Intervention de Mgr André Vingt-Trois au sujet des cellules souches embryonnaires

Assemblée Nationale – Jeudi 27 avril 2006

Audition de Mgr Vingt-Trois par M. Fagniez, député du Val-de-Marne, chargé d’un rapport sur les cellules souches embryonnaires et le clonage.

L’Église catholique ne s’exprime pas d’abord ni exclusivement en raison de pratiques ou d’interdits religieux particuliers mais au nom d’une conception de l’homme. Ce qu’elle a à dire en matière de bioéthique et de recherches médicales est, certes, fondé sur le Décalogue et notamment le « Tu ne tueras pas ». Ces commandements, en se combinant avec la sagesse grecque, ont façonné notre civilisation occidentale. Ils sont intégrés à notre conscience collective. L’Occident y a reconnu l’expression de la raison humaine et de la dignité propre à tout homme qu’aucune discrimination ne peut réduire.

Par ailleurs, l’Église catholique encourage vivement la médecine, ses progrès et les recherches qu’ils exigent. Sans remonter trop en arrière, notons ici l’enseignement du Pape Pie XII sur beaucoup de questions d’éthique médicale.

Les progrès considérables réalisés depuis le XVIIIe siècle ont fait entrer la médecine dans une ère nouvelle. Elle mobilise des moyens considérables et elle peut s’attaquer à des maladies qui paraissaient jusque-là une fatalité. La fascination qu’exerce ces progrès de la médecine ne doit pas occulter les critères moraux et conduire à des pratiques qui blessent la dignité humaine, notamment en matière d’expérimentation.

Des protocoles précis ont été établis pour que les essais nécessaires soient faits sur des animaux (ils ne sont d’ailleurs pas forcément sans poser des questions éthiques eux aussi) et pour que le passage à l’expérimentation humaine se fasse lorsque les espoirs d’efficacité d’un produit ou d’une intervention sont suffisamment sérieux et toujours avec l’accord informé des sujets.

En matière de recherche génétique, l’Église invite à respecter ces règles avec rigueur, tout manquement à la dignité d’un être humain étant une atteinte à la dignité de tous.

Il n’est pas inutile de se souvenir de l’aventure du Professeur coréen Hwang. Si la révélation de ses fraudes ne doit évidemment pas ruiner toute confiance dans les chercheurs, cette aventure est un avertissement : la recherche sur les gènes suscite des espoirs immenses qui finissent par devenir insensés voire fantasmatiques. Ils exercent une telle fascination que nombreux sont ceux qui perdent la tête. Pour obtenir les fonds nécessaires à des travaux extrêmement laborieux et coûteux, certains utilisent les attentes des malades potentiels que nous sommes comme moyen de pression sur les gouvernements et les donateurs. La concurrence entre les pays exacerbe aussi cette course aux financements, la crainte que son pays se trouve à la remorque des autres étant un argument facilement exploitable. Dans ce contexte, le rôle des hommes politiques est de garder la tête froide et d’aider aussi bien les chercheurs que les particuliers à réfléchir à long terme.

À l’heure qu’il est, trois faits peuvent être rappelés :

 L’affaire Hwang semble avoir pour résultat une évolution du discours des scientifiques qui parlent moins de “clonage thérapeutique” que de “clonage scientifique”.
M. Alain Claeys, rapporteur de l’office parlementaire des choix scientifiques et technologiques, affirme que « le travail sur les cellules souches est encore du domaine de la seule recherche fondamentale. Il faut cesser de laisser croire à des applications thérapeutiques lointaines » (La Croix, jeudi 6 avril 2006). Les espoirs thérapeutiques restent largement hypothétiques. Nul ne peut dire aujourd’hui avec certitude si le clonage humain est réellement possible ni s’il existe des applications cliniques sérieusement envisageables à partir de cellules souches embryonnaires.

 L’embryon humain, à quelque stade de son développement qu’on le prenne, est un être engagé dans un processus continu, coordonné, et graduel, depuis la constitution du zygote jusqu’au petit enfant prêt à naître.
Les événements particuliers de ce développement ne sont que l’expression, à un moment donné, d’une succession ininterrompue d’événements, où l’étape à venir est comme contenue dans l’étape qui la précède. Définir un seuil d’entrée dans l’humanité est illusoire. Parler de “pré-embryon” n’est pas ajouter une précision scientifique mais créer des mots pour se dédouaner d’utiliser un futur homme pour des fins qui ne lui seront pas bénéfiques. Le Comité Consultatif National d’Éthique l’a affirmé à plusieurs reprises. Déjà dans son rapport du 15 décembre 1986, il a rappelé que la qualification de l’embryon comme “personne humaine potentielle” signifiait admettre l’évidence d’un être humain en devenir et faisait prendre conscience que notre façon de le traiter engage la moralité de notre rapport à la personne humaine tout entière, à la collectivité sociale, au genre humain dans son ensemble. Ce même Conseil a exprimé dans l’avis 52-53 du 11 mars 1997 à propos de l’utilisation des embryons morts à la suite d’une interruption volontaire de grossesse, des inquiétudes qui se vérifient : « L’existence de collections et de tissus embryonnaires humains normaux conduira à considérer l’embryon comme un “matériau” de recherche banalisé, presque systématisé », ce qui facilitera des programmes de recherche opportunistes. Rappelons enfin que toute technique de clonage nécessite le prélèvement de très nombreux ovocytes féminins. Comment éviter que s’instaure une instrumentalisation du corps de la femme, de certaines femmes en tout cas ? On sait les dérives qui peuvent exister en matière de dons d’organes dans certains pays.

 Les programmes de recherche menés sur les cellules souches adultes ne posent pas de graves questions éthiques et donnent des résultats encourageants.
Certains travaux américains et allemands ont repéré une capacité de différenciation très grande de la part de cellules-souches prélevées dans les testicules de souris ou même d’hommes (Le Figaro du mardi 4 avril 2006) ; une équipe de l’hôpital militaire Percy a obtenu de bons résultats en matière de greffe en recourant à des cellules-souches adultes (La Vie, du 21 avril 2006). Ces recherches exigent elles aussi des fonds importants. L’attraction exercée par les cellules souches embryonnaires risque de priver ces programmes de recherches des moyens financiers dont ils ont besoin pour aboutir. Pourquoi privilégierait-on les programmes les plus délicats du point de vue éthique au détriment d’autres programmes pouvant aboutir eux aussi et permettant de respecter le libre consentement des donateurs ? Fabriquer des embryons humains à seule fin de les utiliser pour la recherche médicale ou pour les mettre au service de la guérison d’autres êtres humains ayant le privilège d’être déjà nés, c’est s’engager dans une voie périlleuse pour l’humanité. L’énoncer suffit à le rendre évident.

Par ailleurs, émerge une interrogation légitime : jusqu’à quelle mesure peut-on mobiliser des fonds considérables à des programmes de recherche extrêmement coûteux, dont les éventuels résultats positifs ne pourront jamais être exploitables à grande échelle, tandis que manquent les médicaments nécessaires pour soigner ou prévenir des maladies extrêmement répandues dont l’éradication est moins une question de recherche que de moyens financiers et de volonté politique ?

De manière plus générale, le Président de la République a pris l’engagement solennel le 8 février 2001 devant le Forum mondial des biotechnologies à Lyon de refuser tout clonage humain. Cette position a fait l’honneur de la France. Une position semblable bien que moins nette a été adoptée par l’ONU en sa sixième commission le 18 février 2005, confirmée par l’Assemblée générale le 8 mars suivant. La récente loi de bioéthique dont les décrets d’application viennent tout juste de paraître a introduit des accommodements pour une période limitée à 5 ans. Ces accommodements doivent faire l’objet d’une évaluation.

Quoi qu’il en soit des pressions exercées par certains scientifiques inquiets de ne pouvoir se lancer dans les mêmes recherches que ceux d’autres pays, la France n’aurait-elle pas tout intérêt à promouvoir des programmes de recherche de haut niveau, visant à l’excellence, dans le domaine des cellules souches adultes ? Cela serait bien dans son rôle de promotion des droits de l’homme et de son souci que tous les hommes reçoivent les mêmes droits, sans aucune discrimination. En tout cas, la confiance que les citoyens mettent dans les institutions démocratiques ne peut que souffrir de voir remis en cause, à peine instaurés, des équilibres délicats en matière de mœurs et de vie sociale.

L’Église a confiance à la fois dans les ressources du vivant et dans l’ingéniosité des scientifiques pour trouver des voies de progrès médical dans le plus strict respect de la dignité humaine. Les crises sanitaires récentes nous montrent que, si certaines maladies régressent, d’autres apparaissent dans le même temps. Que la vie humaine puisse se développer à l’abri de toute maladie est un rêve hélas illusoire. A une époque où beaucoup est possible et où les moyens dont l’humanité dispose sont à la fois immenses et limités, c’est la fonction du politique que d’indiquer aux scientifiques le cadre humain dans lequel leurs recherches peuvent se développer.

+André Vingt-Trois,
archevêque de Paris


 Voir le dossier “Bioéthique : l’embryon et la recherche”.

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