Rencontre du cardinal André Vingt-Trois avec les lecteurs du Parisien - Aujourd’hui en France

Aujourd’hui en France – 23 décembre 2007

Article publié dans le numéro du 23 décembre 2007.

Archevêque de Paris, cardinal, Mgr André Vingt-Trois est le nouvel homme fort de l’Eglise française. Les SDF, la sexualité, Nicolas Sarkozy, la crise des vocations... A la veille des fêtes, il répond sans détour aux questions de nos lecteurs.

L’ARCHEVÊQUE de Paris est un homme ponctuel : créé cardinal le 16 octobre dernier, Mgr André Vingt-Trois, costume noir et chaussettes rouges, est même arrivé en avance de dix minutes par rapport à l’heure du rendez-vous fixé au siège de notre journal à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), samedi 15 décembre à 14 heures. Les lecteurs, qui venaient de déjeuner sur le pouce autour d’un buffet, en étaient encore au café lorsque l’archevêque de Paris est apparu. Présentations rapides et échanges de poignées de main autour d’un petit noir : l’homme est d’un abord cordial. Confronté au feu roulant des questions des lecteurs (dont trois catholiques pratiquants, deux athées et un dernier « en plein doute ») qui ne lui épargneront aucun sujet sensible dans l’Eglise, le cardinal, élu président de la Conférence des évêques de France le 5 novembre dernier, prend soin de répondre à chacun. Interrogé sur l’euthanasie, il finit par évoquer, sur le ton de la confidence, sa mère « qui a 96 ans et ne peut plus marcher ». Assurément, Nicolas Sarkozy lui plaît, surtout lorsque ce dernier défend - lors de son récent voyage au Vatican - le concept de « laïcité positive ». « Le président a exprimé la manière dont il assume, lui, la laïcité française, l’héritage de l’histoire de France », a-t-il expliqué hier au « Figaro », en précisant que « cette manière-là est neuve, assurément ». Demain soir, Mgr André Vingt-Trois, le nouvel homme fort de l’Église française, célébrera la messe de minuit en la cathédrale Notre-Dame de Paris.

SANDRINE HATRAIT. Comment doit-on vous appeler ?

Mgr André Vingt-Trois. Vous avez le choix : monsieur, père, monseigneur et, dans des relations officielles, Éminence. Je préfère père.

NICOLAS PRONIER. Devenir cardinal, était-ce une fin en soi ? Quelles sont vos obligations ? Êtes-vous « papabile » (NDLR : éligible à la fonction de pape) ?

Cardinal, ce n’est pas une fin en soi. Le cardinal est un conseiller du pape. C’est surtout parce que je suis archevêque de Paris que je suis cardinal. Quand à savoir si je suis « papabile », tous les cardinaux le sont, sauf qu’il faut savoir quand même le faire. Et on ne sait pas si on sait le faire (rires).

AUDREY AMBROSIO. Ne pensez-vous pas qu’il manque une personnalité aussi charismatique que l’abbé Pierre, aujourd’hui, dans l’Église ?

Mais les personnalités charismatiques, ça ne se fabrique pas ! Certains sont charismatiques, ils marquent ceux qui les rencontrent, mais ils ne sont pas connus médiatiquement. A Paris, comme « vedettes » médiatiques, nous avons quand même Guy Gilbert ! L’abbé Pierre ne savait pas qu’il serait charismatique quand il était jeune franciscain. Il faut aussi qu’il y ait le déclic : en l’occurrence, l’hiver 1954. Si vous prenez l’abbé Pierre, mère Teresa, Jean-Paul II, toutes ces personnes âgées « assez décaties » (ton ironique), comment se fait-il qu’elles aient accroché avec la jeunesse ? Je crois que c’est parce qu’elles étaient dans la vérité et que la vérité des personnes se reconnaît.

TAHAR TITOUCHE. Les Don Quichotte ont essayé de planter leurs tentes près de Notre-Dame-de-Paris le 15 décembre. Que peut faire la religion pour les sans-abri ?

De nombreux chrétiens font des choses : aujourd’hui, par exemple, le Secours catholique accueille 1 500 SDF en France, dont 500 à Paris. C’est un investissement à longue échéance qui n’est pas spectaculaire. Les églises ne sont pas équipées pour accueillir les sans-abri. Il faut trouver une formule qui contribue à leur redonner une place dans la société. S’ils sont dans la rue, ce n’est pas simplement à cause des problèmes de logement mais parce qu’ils rencontrent d’autres difficultés : travail, divorce... La question n’est pas seulement de savoir où ils vont coucher, mais comment on va pouvoir les réintégrer dans la société.

SANDRINE HATRAIT. Pourquoi n’entend-on pas l’Église sur les violences en banlieue ?

Je ne suis pas sûr qu’en parler beaucoup arrangerait grand-chose ! Les chrétiens vivent et agissent aussi dans les banlieues. D’ailleurs, l’évêque de Pontoise (Val-d’Oise) célébrera Noël, à Villiers-le-Bel, pour montrer qu’il existe une communauté qui n’est pas dominée par la violence.

TAHAR TITOUCHE. Et sur l’écologie, quel est le discours de l’Église ?

L’Église appelle à la responsabilité face à la nature. Mais ne transformons pas la nature en nouvelle divinité qui soumettrait l’homme à l’esclavage. On codifie tellement les comportements qu’on ne sait même plus si on a le droit de manger un yaourt !

NICOLE PAYEN. Pourquoi Mgr Jacques Gaillot a-t-il été sanctionné en 1995 ?

C’est un grand chrétien, moi, je n’ai pas de doute là-dessus. Mais il ne parvenait pas à inscrire ce qu’il souhaitait faire dans sa fonction. C’est comme l’abbé Pierre : s’il avait été évêque, ça aurait été une catastrophe ! Ce n’était pas son profil. Il y a peut-être eu une erreur de casting. Mgr Gaillot s’est trouvé en porte-à-faux à plusieurs reprises.

TAHAR TITOUCHE. Que pensez-vous de l’évolution des mentalités par rapport au mariage homosexuel ?

Les gens qui ont une vie homosexuelle ont besoin d’être respectés. Mais ça ne justifie pas que l’on dise que le mariage est fait pour unir des homosexuels. S’il arrive que des enfants soient élevés par des parents homosexuels, il s’agit de cas particuliers. Pour fabriquer des enfants, il faut un homme et une femme. Pour qu’un enfant grandisse dans de bonnes conditions, il vaut mieux qu’il ait un père et une mère.

NICOLE PAYEN. J’ai une très bonne amie divorcée et remariée. Or elle ne peut pas recevoir les sacrements de l’Église. N’est-ce pas une double peine ?

C’est dramatique lorsque ça arrive mais je ne peux pas à la fois plaider pour le mariage unique et définitif et dire, quand ça ne marche pas, que ça n’a pas d’importance ! Ça ne veut pas dire que votre amie est exclue de l’Église. La grâce de Dieu ne se réduit pas aux sacrements.

NICOLAS PRONIER. Euthanasie, avortement, préservatif, est-ce logique que l’Église refuse ?

L’euthanasie, c’est donner légalement le droit à quelqu’un de tuer l’autre. Mais nous ne disposons pas de notre vie. Quant à la souffrance, c’est une question d’accompagnement. S’il y a une telle campagne d’opinion en faveur de l’euthanasie, c’est aussi parce qu’on ne sait que faire avec les gens en fin de vie. Moi, je dis qu’il faut aider nos aînés jusqu’au bout. Tout à l’heure, j’irai voir ma mère, qui a 96 ans et ne peut plus marcher. Elle trouve le temps long mais on ne dispose pas de sa vie et, moi, j’ai à l’accompagner jusqu’à la fin. Cela fait partie de la grandeur de l’homme.Quant à l’avortement, il faut bien voir que le seuil de la naissance est simplement un changement d’état. L’être qui naît, un mois ou deux avant sa naissance, était déjà le même : c’est un être humain qui mérite d’être respecté depuis l’origine.

NICOLAS PRONIER. Et le préservatif ?

Dans notre société, l’éducation sexuelle a été réduite à sa dimension biologique et aux risques pour la santé. Il faut savoir quelle sexualité on veut vivre : une sexualité humaine ? Ou sans maîtrise personnelle ? Pour les couples au sein desquels il y a contamination, la question est la suivante : faut-il encourager les gens qui se perçoivent comme incapables de vivre l’abstinence à se donner la mort mutuellement ? C’est évidemment inimaginable. Dans ce cas-là, il faut prendre les moyens pour l’éviter.

TAHAR TITOUCHE. Que pensez-vous de Nicolas Sarkozy ?

C’est un homme sympathique. Il a un don d’empathie. Il m’a dit : « Si on veut faire progresser les choses, il faut aller vers les gens. » Il y va, y compris vers ceux qui ne sont pas de son avis. Quant à sa politique, je ne suis pas chargé de la juger. D’ailleurs, lui-même dit : « Je ne suis pas sûr d’avoir raison mais je veux faire quelque chose. »

TAHAR TITOUCHE. Et la visite de Kadhafi à Paris ?

D’un point de vue cynique et historique, les pires monstres peuvent toujours trouver de la respectabilité s’ils durent assez longtemps et s’il y a des intérêts suffisants. L’important, c’est que le temps permet à un homme d’évoluer. Prenons l’exemple d’Arafat, qui a commencé à la kalachnikov pour finir chef de l’Autorité palestinienne. Begin a commencé en faisant le coup de feu à Jérusalem, dans les années 1946 : il est devenu Premier ministre d’Israël. Mais, pour en revenir à Kadhafi, la Libye deviendra-telle un pays démocratique avec lui ?

SANDRINE HATRAIT. Que peut faire l’Église face à la crise des vocations ?

Il y a des départements dépeuplés. Il faut aider les chrétiens à comprendre que ça ne fonctionne plus comme au XIXe siècle où tous les villages avaient un curé pour 200 habitants. Il faut créer des pôles de vitalité qui attireront largement le dimanche.

NICOLE PAYEN. Chez moi, un enterrement sur deux est célébré par un laïc. Le jour où je vais mourir, il n’y aura plus de prêtre pour m’accompagner...

Si vous permettez que je vous donne un conseil, inquiétez-vous davantage de la messe du dimanche que de votre enterrement. Ça vous apportera beaucoup plus. La façon dont vous serez enterrée ne changera pas grand-chose ! Qu’est-ce que ça peut vous faire ? (Rires). Je comprends que ça vous bouleverse. Mais dans le monde, il y a 500 000 manières de se faire enterrer.

TAHAR TITOUCHE. Chez les Juifs et les musulmans, rabbins et imams sont mariés. Pourquoi l’Église n’autorise-t-elle pas le mariage des prêtres ?

Ce n’est pas la même chose. Les rabbins et les imams sont animateurs de la prière, mais ils n’ont pas la même place : pour nous, catholiques, le prêtre rend présent le Christ et cela est décisif. Il faut que les prêtres soient complètement engagés dans le service de l’Église.

SANDRINE HATRAIT. Et pourquoi pas des femmes prêtres ?
Parce que Jésus était un homme. Marie, qui était une femme, a eu une mission différente de celle des apôtres.

SANDRINE HATRAIT. Le pape a publié un texte facilitant la célébration de la messe en latin. Or tout le monde ne le comprend pas. Ne serait-il pas préférable qu’elle reste en français ?

Dans le « Motu Proprio », il ne s’agit pas de revenir au latin à la place du français, mais de tenir compte d’une tendance « traditionaliste ». A Paris, en plus des églises où il y a toujours eu des messes chantées en latin, il y a trois églises où l’on célèbre selon l’ancien missel : ça fait au maximum 3 000 personnes le dimanche sur 150 000. Ce qui compte, c’est que les gens participent à la prière : les gens qui chantent de bon cœur en grec « Kyrie eleison » (« Seigneur, prends pitié ») ne comprennent pas forcément mais ils chantent et c’est bien ; leur prière s’adresse à Dieu. En revanche, si je leur lis un passage de l’Évangile dans une langue qu’ils ne comprennent pas, ça ne sert à rien.

NICOLAS PRONIER. Ne faudrait-il pas diriger l’Église comme une entreprise de communication ?

Ça fait deux mille ans que l’Église communique. L’idée que, si on emballait mieux nos produits, on pourrait mieux les vendre est une idée marketing séduisante mais ça ne fonctionne pas dans la religion. C’est une erreur. La meilleure communication, c’est quand même Tupperware : quelqu’un capable de convaincre quelqu’un !

SANDRINE HATRAIT. Comment faites-vous passer le message spirituel de Noël, qui est devenu une fête très commerciale ?

Si la fête de Noël s’est commercialisée, c’est peut-être parce qu’on oublie ce que la naissance du Christ apporte à l’humanité : c’est la victoire de la lumière sur la nuit de Bethléem, la victoire de la lumière de Dieu sur les nuits de l’humanité. Beaucoup de nos contemporains vivent sans espérance ou avec des espoirs qui sont trop souvent déçus, comme la richesse, le bien-être, la sécurité à tout prix. Ce que Jésus annonce dans ce monde, c’est qu’il y a d’autres richesses que celles-là. Et la plus grande richesse, c’est l’amour.

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