Table ronde des cardinaux et archevêques à Budapest

22 septembre 2007

Derniers moments de la table ronde des cardinaux et archevêques le samedi 22 septembre 2007 à Budapest.

Le journaliste : Mgr Vingt-Trois, vous avez dit à Bruxelles que pour ce qui est de s’offrir l’humanité, pour le développement de l’humanité, je cite : « Il n’y a pas beaucoup de concurrence ». Je concède volontiers cela, j’accepte cette thèse. J’ai la même expérience : il y a très peu de lieux d’où l’on peut entendre dire que notre devoir dépasse ce qui nous intéresse directement. À part l’Église, peu d’institutions parlent ainsi. Mais comment se fait-il que l’Église perde des fidèles au lieu d’en gagner ?

Mgr Vingt-Trois : Tout dépend de l’étalon avec lequel on mesure. Voilà deux mille ans que l’Église perd des fidèles. Depuis le Golgatha, elle fonctionne sur un échec. Le soir de l’exécution de Jésus, tous étaient dispersés sauf Marie et le disciple que Jésus aimait. Ils étaient entourés par des païens et par des Juifs qui se moquaient de Jésus et lui disaient : « Si tu es le Messie, descend de la croix ! » Et il n’est pas descendu ! Rideau... Fin de l’acte un. Acte deux : les femmes viennent au matin, et le tombeau est vide. Et acte trois : il apparaît aux disciples…

À chaque génération, l’Église a connu cette épreuve. La génération apostolique a été décimée. Dans la période antique, il y a eu jusqu’à 400 évêques en Afrique du Nord, il n’en reste plus que quelques traces. Si vous pensez à la période luxuriante de l’histoire chrétienne de l’Europe, vous pensez qu’on a perdu… Seulement, malgré les grands progrès pour l’humanité que représentaient l’élection des soviets et l’électricité, le processus enclenché en 1917 n’a pas gagné. Nous, nous n’avons apporté ni l’élection des soviets ni l’électricité, mais nous sommes toujours là (applaudissements).

Vous avez essayé de nous faire dire ce que nous avions de meilleur que les autres à proposer, à offrir pour gagner le marché. C’est vrai que Jésus offre beaucoup de choses : il guérit, il fait quelques miracles, - cela nous arrangerait bien aujourd’hui, si nous pouvions recommencer -, mais, en fait, ce que Jésus apporte et qu’il est seul à apporter, c’est qu’il ne fait pas des cadeaux aux hommes, il appelle les hommes. L’originalité de notre offre, c’est que nous ne sommes pas compétitifs face à la concurrence en cachant ce que nous allons demander au client. Nous sommes compétitifs en disant au client : « On va te demander tout ». Et ça, nous sommes les seuls à le faire (applaudissements). À Moscou, m’a-t-on raconté, une marque de voitures a pour publicité : « Si vous pensez au prix, vous n’êtes pas notre cible préférée ». Nous disons : « Si vous ne pensez pas à l’amour, vous n’êtes pas notre cible préférée. Si vous n’êtes pas prêts à aider vos frères, vous n’êtes pas notre cible préférée ». Nous ne sommes pas le meilleur produit sur le marché religieux pour attirer les clients. Nous sommes ceux qui disent : « Si tu veux, suis-moi, et si tu veux me suivre, prends ta croix chaque jour », ce qui n’est pas très encourageant pour le client (rires et applaudissements).

Le journaliste : L’Église n’est pas la seule qui peut faire du bien, qui peut aider à se renouveler, qui peut appeler au renoncement à soi. L’Église elle-même aujourd’hui nous dit que les chrétiens ne sont pas les seuls qui seront sauvés. Alors, finalement, quelle est l’offre ? J’en reviens à cette question.

Mgr Vingt-Trois : On peut marcher sur les genoux, on peut marcher sur les pieds, on peut marcher pieds nus, on peut marcher avec des sandales, on peut marcher avec des chaussures de marche. C’est toujours marcher, mais quel est celui qui a le plus de chances d’arriver au but ? Celui qui marche sur les genoux, celui qui marche sur ses pieds nus, celui qui marche avec des sandales ou celui qui marche avec des chaussures ? Peut-être que le but est le même, peut-être que tout le monde est capable de répondre à l’appel : pourquoi ne pas prendre les meilleurs moyens pour y arriver ? Question de bon sens. (rires et applaudissements)

Cardinal Schönborn : Je ne contredirai jamais l’Archevêque de Paris (rires) mais j’apporterai un complément absolument nécessaire : c’est le chapitre 25 de saint Matthieu. Bien souvent Jésus a rendu honteux ses propres disciples ou son peuple, le peuple élu, en montrant des païens, comme ce centurion de l’armée romaine dont il a dit : « Une telle foi, je n’en ai pas trouvé en Israël ». Toujours nous serons confondus par la générosité du cœur et du don de soi que l’on trouve chez des « païens » qui ne savent rien de l’Évangile mais qui le vivent et qui entreront avant nous dans le Royaume. Complément avec lequel tu es certainement d’accord (rires et applaudissements).

Cardinal Danneels : Réfléchir à l’offre, on le fait depuis des siècles et nous le faisons aussi. Je ne sais pas si la meilleure méthode n’est pas celle que Jésus lui-même a utilisée lorsque les premiers disciples sont venus à lui. Il n’a rien expliqué. Il a simplement dit : « Venez et voyez ». Si vous voulez savoir ce qu’est l’offre de l’Église, venez et voyez (applaudissements).

Cardinal Policarpo : Je voudrais compléter les moyens de transport de Mgr Vingt-Trois. Un cinquième, c’est le désir de tous, qu’ils marchent à genoux, pieds nus, etc., leur désir à tous d’apprendre à voler (rires et applaudissements). Ce fut une question centrale du deuxième concile du Vatican : tous les hommes peuvent chercher le bien, mais la discussion théologique n’est pas dépassée, qui fut au centre même de la Réforme en Europe : l’homme est-il vraiment capable de déployer les capacités de bien qui sont dans son cœur sans l’aide du Seigneur ? Nous, les chrétiens, nous avons la chance de le connaître, de pouvoir compter sur les moyens de la grâce dans leur multiplicité pour porter en avant chaque désir de notre cœur… Et ça, c’est une chance inouïe, c’est la confiance dans l’amour du Seigneur présent à nos côtés, en nous… On a gaspillé trop de temps à discuter si Dieu existe ou n’existe pas, à essayer de le comprendre. Au fond, pour moi, le plus important, c’est d’apprendre à vivre avec lui, même si on ne le comprend pas (applaudissements).

Cardinal Erdö : Si je peux me brancher sur cette parabole de Jésus comme avion : dans le dessein de Dieu, dans le Christ, c’est Dieu qui nous a communiqué dans la forme la plus complète notre but final, notre objectif. Mais nous ne doutons pas que même les païens ont la capacité rationnelle de reconnaître les objectifs convenables. Mais l’homme est pécheur. Il n’est pas suffisant de voir le bien, il faut avoir la force de le faire. On ne peut trouver le salut n’importe comment, mais celui qui fait tous les efforts possibles pour connaître Dieu et vivre selon ce qu’il en comprend, il pourra participer au Salut. Ceux qui essaient d’écouter la voix de leur conscience naturelle, eux aussi cheminent avec Jésus (applaudissements).

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