Conférence de Mgr André Vingt-Trois devant les professionnels de la Santé

Chapelle de l’hôpital de Lariboisière (10e) – Jeudi 18 octobre 2007

Avant tout, je vous remercie de votre accueil. Je mesure l’opportunité qui m’est donnée de pénétrer dans un hôpital sans avoir besoin de soins immédiats, c’est toujours préférable !

Je voudrais vous proposer quelques réflexions. Mais laissez-moi d’abord vous dire ma satisfaction de savoir que vous vous réunissez pour réfléchir ensemble sur l’exercice de la fonction de soignant, sur l’accompagnement des personnes malades. C’est un domaine de notre activité, de la pastorale de l’Église, de la présence des chrétiens dans le monde de ce temps, où nous avons besoin de beaucoup réfléchir et travailler parce que, peut-être que plus que d’autres domaines, la présence auprès des malades est une activité qui a beaucoup évolué en quelques dizaines d’années. Des comportements séculaires et reçus de la tradition ancienne peuvent devenir inadaptés ou, s’ils sont encore adaptés, ont besoin d’être renouvelés et investis d’une façon nouvelle. Ce travail pour trouver une nouvelle approche du malade demande évidemment une réflexion forte.

Pour ouvrir notre réflexion de ce soir, je voudrais nous inviter à prendre conscience d’une réalité tellement entrée dans les mœurs que l’on n’y fait plus attention : c’est que nous avons énormément de chance. Nous vivons dans une société et dans une période où il y a réellement une possibilité d’aider les malades, où la médecine parvient réellement à guérir ou du moins à soulager ou à apporter des moyens d’assumer des situations pathologiques de longue durée dans des conditions relativement supportables. Je ne veux pas dire qu’être malade est un plaisir d’être malade, mais depuis relativement peu de temps finalement et sur une partie assez réduite de la Terre, la médecine est efficace. Depuis peu de temps car nous savons bien que, pratiquement jusqu’au dix-neuvième siècle, elle était surtout efficace pour soulager ; beaucoup des thérapeutiques découvertes depuis et qui sont mises en œuvre aujourd’hui étaient complètement ignorées. L’espérance de vie s’est développée au cours des âges pour arriver aux records spectaculaires que nous connaissons aujourd’hui. Mais cette capacité thérapeutique et cette possibilité d’accompagner et de soulager les malades ne concernent finalement qu’une portion assez réduite de l’univers : à travers le monde, dans beaucoup de pays aujourd’hui, la maladie, c’est la mort d’une certaine façon. Dans beaucoup de parties du monde, pour différentes raisons : difficultés d’équipements, manque de moyens économiques, les capacités de soins et de thérapies sont considérablement réduits.

A partir de là je voudrais que nous prenions conscience que nous sommes entraînés par cette évolution, ce progrès de la médecine et des soins, à parcourir une sorte de chemin dont il est peut-être bon de ne pas oublier vers où il va. D’où il vient, d’une certaine façon c’est relativement simple à identifier : on pourrait dire que nous venons d’une expérience de fatalité. Dans beaucoup de cas, l’accident ou la maladie était perçu comme irrémédiable. On pouvait apporter des soulagements, on pouvait apporter un accompagnement humain, on avait peu de moyens de guérir réellement. Il y avait donc une sorte de fatalité de la maladie. Lle progrès scientifique et le progrès thérapeutique aident notre civilisation à échapper à cette fatalité. Ce qui, du même coup, pose une nouvelle question à laquelle peut-être nous n’étions pas tellement préparés, la question de savoir : comment peut-on vivre en étant malade ? Autrement dit, le handicap ou la diminution des capacités que représentent des maladies lourdes et durables ne conduisent pas nécessairement à une mort prochaine ; il faut donc essayer de vivre avec ces manques, ce qui est un problème humain très difficile à affronter : comment vit-on avec des pathologies lourdes, ou des traitements très contraignants ? Comment surtout vit-on en ayant conscience d’être habité par la mort ? Il y a une sorte de danger durable qui peut s’étaler sur un certain nombre de mois ou d’années et qu’il faut bien affronter d’une certaine façon. Echapper à la fatalité de la maladie veut dire être confronté dans notre liberté humaine à une nouvelle épreuve : comment vivre humainement, dans la dignité, les difficultés et les épreuves de la maladie ?

Deuxième aspect de ce chemin dans lequel nous sommes entraînés par le développement des progrès médicaux : le risque de retomber dans une nouvelle fatalité. On a échappé à la fatalité de la maladie, pourra-t-on échapper à la fatalité de la santé ? Nous sommes tellement habités par la conviction que tout peut se soigner, que tout peut guérir, que la souffrance, le handicap, la difficulté à vivre, non seulement sont des incidents ou des accidents naturels mais sont essentiellement des injustices. Nous ne pouvons plus accepter de supporter ces failles qui viennent briser l’harmonie d’un équilibre physiologique ou moral ou psychique…

D’une certaine façon, la culture qui nous entoure, la société dans laquelle nous vivons, imposent des modèles normatifs de santé et de bien-être. Et celui qui ne peut pas ? Celui à qui la santé et le bien-être ne sont pas possibles, est-il devenu anormal ? Est-il devenu un cas social ? Est-il devenu quelqu’un qui embarrasse ? Je ne parle pas simplement de l’embarras pratique mais de l’embarras psychologique. Comment supporte-t-on que quelqu’un soit malade ? Comment supporte-t-on que quelqu’un souffre ? Comment supporte-t-on d’être démuni vis-à-vis de la maladie de quelqu’un ?

L’exigence de résultat que nous portons est un des fruits des progrès considérables accomplis. Elle est aussi une sorte de ressort dynamique de la médecine et de toutes les activités de soins et des établissements de soins. En fait, comment sommes-nous passés, peut-être de manière très progressive, insensible, d’hôpitaux qui étaient plutôt des hospices, où l’on recueillait des gens de façon très durable, à des institutions conçues, organisées et structurées pour ne pas garder leurs clients. La raison d’être de l’hôpital aujourd’hui, c’est que les personnes malades puissent sortir, si possible debout et vivantes. Cette exigence de résultat est-elle un aiguillon ? Souvent nous constatons qu’elle suscite un dynamisme qui mobilise, qui donne sens à la fonction soignante de telle façon que des hommes et des femmes engagés dans la fonction soignante acceptent de faire plus que le nécessaire pour apporter réellement un soulagement.

En même temps, nous voyons que l’exigence de résultat peut exercer une pression redoutable. Si nous nous laissons instruire par ce qui se passe dans un certain nombre de pays, l’exigence de résultat se transforme en pression judiciaire. Du coup, la liberté de diagnostic et la liberté de prescription sont comme habitées de l’intérieur par la vérification des protocoles qui pourraient être opposés en justice. Nous n’en sommes pas là dans notre pays, mais nous voyons bien comment la relation humaine de confiance qui pouvait exister entre un malade, son médecin ou le personnel qui le soigne, se mue en une relation contractuelle d’exigence de résultat, ou en tout cas d’exigence de moyens. Un autre type de relations, si nous n’y prenons pas garde, s’installe. Vous savez que aux Etats-Unis, - du moins est-ce la caricature qu’on en donne, mais je crois qu’elle n’est pas tout à fait abusive -, un certain nombre d’établissements de soins ont pratiquement des antennes de cabinet d’avocats à leur porte pour engager immédiatement les poursuites nécessaires, comme autrefois on avait un magasin des pompes funèbres en face de l’hôpital pour s’occuper de ceux qui étaient morts.

Exigence de moyens, exigence de résultats qui peu à peu devient, non plus un stimulant, une source de dynamisme pour transcender un peu les limites personnelles dans l’exercice du soin, mais l’introduction d’une question de rendement dans la relation avec la malade.

Un deuxième aspect me paraît devoir être relevé si nous voulons échapper au risque d’une fatalité. C’est ce que j’appellerais la stimulation de l’exigence de performance. Nous sommes, c’est un truisme de le dire, dans une civilisation médiatique ; le goût, l’attrait pour la réalisation extraordinaire poussent toujours à tenter le coup qui n’a pas encore été réussi. Ce risque n’est pas complètement illusoire. Il y a eu de vrais dérapages visant à obtenir de la publicité, car nous sommes dans une société de publicité et un certain nombre de décisions, tout le monde le sait, dépendront de la notoriété, de la communication, de la capacité de bien vendre ce que l’on a fait, de l’énergie engagée pour dire que l’on fait quelque chose. Ce risque de la performance à tout prix peut pousser quelquefois à des exagérations, des décisions excessives, un certain jusqu’auboutisme du soin, ce qu’on a appelé d’une formule barbare : l’acharnement thérapeutique, mais qui n’est pas simplement la partie ultime de la vie mais qui concerne aussi une certaine attitude dans l’économie des soins tout au long du parcours.

Un autre fait est à remarquer qui touche la relation du malade avec ses soignants. C’est la nature des relations avec l’entourage des malades, leur famille proche ou plus lointaine. D’une part, ce réseau familial est souvent, - j’allais dire heureusement car sans cela on ne comprendrait pas très bien ce qu’ils feraient là -, habité par une inquiétude affective bien compréhensible et à laquelle il faut répondre d’une certaine façon, - on ne peut pas simplement s’abstraire de cette inquiétude affective -, mais d’autre part, cet entourage est aussi habité d’une culpabilité diffuse. Vous savez que dans l’Évangile le Christ est confronté une fois à cette question devant l’aveugle-né, quand ses disciples lui demandent : « Qui a péché ? Est-ce lui ou sont-ce ses parents ? » Cette question est l’expression d’une conviction qui était très répandue selon laquelle la maladie physique était la somatisation d’une culpabilité spirituelle, c’était le péché inscrit dans la chair. Vous savez ce que le Christ répond : « Ni lui, ni ses parents ». On ne peut attribuer au handicap une responsabilité morale personnelle, « mais c’est pour la gloire de Dieu ».

Je laisse la question exégétique de ce que veut dire : « C’est pour la gloire de Dieu », mais je voudrais retenir notre attention sur cette question : « Qui a péché ? » Si les disciples posent cette question au Christ, ce n’est pas seulement parce qu’ils sont héritiers de tout un courant biblique où la maladie est vécue comme la transcription physiologique et visible de la culpabilité. Plus largement que la tradition biblique, je crois que le lien entre la maladie, la mort et la culpabilité est une composante anthropologique d’une certaine façon. La question à laquelle nous sommes confrontés n’est pas tellement : « Quelle est la cause scientifique ? » Celle-là, on peut la déceler. Mais quelle est la cause de l’injustice qui fait que l’on est malade ? Cette injustice est d’autant plus criante que la norme environnante est une norme de santé et de bien-être.

Qu’ai-je fait ? Combien de fois entendons-nous cela ? « Qu’ai-je fait au bon Dieu pour que cela m’arrive ? » Que cela m’arrive à moi, ou que cela arrive à mon enfant, ou que cela arrive à mon conjoint, ou que cela arrive à mes parents ? « Mais qu’est-ce qu’on a fait ? »

Bien sûr, cette question n’est pas légitime. Elle n’est pas légitime pour deux raisons. La première, je l’ai dite tout à l’heure. Cette question repose sur une équivalence fausse : il n’y a pas de rapport direct entre le comportement moral et la maladie. Elle n’est pas légitime non plus parce qu’elle ne reflète pas la culture ambiante. On n’a pas le droit aujourd’hui de se dire coupable. On a encore moins le droit de se dire coupable quand c’est à tort. En fait, notre culture sociale aujourd’hui, ne nous accorde pas le droit de poser la question du bien et du mal. Mais ce n’est pas parce que l’on n’a pas le droit de poser une question qu’elle n’existe pas. Ce n’est pas parce que nous dénie le droit de poser une question en ces termes que le bien et le mal n’existent pas. Ce n’est pas parce que l’on sait que se poser la question de la responsabilité ne fait pas partie du langage accepté que les gens ne sont pas habités par la question de la responsabilité. D’une certaine façon, même, moins ils ont le droit de le dire, plus cela les empoisonne. Alors comment pouvons-nous entrer dans une relation authentique avec un époux, une épouse, des enfants, des parents, qui ne sont peut-être pas capables d’exprimer ce sentiment de culpabilité d’une façon transparente, par des mots, mais qui l’ont dans leur cœur ? Ils n’ont pas besoin seulement d’être éclairés sur le diagnostic et le protocole de soins, ils n’ont pas besoin seulement d’être accueillis avec humanité et en faisant attention à la personne, etc. toutes choses qui sont des objectifs habituels dans les services de soins. Ils ont besoin d’être accueillis par des gens qui savent, par des gens qui comprennent, par des gens qui acceptent qu’ils puissent se poser ce genre de question et qui n’en font pas une question interdite, qui n’y voient pas un langage malsain.
On parle beaucoup de la capacité d’écoute, mais pour écouter il faut déjà ne pas interdire un registre de parole. Si on a interdit un registre de parole, on peut ensuite écouter tout ce qu’on voudra, on n’entendra que ce que l’on a laissé dire ; ce qui est reconnu comme licite, ce que l’on peut dire.

Dernier point sur lequel je voudrais attirer votre attention, parce que je crois qu’il fait aussi partie de cet ensemble de choses qui ne sont pas dites mais qui habitent la conscience et le cœur et qui sont des questions pleines d’actualité dans notre société, c’est la question économique.

Elle se pose de différentes façons. On peut se poser la question économique en terme de coût, de résultat ; on peut se poser la question économique en terme de choix, elle est très difficile. Poser comme a priori que tout est possible et que la valeur marchande n’a pas d’importance, on peut toujours le faire, mais on sait bien que cela ne correspond pas à la réalité. Comment va-t-on faire fonctionner les critères économiques ? Et comment quelqu’un qui est malade vit-il cette question économique ? Les plus anciens parmi vous, dont je commence à être malheureusement, ont connu des gens qui ne se soignaient pas parce qu’ils n’avaient pas les moyens de se soigner. On a connu des situations où les ressources économiques ne permettaient pas à certains de se soigner. Nous devons nous réjouir que notre système de couverture sociale couvre les soins de tout le monde, mais reste quand même posée la question des moyens nous avons et de l’objectif que nous visons ? Peut-être, mais je ne sais pas si ce discours serait audible, peut-être vaudrait-il mieux informer quand même tout le monde de ce que coûtent les choses ? Beaucoup de gens n’ont aucune idée de ce que cela représente, de ce que coûtent les soins dès qu’ils commencent à être un peu sophistiqués ou un peu lourds. Je trouve que c’est aussi une question de liberté par rapport aux relations qui s’établissent entre un malade et l’institution qui le soigne, qu’il sache ce que cela représente.

L’association Follereau dit que si tout le monde donnait un euro, on pourrait vaincre la lèpre à travers le monde. C’est dans ces termes-là que cela se pose. Quel est le rapport de proportion ? Y-a-t-il des vies qui valent plus chers que d’autres ? Voilà le genre de questions qui nous habitent. La vie d’un Français de 2007, dans une agglomération comme Paris, vaut-elle plus cher que la vie d’un Indien à Calcutta ? Je pense que tout le monde ne peut pas se poser ce genre de questions. Peut-être n’est-il pas bon que tout le monde se pose ce genre de questions, mais si ceux qui essayent d’être chrétiens ne se posent pas ce genre de questions, alors je crois qu’il manque quelque chose dans notre approche. Il ne s’agit pas de dire : on va mettre tout le monde au régime de Calcutta, mais de demander : sommes-nous conscients de ce que nous faisons ? Aidons-nous des hommes et des femmes qui sont des gens évolués, qui ont un certain niveau de scolarisation, de culture, à prendre conscience de ce qu’ils vivent ? Car, s’ils n’ont pas cette conscience, quel sera l’enjeu des décisions qu’on leur proposera quand il s’agira de décider d’un traitement ou d’un autre ? Ne peut-on jamais faire intervenir la question de savoir si ce traitement, ce soin, cette opération en vaut la peine ? Pour qui ce traitement ou ce soin vaut-il la peine ? C’est une question qui me paraît un peu tabou, un peu occultée et pas toujours résolue de la meilleure manière quand elle est résolue de façon technocratique, simplement par la notation et la qualification économique des actes posés. A mon avis ce n’est pas de cet ordre-là.

Voilà, je voulais introduire notre échange par ces quelques réflexions. Peut-être l’une ou l’autre d’entres-vous souhaiterait maintenant intervenir pour poser des questions.

Questions-Réponses

1ère question : remarque, plutôt, sur les arbitrages délicats par rapport à la survie.

Mgr Vingt-Trois : Nous savons bien que, dans la question de la fin de vie, le passage le plus difficile est celui du moment où l’on peut accepter que ce soit la fin. Ce moment peut être différent selon les circonstances que vous avez évoquées. Quand on a affaire à quelqu’un qui est entouré, qui a une certaine manière acquise de vivre les événements ou au contraire quand on a affaire à quelqu’un qui est complètement abandonné, ce n’est pas la même chose.
A partir de quel moment va-t-on aider quelqu’un à entrer dans la fin, à comprendre que c’est la fin, à accepter qu’on ne peut plus faire grand-chose ? Et cela ne peut pas être le résultat instantané d’un élément quelconque, cela s’inscrit dans une certaine histoire de relations, d’entourage.

Je suis frappé quand je visite les services de soins palliatifs par leur façon d’inscrire la fin dans un temps qui peut être une semaine, 15 jours, un mois, deux mois, trois mois, et tout au long de ce temps, ils prennent soin des personnes, ils les aident à souffrir moins, etc. Mais surtout ils les aident à faire un chemin, ils les aident à intérioriser peu à peu des éléments qui se dégradent de façon perceptible. Ce ne sont pas des choses qui peuvent se décider en un quart d’heure de conversation, cela suppose aussi une relation inter-personnelle aussi. Que la personne ne sente pas, puisque c’est la fin, qu’elle est quelqu’un pour qui on ne peut plus rien faire, quelqu’un avec qui on ne peut plus avoir de relation. Je crois que c’est la clé de tout. Car quelles que soient les procédures ou les techniques, la question est : essaie-t-on de faire quelque chose ? Entretient-on une relation humaine avec ces personnes ? C’est la même chose avec les grands vieillards : il arrive un moment où les grands vieillards se demandent : suis-je encore quelqu’un pour quelqu’un ?

2e question : Comment aujourd’hui dans l’hôpital laïc, peut-on se positionner en tant que chrétien ? Souvent, dans les hôpitaux, c’est une position mal acceptée de l’entourage.

Mgr Vingt-Trois : J’espère que vous ne croyez pas que j’ai la solution, mais je peux vous proposer quelques pistes de réflexion.

Ma première piste, c’est de ne pas tout mélanger. Si on est soignant, on est là pour soigner. Ce qui est un témoignage de la qualité de votre présence, c’est la manière dont vous faites votre métier, le sérieux avec lequel vous remplissez votre rôle et la qualité humaine de votre implication dans la relation avec les malades.

Ce qu’il y a de commode dans les hôpitaux publics, c’est que les rôles sont bien clairs. Si vous êtes soignant, vous êtes soignant, vous n’êtes pas aumônier. Si vous êtes aumônier, vous n’êtes pas soignant. Quand je dis aumônier, c’est en général, cela peut être une personne de l’aumônerie, ce n’est pas seulement le prêtre. N’ayez donc pas le regret de ne pas faire ce que doit faire quelqu’un d’autre. Là n’est pas le vrai point.

Le vrai point, à mon avis, est de savoir comment la relation qui s’établit entre deux personnes autorise l’une d’elles à poser des questions ou à dire les choses qui lui tiennent à cœur ? Vous n’avez pas à vos demander : comment vais-je faire comprendre que je suis chrétien, mais plutôt : comment ma manière d’être va-t-elle permettre à telle personne de dire ce qui habite son cœur, ce qui l’inquiète, ce qui l’angoisse, ses soucis tout simplement. Sommes-nous arrivés à une qualité de relation telle que, par-delà le travail lui-même, existe une capacité de communiquer ?

Vous allez me dire cela supposerait que l’on puisse passer du temps. Je trouve qu’être capable de passer du temps auprès de quelqu’un est une meilleure indication de l’Évangile que d’être capable de lui dire quelle est ma religion. Car si vous pouvez passer du temps et s’il veut poser la question de la foi, il pourra le faire. Mais pour le reste il faut être soi-même. Si vous êtes chrétien, vous êtes chrétien, et si vous êtes chrétien, il n’y aucune raison pour que vous le cachiez. Mais ce n’est pas là un problème spécifique à l’hôpital. C’est vrai aussi à l’école, c’est vrai aussi dans votre cage d’escalier. La honte ou la crainte d’être chrétien n’est pas une spécialité hospitalière, c’est la situation des chrétiens dans un monde où ils sont entourés avec des gens qui ne pensent pas comme eux. Comment nous situons nous ? Devenons-nous des clandestins, c’est-à-dire que la foi fait partie des choses dont nous nous interdisons de parler ou bien devenons-nous des prosélytes, qui, à chaque occasion, essaient de placer leur marchandise.

Comme on ne veut être ni l’un ni l’autre, on est mal à l’aise. Pour retrouver une certaine sérénité et une certaine vigueur spirituelle, il faut accepter d’entrer dans la relation, c’est-à-dire de se laisser découvrir, d’être soi-même. Il ne faut pas être à la recherche de la brebis perdue pour la compter parmi nos trophées, mais être soi-même. C’est la qualité de votre présence, la qualité chrétienne, spirituelle de votre relation avec l’autre qui va faire que des questions qui l’habitent vont pouvoir s’exprimer, ou ne pourront pas sortir, ou qu’il sera, je n’ose pas dire heureux, mais moins malheureux si c’est vous qui venez que si c’est quelqu’un d’autre. Peut-être un jour vous demandera-t–il pourquoi. Vous pourrez répondre peut-être : parce que je suis chrétien. Cela vous éclaire-t-il un peu ?

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