Homélie de Mgr André Vingt-Trois – Messe à Saint-Ignace – Consécration de l’autel

Le dimanche 28 octobre 2007

 Lc 18, 9-14

Frères et sœurs, nous allons d’abord essayer de ne pas devenir des « publicains pharisiens ». Nous le serions si nous nous félicitions de n’être pas comme ces pharisiens qui se pensent meilleurs que les autres et nous glorifions d’être comme ces publicains qui se reconnaissent pécheurs, tant il est vrai que ce qu’il y a de meilleur en nous peut être retourné comme un instrument de gloire et un moyen de nous élever devant Dieu.

Ce qui est visé par l’Évangile que nous venons d’entendre, ce n’est évidemment pas le bien que peut faire le pharisien, qui est incontestable, mais le fait qu’il veuille se prévaloir de son obéissance à la loi et de son observance très fidèle aux commandements pour être justifié par ce qu’il a fait lui-même. La figure du publicain que Jésus met en contrepoint n’est pas davantage placée ici pour exalter le mal que le publicain a pu faire : très souvent, le publicain est présenté dans l’Évangile comme un prototype de pécheur et il est évident que le Christ ne veut pas nous dire que plus on est pécheur plus on a de titre à se prévaloir de l’amour de Dieu. Au contraire, il veut nous indiquer comment celui qui prend conscience de son état et qui se reconnaît dans sa réalité, tel qu’il est, devant Dieu, celui-là trouve grâce aux yeux de Dieu, parce la miséricorde de Dieu est grâce et non pas rétribution. Si Dieu nous sauve, s’il vient au devant de l’humanité, ce n’est pas pour récompenser les œuvres bonnes que nous aurions pu faire, c’est pour nous aider à sortir des œuvres mauvaises qui peuvent accabler notre vie.

Si nous regardons ces deux personnages, ils éclairent aussi notre manière de participer ensemble à l’acte liturgique de l’Église. Dans le régime chrétien, le bâtiment de l’église n’a pas la même place ni le même rôle que le temple dans le régime juif. Mais il demeure que, la tradition aidant, le lieu de réunion des chrétiens a pris une valeur symbolique telle que, d’une certaine façon, les assemblées que nous constituons à l’intérieur de ces églises sont comme une représentation, une figure de l’Église réelle du Christ répandue à travers le monde.
Par conséquent, la manière dont nous agissons, dont nous nous tenons, dont nous nous comportons dans l’assemblée chrétienne devient aussi une évocation parabolique de la manière dont nous nous comportons dans l’Église, dans le corps ecclésial tout entier. Il n’est pas certain, il est même probablement sûr, que beaucoup de chrétiens aujourd’hui, n’ambitionnent pas de prendre la première place. Plus fréquemment peut-être la deuxième ou la troisième qui sont quand même moins exposée tout en présentant quelques avantages. La plupart des gens sont moins candidats pour la première qui n’a pas que des avantages. Ce n’est donc pas sous cet angle là que nous devons accueillir la lumière que l’Évangile porte sur notre vie, mais bien plutôt sur le sentiment, qui n’est pas vraiment absent ou rare, d’un certain nombre de chrétiens, peut-être même de religieux et peut-être même de prêtres, de considérer qu’ils savent. Ils savent ce que doit être la foi, ils savent ce que doit être l’Église, ils savent comment l’Église doit fonctionner, ils savent pourquoi elle fonctionne mal, et ils sont prêts à proposer leurs solutions, non seulement à l’intérieur de l’Église mais plus volontiers en son dehors. Ils savent de source sûre, ils ne sont pas comme ces pauvres chrétiens qui vivent encore dans l’idée que l’Église a été faite et s’est répandue à travers le monde pour les conduire avec amour, avec responsabilité, avec persévérance ; ils croient plutôt que l’Église a été conçue pour être conduite par des êtres d’exception.
Or, ce que nous voyons dans le fonctionnement de l’Église, ce n’est pas que des êtres d’exception la conduisent mais c’est que la vitalité, la force, le dynamisme de son existence repose sur la sainteté, c’est-à-dire sur la capacité de quantité d’hommes et de femmes, de venir devant Dieu, - quand je dis : « venir », ce peut être venir dans une église, mais ce peut être aussi venir dans sa chambre, venir dans sa vie quotidienne, à chaque moment de son existence, de venir devant Dieu, de se courber devant Lui, de se reconnaître pécheur et de crier : « Au secours, Seigneur, prend pitié du pécheur que je suis ! » Celui qui fait cette démarche avec sincérité, avec conviction, avec réalisme, celui qui se laisse ainsi envahir par l’Esprit miséricordieux du Père qui vient le pardonner, celui qui se laisse conduire par l’Esprit d’amour qui vient le visiter, celui-là devient un élément dynamique et fortifiant de la vie de l’Église. Il connaît le secret de la charité ecclésiale et il la fait grandir et prospérer. Il peut être inconnu de tous, il peut être méconnu de beaucoup, il peut être brocardé, rejeté, mais il sait que la vérité de sa vie ne vient pas du regard des autres mais du regard de Dieu.

Ainsi, quand nous sommes rassemblés chaque dimanche pour célébrer l’eucharistie autour de l’autel, deux démarches nous sont proposées pour nous mettre dans l’état d’esprit que je viens d’évoquer. La première est l’accueil dans la célébration eucharistique au cours duquel nous sommes invités à nous reconnaître pécheurs, non pas seulement formellement par une formule rituelle que nous connaissons bien, mais profondément, au fond de notre cœur. J’insiste un peu sur cette démarche, puisque dans beaucoup d’endroits, - mais je suis sûr que ce n’est pas le cas ici -, certains arrivent trop tard pour pouvoir faire cette démarche et se reconnaître pécheurs devant Dieu. Ils n’ont donc jamais la possibilité de se mettre dans l’état d’esprit que suppose la célébration eucharistique.

Et puis, il y a une deuxième démarche, celle qui nous est proposée comme rite propre de l’introduction dans la communion eucharistique : le geste de la paix. Ce geste de la paix rassemble en un même mouvement l’accueil de la réconciliation que Dieu nous offre, la paix qu’il met en nous par son pardon, et la paix qu’il nous propose de transmettre à nos frères comme un don qui vient de lui. Il ne s’agit donc pas simplement d’un geste de sociabilité bienveillante, et d’ailleurs peu compromettant envers quelques voisins que l’on ne connaît pas, mais d’un acte vraiment spirituel : nous reconnaissons que, tout pécheurs que nous sommes et quelles que soient les apparences, - mais Dieu ne juge pas aux apparences -, nous avons été accueillis dans la communion eucharistique et que, puisque nous sommes accueillis dans la communion eucharistique, nous sommes invités et rendus capables d’accueillir nos frères dans cette communion eucharistique. Nous nous donnons les uns aux autres la paix qui vient du Christ. Celui qui vient chaque dimanche, qui se reconnaît pécheur avant d’accueillir la parole de Dieu et qui reçoit la paix du Christ de par le geste du célébrant et de par le geste de partage fraternel qui se déroule entre les participants, celui-là acquiert peu à peu, semaine après semaine, la véritable humilité du cœur qui lui fait venir recevoir le pain de Vie comme un pauvre et non pas faire l’honneur à l’Église de la présence d’un juste supplémentaire.
Frères et sœurs, dans la joie où nous sommes de consacrer cet autel qui nous rassemble et qui vous rassemblera semaine après semaine, nous nous mettons devant Dieu et du fond de notre cœur nous lui disons : « Seigneur, prend pitié du pécheur que je suis ».

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