Entretien de Mgr André Vingt-Trois avec La Croix

La Croix – 22 novembre 2007

Les cardinaux en sommet à Rome. Après une journée de consultation des cardinaux sur l’œcuménisme, vendredi 23 septembre, Benoît XVI créera 23 nouveaux cardinaux samedi, dont l’archevêque de Paris qui se confie dans un entretien à La Croix.

La Croix : A qui penserez-vous samedi 24 novembre quand Benoît XVI vous remettra la barrette de cardinal ?

À ma famille, mes parents, ma mère qui ne pourra pas se déplacer en raison de sa santé. Au cardinal Marty qui m’a ordonné prêtre. Au cardinal Lustiger qui m’a ordonné évêque. Et aux Parisiens, puisque le diocèse est honoré par cette nomination.

Archevêque, président de la Conférence des évêques, cardinal : comment le chrétien vit-il ces charges et ce pouvoir ?

Je vis et reçois ces événements comme une grâce particulière. Si je pense à l’élection à la présidence des évêques, qui a été rapide, les motivations d’un vote peuvent être diverses mais le résultat est un signe spirituel : l’Esprit Saint demande. Même chose quand le pape me demande d’être cardinal. C’est une grâce que je reçois comme un don de Dieu.

Et le pouvoir ?

Je ne suis pas fasciné par le pouvoir lié à ma responsabilité. Ma manière de vivre l’autorité ecclésiale n’est pas sur le mode de l’exercice d’une puissance d’autorité, mais plutôt comme une autorité de conviction et de consentement.

Qu’est-ce qui vous guide devant une décision difficile à prendre ?

D’abord, tenir compte de ce qui est possible : inutile de prendre des décisions solennelles si l’on sait déjà qu’elles ne seront pas appliquées, on discrédite l’autorité et on ne fait rien avancer. Je cherche ensuite ce qui va être de nature à faire grandir dans la fidélité au Christ : je ne suis pas envoyé pour prendre des décisions spectaculaires, mais pour aider un peuple à grandir dans sa foi et sa fidélité au Christ. Je regarde, enfin, ce qui peut faire grandir la communion dans l’Église et contribuer à la paix dans la société et l’Église.

Vous donnez l’impression d’être placide. Ne vous énervez-vous jamais ?

Si, quand je rencontre la bêtise, la méchanceté, l’incohérence… Mais j’essaie de ne pas le montrer, parce que cela fait partie du confort de vie que l’on doit à ses contemporains.

Êtes-vous passionné par votre mission ?

Oui, mais être passionné ne veut pas dire être excité ! J’ai été très heureux à Tours et le suis vraiment à Paris où j’hérite d’un diocèse qui fonctionne très bien. J’ai eu de la chance, comme on dit, mais sur un plan chrétien, mon objectif spirituel est de toujours mieux comprendre la volonté de Dieu, de mieux m’y associer. Je ne me vois pas le vivre sous l’angle dramatique de l’agonie à Gethsémani (ce n’est pas ma situation), mais sous l’angle plus paisible de l’Annonciation et de la phrase de Marie : « Qu’il me soit fait selon ta parole. »

Êtes-vous mystique ?

Je ne suis pas un mystique, j’essaie d’être croyant, je prie ! Je ne suis pas seulement l’homme qui fait les exercices prévus, j’ai aussi une rencontre personnelle avec le Christ, notamment par la méditation de l’Écriture, le chapelet, l’adoration du Saint Sacrement… Une fois par mois, j’ai un lundi de prière silencieuse avec les prêtres. Sans oublier des temps de retraite quatre ou cinq fois par an.

Qu’est-ce qui a façonné votre vision du monde ?

Je dois beaucoup à ma famille et au temps de ma jeunesse où j’ai reçu beaucoup d’amour, à Paris et dans le Jura. C’est une expérience heureuse d’amour et de dévouement, de confiance, de courage, de fidélité, d’endurance devant les difficultés de la vie… Même si ma vocation remonte à l’enfance et qu’elle était une évidence réfléchie au moment du lycée, je dois beaucoup à mes aumôniers de lycée, Yves Gernigon, Jacques Breton, avec qui j’ai vécu une vie chrétienne intense.

Et le cardinal Lustiger ?

Nous nous sommes rencontrés en 1969 : j’avais 27 ans déjà. C’était mon premier poste et c’était sa première année de curé. J’ai profité de son expérience de découverte, parce qu’il parlait volontiers de ce qu’il faisait.

En quoi vous a-t-il marqué ?

Je vois trois dimensions principales. La première, son regard de foi sur la réalité, cette conviction que nous ne sommes pas là pour gérer une situation mais pour annoncer Jésus-Christ. Ensuite, l’apprentissage de l’intériorité liturgique : la célébration n’est pas un spectacle plus ou moins bien agencé, mais un acte spirituel dans lequel on est engagé soi-même. Enfin le sens pastoral, aller vers les gens.

Je suis un disciple : j’ai beaucoup appris avec lui et partagé beaucoup d’expériences pastorales. Mais je ne suis pas un fils spirituel : il n’a jamais été mon directeur spirituel ni été à l’origine de mon engagement dans la vie chrétienne.

Si le pape vous demande samedi votre avis sur les priorités pour l’Église, que direz-vous ?

L’investissement dans les relations avec les autres Églises, mais aussi la mission : en quoi consiste-t elle ? Ma question n’est pas de faire entrer des jeunes dans les églises, mais de leur partager ce que nous avons reçu comme une richesse et un motif d’espérance. Nous avons assez de métier pour monter des spectacles attractifs, mais sommes-nous capables de proposer aux jeunes quelque chose qui soit utile pour leur vie ? Être un chrétien est un bonheur. Cela devrait être envié ! Si nous avons une capacité de bonheur, nous devons apprendre à mieux l’exprimer, car c’est ce que nous avons de meilleur. S’il y a une valeur ajoutée pour nos contemporains, c’est bien la joie de la foi.

Comme nouveau président de la Conférence épiscopale, qu’est-ce qui vous semble l’urgence ?

Il faut que nous progressions encore dans la qualité de notre travail commun entre évêques. C’est la fonction principale de la Conférence épiscopale. Lieu de travail en commun, elle n’est pas un laboratoire théorique qui prépare des modèles applicables dans tous les diocèses. L’ensemble de notre dispositif doit être au service de la communion des évêques. Nous devons avoir un objectif opérationnel très clair : aider à mieux analyser les conditions actuelles de la vie chrétienne dans notre pays et dégager des axes communs. Cela a été fait il y a dix ans avec la Lettre aux catholiques de France, et avec la catéchèse ces dernières années. Il faut poursuivre.

Sur quel axe particulier ?

Aider nos prêtres à avoir une présence plus efficace et moins usante. L’objectif n’est pas de ne pas s’user, car nous ne sommes pas prêtres pour avoir une vie confortable. La question est de s’user de manière utile. Nous vivons le basculement d’un modèle d’Église à un autre, et ceux qui vivent ce changement en portent le poids. Ce n’est pas un projet technocratique qui pourra venir à bout de ce travail, mais le développement spirituel que nous avons à promouvoir parmi les prêtres, afin qu’ils s’identifient mieux à un certain nombre de tâches définies par le Concile.

Recueilli par Jean-Marie Guénois.

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