Interview de Mgr André Vingt-Trois par Famille Chrétienne

Famille Chrétienne - 24 juin 2006

Benoît XVI clôturera, les 8 et 9 juillet, la 5e Rencontre mondiale des familles, à Valence, dans une Espagne en proie à des mutations sociétales sans précédent. Des enjeux qui se retrouvent en France avec la revendication du “mariage” homosexuel. Le point avec Mgr André Vingt-Trois, archevêque de Paris, et membre du Conseil pontifical pour la famille.

On ne joue pas avec la famille

Famille chrétienne : Vous participerez aux côtés du pape à la prochaine rencontre mondiale des familles en Espagne, les 8 et 9 juillet à Valence sur le thème de la transmission de la foi. Le rôle de la famille est-il si primordial ?

André Vingt-Trois : La famille constitue le premier niveau de la transmission de la foi. Quand on parle avec des personnes âgées, on se rend compte que, bien souvent, les éléments subsistants sont ceux qu’ils ont appris dans leur petite enfance. Le reste s’est effacé. Cela veut dire - et tous les pédagogues le savent - qu’entre quatre et dix ans, les éléments qui se mettent en place sont déterminants pour la suite. Cela est vrai des éléments affectifs et psychologiques - c’est pourquoi il est tellement important que la famille soit stable - mais cela est aussi vrai des éléments spirituels. En clair, c’est la prière apprise tout petit - et faite dans la confiance des parents - qui ouvre l’esprit et le cœur au sens de la présence de Dieu dans le monde.

Pourquoi les catholiques français donnent-ils l’impression de bouder la rencontre des familles autour du pape ?

Il ne faut pas y voir une tiédeur de leur part. C’est surtout que les conditions pratiques ne sont pas commodes.

La conférence épiscopale a émis des réserves sur la loi sur l’immigration choisie, notamment sur le chapitre du regroupement familial. Pourquoi ?

Il est légitime, de la part des responsables politiques, de veiller à ce que le regroupement familial ne soit pas utilisé comme un subterfuge pour faire entrer du monde à tout prix. Mais il ne faut pas que les moyens de contrôle légitimes pour vérifier l’authenticité du regroupement familial reviennent à poser des conditions économiques telles que celui-là ne soit jamais possible. Quelqu’un qui est en France depuis cinq ou dix ans et qui ne dispose pas de statut légal ne peut pas travailler et ne peut pas réunir les conditions pour opérer un regroupement familial. La question est de savoir s’il est normal, dans un État moderne, que des gens soient réduits à vivre dans la clandestinité, sous le pouvoir des entreprises de travail au noir, ce qui ressemble à une forme d’esclavagisme. Pour ma part, j’aurais souhaité que la loi sur l’intégration pose de manière plus claire la lutte contre les réseaux de travail au noir.

Dans cette société qui tend à perdre ses valeurs, à quoi les catholiques peuvent-ils se référer ?

La société n’a pas perdu ses valeurs, elles les a changées ! C’est le règne du CAC 40 ! La question qui se pose aux catholiques, c’est de savoir s’ils vont adhérer à ces valeurs-là , ou essayer de vivre autrement. S’ils veulent vivre un autre genre de vie, il faut qu’ils acceptent de couper avec une certaine logique. On ne peut pas à la fois servir Dieu et l’argent, ni faire appel à l’Évangile pour les situations qui nous intéressent, et l’ignorer quand il nous gêne. L’Évangile, c’est un tout. Les chrétiens ne doivent pas se désolidariser de la société mais prendre conscience et faire prendre conscience des valeurs qui sont plus importantes : la générosité et le sens du service ; sortir de soi-même et entrer en relation avec les autres, être utile à l’humanité. En outre, dans une famille chrétienne, Dieu est personnel, vivant, agissant et présent. On entretient des relations avec Dieu, on le prie, on chante sa louange.

La prochaine conférence sur la famille devrait porter sur le rôle des liens entre générations. C’est une problématique qui intéresse l’Église ?

Avant de transmettre des valeurs, il faut d’abord savoir quelles sont celles que l’on veut transmettre. Le problème, c’est que la société adulte est hésitante sur la question. Or on ne peut pas avoir une attitude éducative à l’égard des jeunes si l’on est soi-même indécis sur le mode de vie que l’on veut mener. On ne peut pas demander aux jeunes d’être honnêtes, dans un monde où ce qui est sanctionné, ce n’est pas la malhonnêteté, mais le fait de s’être fait prendre.

Près de trois cents députés ont rejoint une “entente parlementaire” destinée à faire barrage au “mariage gay”. Comment l’Église regarde-t-elle cette initiative ?

Il faut saluer le fait que des parlementaires aient le courage de poser des questions taboues et d’exprimer ce qu’ils pensent. Ils l’ont fait hors hémicycle. J’espère que, dans un débat parlementaire éventuel, leur liberté de penser et de parler ne sera pas empêchée par leur parti. En tout cas, c’est un acte courageux, qui mérite d’être salué. J’espère qu’il sera suivi d’autres initiatives du même genre.

Vous avez déclaré devant la mission parlementaire sur la famille que l’adoption du “mariage” homosexuel remettrait en cause les fondements de notre droit. Pourquoi ?

Si la loi n’a pas de prétention à l’universalité, elle devient un simple règlement pour arbitrer entre tendances différentes et contradictoires. La loi de la République doit s’appliquer à tout le monde dans la République. On ne peut pas dire que s’applique à tout le monde la définition d’un “mariage” qui prendrait le contre-pied de l’organisation de la société. Il faut bien comprendre que la manière dont les hommes mènent leur vie personnelle a un effet sur le déroulement de la vie sociale. Entrer dans un certain type d’exercice de la sexualité, hors de l’union stable d’un homme et d’une femme, conditionne un certain type de vie sociale, qui peut être marqué par des formes de pathologie, de désespoir, de violence, etc. Nous en avons déjà des signes tangibles, ce n’est pas absolument hypothétique !

Êtes-vous favorable à ce que le législateur redéfinisse le mariage dans le Code civil ?

Nous sommes déjà en train de le vivre. Si certains posent avec persévérance la question du “mariage” homosexuel, ils s’attaquent bien à la question de sa définition. On peut trouver que c’est dommage, mais c’est la réalité. A partir de ce moment-là , il faut répondre positivement à votre question Il faut définir ce qui paraissait jadis évident, à savoir que le mariage suppose l’union d’un homme et d’une femme.

A propos de la question douloureuse des divorcés-remariés, comment l’Église vit-elle le décalage entre l’exigence du commandement et la détresse de certains fidèles ?

Nous sommes confrontés à l’abîme entre le don de la plénitude de la vie que Dieu nous fait et notre capacité à l’accepter. Cela s’appelle le péché, qui fait partie de notre condition. C’est pour cela que l’Église appelle à la réconciliation avec Dieu, par la conversion, par la pénitence, et par le sacrement de réconciliation. Il est certain que dans le cas des divorcés-remariés, il y a un sentiment de frustration douloureux. Cependant, il faudrait affiner un peu les choses. On ne peut pas dire simultanément que 80% des jeunes qui se marient à l’Église ont peu de lien avec la vie chrétienne et faire comme si, une fois mariés, ils étaient devenus des pratiquants réguliers. Par ailleurs un certain nombre de chrétiens convaincus ont été entraînés - souvent à leur corps défendant - dans un divorce. Ils se sont trouvés dans une situation difficile. Pour des raisons diverses et variées, ils ont contracté une nouvelle union. Si je leur disais que leur situation est normale et facile à vivre, je leur mentirais. Ils le savent et en souffrent eux-mêmes. Alors l’Église doit les accompagner. Comme tous les baptisés, ils sont appelés à la sainteté. L’Église doit les aider à trouver le chemin qui, de leur situation présente, les mènera vers la sainteté où Dieu les appelle.

A vos yeux, quel est l’état de la famille dans notre société ?

La famille intéresse. Il y a quelques décennies, certains ont cru pouvoir se débarrasser de cette institution qu’ils rendaient responsable de tous les maux. Aujourd’hui, les observateurs reconnaissent que la famille n’a pas plus disparu de l’horizon que la religion. Dans les sondages d’opinion, la famille vient en tête des valeurs ou des espérances de ceux que l’on interroge. Seulement, la famille n’est plus le lieu du travail, qu’elle était dans la France rurale. Elle est le lieu de l’affectivité et du bien-être. Nous devons comprendre mieux l’originalité de la famille : elle est fondée sur le pacte d’amour des époux, elle est le lieu fondateur parce que les relations entre les hommes n’y sont pas mesurées par les performances des uns ou des autres, mais par l’amour. Nous aimer les uns les autres en vérité nécessite un apprentissage, et aussi, nous chrétiens en sommes convaincus, une guérison de notre cœur.

Propos recueillis par Sophie le Pivain et Samuel Pruvot

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