l’Eglise. Le fait d’être chrétiens, disciples de Jésus, conformés au Messie, est avant tout une source de joie.

Cette joie ne nous rend ni aveugles ni insensibles. Comme nos contemporains, nous pâtissons des difficultés de la vie. Comme eux, nous sommes marqués par la mort, la souffrance, les troubles de la vie sociale, les contraintes de la vie professionnelle ou de l’économie moderne, les inquiétudes pour nos familles et tous ceux qui nous sont chers. Bref, nous partageons la condition humaine commune. Mais la force de Dieu répandue en nos cœurs par la foi nous empêche de succomber et nous permet de résister et de rendre témoignage à la puissance de la vie divine. Plus encore, malgré notre faiblesse, notre capacité à assumer notre condition humaine devient pour les hommes l’annonce d’une espérance qui dépasse nos pauvres forces.

Nous aussi, nous avons peur de la souffrance et de la mort, mais nous n’arrivons pas à nous convaincre que la dignité de l’homme l’appellerait à choisir lui-même le moment de mettre fin à sa vie et moins encore à la vie de ses semblables. Au contraire, nous croyons que c’est la grandeur de l’homme d’être capable de faire face à son existence et d’aider ses frères en les soulageant et en les accompagnant jusqu’au bout.

Nous aussi, nous éprouvons les blessures de la vie sociale, mais nous croyons qu’une société ne peut pas vivre et se développer si le bien commun du corps social n’est pas servi avant la satisfaction des intérêts particuliers ou catégoriels. Nous croyons que c’est la grandeur de l’homme de faire face aux défis de l’existence en mettant en oeuvre une véritable solidarité universelle.

Nous aussi, nous connaissons les souffrances des amours trahies, mais notre expérience de l’amour indéfectible de Dieu nous permet d’oser croire que l’amour est un engagement dont on ne se libère pas quand les difficultés se présentent. Nous croyons que c’est la grandeur de l’homme d’être fidèle à ses engagements.

Nous aussi, nous rencontrons les difficultés de l’éducation des jeunes, mais nous ne sommes pas comme un troupeau sans berger, incapable de connaître le bien et le mal et incapable de transmettre cette connaissance. Nous croyons que c’est la grandeur de l’homme d’apprendre à ses enfants à conduire leur vie de façon raisonnable. Et cette mission suppose l’union stable d’un homme et d’une femme.

À quelques semaines d’échéances électorales importantes pour notre pays, en rappelant ces objectifs, nous ne cherchons pas à faire de la loi catholique la loi républicaine, comme un groupe qui revendiquerait de faire reconnaître ses convictions particulières par l’ensemble de la nation. Nous croyons que la dignité humaine n’est pas confessionnelle et que toutes les femmes et tous les hommes de ce temps sont appelés à la vivre et à la défendre et qu’ils en sont capables. Si notre foi au Christ ressuscité transforme notre regard sur le monde, c’est par notre conviction que Dieu appelle les hommes à une conduite raisonnable et juste et qu’Il leur donne la capacité de l’assumer. Notre originalité, c’est d’avoir plus d’estime et plus d’ambitions que d’autres pour la destinée humaine.

Pour ce qui nous concerne, nous savons quels chemins de vie Dieu nous propose et nous savons où est la source de notre bonheur. Notre engagement à la suite du Christ ne nous est pas imposé par la loi civile. Il est un choix de notre liberté. Et nous éprouvons chaque jour que ce choix fondamental nous oblige à des choix concrets dans notre vie quotidienne. Ces choix peuvent être coûteux pour nous, en satisfaction de nos désirs, en richesse, en considération ; ils peuvent susciter la dérision ou la méfiance ou la haine. Nous savons que pour vivre de la vie du Ressuscité, nous devons suivre le chemin du Crucifié. Nous savons que tout ce que nous pouvons perdre n’est rien par rapport à la richesse absolue de la connaissance et de l’amour de Dieu. Comme saint Paul, nous essayons de dire et de croire : « Je considère que tout est perte en regard de ce bien suprême qu’est la connaissance de Jésus-Christ mon Seigneur. » (Phil 3, 8) et encore : « Il s’agit de le connaître, lui, et la puissance de sa résurrection et la communion à ses souffrances, de devenir semblables à lui dans sa mort, afin de parvenir, s’il est possible, à la résurrection d’entre les morts. Non que j’aie déjà obtenu tout cela ou que je sois devenu parfait ; mais je m’élance pour tâcher de le saisir, parce que j’ai été saisi moi-même par le Christ. » (Phil 3, 10-12).

Frères et sœurs, nous ne sommes pas les héritiers accablés d’une supposée puissance passée de l’Eglise, dont la disparition nous laisserait sans force et sans ambition. La puissance de notre Eglise ne se mesure pas en pourcentage de sondages ; nous n’allons pas élire Jésus-Christ ! La puissance de notre Église, c’est la foi de ses membres, c’est la force de l’Esprit qui nous rend capables de témoigner de la formidable ambition de Dieu pour l’humanité ; c’est la douce consolation que ce même Esprit nous donne de connaître quand Il nous rassemble comme le Corps vivant du Christ ; c’est l’unité entre ses membres qu’il fait grandir par la charité et la communion autour de l’évêque et du presbyterium ; c’est la joie de vivre une liturgie forte et puissante telle que le Concile nous l’a offerte ; c’est le bonheur que nous éprouvons ce soir comme chaque dimanche.

La puissance de notre Eglise, c’est la foi agissante au cœur de la foule des fidèles du Christ qui assument avec constance et persévérance les obligations de leur vie. Ce sont les vieillards et les malades qui offrent leur souffrance dans l’amour. Ce sont les hommes et les femmes qui se dépensent pour que notre société soit plus juste et plus humaine. Ce sont les époux qui surmontent leur tentation de changer et qui renouvellent l’engagement premier de leur amour. Ce sont les jeunes qui ne laissent pas éteindre leur désir de générosité. Ce sont les parents et les éducateurs qui ne reculent pas devant leur mission. Ce sont les consacrés qui se donnent tout entiers par amour du Christ et pour l’annonce de l’Évangile. Ce sont les jeunes qui acceptent l’appel de Dieu à tout quitter pour suivre le Christ. Ce sont les diacres et les prêtres qui m’entourent et qui trouvent leur joie dans le service du corps ecclésial.

Oui, avec le Christ, nous pouvons tressaillir de joie dans l’Esprit-Saint quand nous voyons tous ces fruits de l’amour. Mais, avec saint Paul, nous sommes pressés par l’amour du Christ pour que cet immense bonheur ne reste pas le privilège de quelques-uns. Nous voulons que toutes et tous puissent eux aussi espérer en la puissance de l’amour. Nous voulons devenir chaque jour davantage témoins de l’amour dans toutes les circonstances de notre vie. Nous voulons partager le bonheur que nous connaissons. Nous voulons être des témoins de l’espérance et de la vocation magnifique de tous les hommes de notre temps. Nous croyons que la dignité humaine a besoin d’être défendue et nous la défendons autant qu’il nous est possible parce que nous croyons que nous avons reçu l’onction pour devenir messagers de la Bonne Nouvelle.

Cette Messe est pour moi une action de grâce particulière puisqu’elle est l’une des rares occasions de l’année où il m’est donné de concélébrer avec l’ensemble des prêtres du diocèse ou présents à Paris. Chers frères prêtres, c’est le moment pour moi, alors que nous allons renouveler ensemble les promesses de notre ordination, de vous dire une fois de plus mon affection et ma gratitude pour votre collaboration si précieuse, pour votre disponibilité et pour la joie que vous me donnez. Nous unissons à notre prière tous ceux qui sont tenus éloignés de nous soit par la mission qui leur a été confiée au service de l’Eglise soit par la maladie ou les handicaps de l’âge.

Chers amis diacres, vous êtes associés à notre ministère et vous exprimez spécialement la dimension du service de l’Eglise parmi les hommes. Je suis heureux de recevoir le renouvellement de vos engagements et de vous dire ma reconnaissance ainsi qu’à vos familles.

En ce soir où nous sommes rassemblés dans la joie de la mission confiée par Dieu à son Eglise, je veux adresser un appel solennel aux jeunes de nos communautés. Vous aspirez au bonheur et vous avez raison. Vous n’êtes pas toujours sûrs que le bonheur est au bout du chemin que vous suivez et vous n’avez peut-être pas tort. Voulez-vous ouvrir les yeux et regarder autour de vous où transparaît la joie de vivre en assumant les responsabilités de l’existence humaine ? Pour que cette flamme si fragile de la joie ne s’éteigne pas, l’Eglise a besoin de vous. Elle a besoin de femmes et d’hommes engagés dans les combats de la cité. Elle a besoin de femmes et d’hommes engagés pour toujours dans l’amour pour donner la vie et la joie à leurs enfants. Elle a besoin de femmes et d’hommes qui acceptent de tout quitter pour l’amour de Dieu et pour le service de leurs frères dans la vie religieuse. Elle a besoin d’hommes qui acceptent de répondre à l’appel du Christ en devenant les prêtres et les diacres de son Eglise. Ne fuyez pas ces appels au risque de vous en aller, comme l’homme riche de l’Évangile qui « s’assombrit et s’en alla tout triste, car il avait de grands biens. » (Mc 10, 22). Choisissez la joie !

Pour terminer, je vous invite à prier spécialement pour les 280 adultes et les 120 jeunes que j’ai appelés au baptême et qui recevront les Sacrements de l’Initiation dans les jours qui viennent. Les communautés contemplatives les ont accompagnés de leur prière tout au long de ce carême. Avec elles nous prions aussi pour les futurs diacres et les futurs prêtres et je vous invite tous à participer à l’ordination sacerdotale ce samedi 23 juin à 9h30 ici-même.

Que Dieu nous garde tous dans sa joie !

« La joie du Seigneur est notre rempart » (Ne 8, 10).

+ André Vingt-Trois,
archevêque de Paris

Homélies

Homélies