Interview de Mgr André Vingt-Trois au sujet de l’encyclique “Deus caritas est”

Radio Notre-Dame - 25 janvier 2006

Cet interview a été réalisée par téléphone, Mgr André Vingt-Trois n’étant pas à Paris lors de la parution de l’Encyclique.

Radio Notre Dame – Quelle est votre première réaction devant ce texte assez bref mais qui englobe beaucoup de réflexions sur le thème de l’amour ?

Mgr André Vingt-Trois – C’est un texte bref mais dense. Il appelle une lecture soigneuse : c’est un texte très construit, avec des éléments qui se répondent les uns les autres et exige donc beaucoup d’attention. Ma première impression est que ce texte pose une affirmation très importante aujourd’hui dans le monde et pour les chrétiens. L’affirmation importante pour le monde est que l’humanité ne peut pas se passer d’amour. Et l’affirmation importante pour les chrétiens est qu’ils ne peuvent être chrétiens sans que leur relation avec Dieu change leur manière d’être avec les hommes et sans que leurs relations avec les autres soient éclairées par leur relation avec Dieu.

Radio Notre Dame – Peut-on dire que la volonté de Benoît XVI ait été de purifier la définition même de l’amour ?

Mgr André Vingt-Trois – C’est certainement d’apporter un éclaircissement très heureux. On sait que la capacité pédagogique du pape est considérable. Il a mis ce talent pédagogique au service d’un effort pour préciser ce que l’on veut dire lorsque l’on parle d’amour, lorsque l’on parle de charité, comment les chrétiens peuvent vivre ces réalités.

Radio Notre Dame – Quand on parle d’amour, il y a beaucoup d’incompréhension entre le monde et l’Église. Croyez-vous que cette encyclique pourra contribuer à combler quelque peu ce fossé ?

Mgr André Vingt-Trois – Oh, elle atténuera des incompréhensions, en tout cas pour les personnes de bonne volonté, qui veulent bien réfléchir. Pour ceux qui ont fixé leur position une fois pour toutes et qui n’acceptent pas de réfléchir, cela ne changera rien. On ne peut aider des gens à évoluer dans le dialogue s’ils ont décidé a priori de ne pas évoluer. Il est important que le pape dise ce qu’il dit, il est important que les chrétiens le méditent, qu’ils en soient les témoins, qu’ils en parlent, qu’ils acceptent d’entrer en dialogue avec leurs contemporains sur ces sujets, mais si l’on a posé en principe que l’amour est une affaire de glandes, tout ce qu’on peut dire ne sert à rien.

Radio Notre Dame – Ce texte peut-il donner des arguments aux chrétiens pour leurs discussions parfois vives avec des personnes qui pourraient être hostiles ?

Mgr André Vingt-Trois – C’est une très belle réflexion sur la dimension rationnelle, c’est-à -dire commune, de l’existence humaine. L’encyclique commence par une réflexion qui ne part pas d’une affirmation de la foi, mais de l’expérience humaine et des réflexions philosophiques menées sur cette expérience, pour montrer comment ce que l’on appelle l’éros, le dynamisme du désir qui habite tout homme, est capable d’être élevé à un autre niveau de réalisation et donc à un autre type de relation. Cette expérience commune du désir de l’amour qui habite le cœur de l’homme peut aussi bien être dégradée en une relation qui utilise les autres comme des objets ou être élevé en entrant dans une relation d’amour respectueuse des autres. Cette réflexion qui ne consiste pas à mettre en opposition une sorte d’amour charnel face à un amour mystique devrait aider les chrétiens à comprendre ce qu’ils vivent.

Radio Notre Dame – Quelle est l’intention du Pape dans cette encyclique ? Il dit, notamment dans son introduction, vouloir susciter un dynamisme renouvelé de l’amour.

Mgr André Vingt-Trois – Il veut attirer l’attention sur le fait que l’évolution des conditions de vie à travers le monde, la mondialisation économique, le développement des moyens de communication qui rapprochent de manière virtuelle toutes les réalités humaines à travers le monde , ouvre un champ nouveau de réflexion et d’action pour ceux qui veulent vivre une véritable solidarité humaine et a fortiori pour ceux qui veulent vivre une vraie charité chrétienne.

Radio Notre Dame – Justement, vous avez parlé d’action. Dans la seconde partie, le Pape insiste beaucoup sur l’esprit qui doit guider les œuvres caritatives de l’Église. S’agit-il pour vous d’un retour aux sources, aux origines des engagements sociaux et humanitaires des chrétiens.

Mgr André Vingt-Trois – L’approche du Pape est très intéressante car elle situe avec beaucoup de clarté ce qui est de l’ordre de la responsabilité politique, de la responsabilité des collectivités civiles, que ce soit l’État, les communes, les régions, ou les organisations internationales : il y a un ordre de responsabilité auquel il ne s’agit pas de se substituer ; l’Église n’est pas là pour dire ce que devrait faire l’ONU ou tel gouvernement ou tel ministre ; elle est là pour rappeler des exigences éthiques qui concernent la dignité des hommes, elle est là pour réveiller des dynamismes humains au cœur des hommes. Elle a donc, pour employer un mot que le pape n’emploie pas mais qui est assez évocateur dans notre culture contemporaine, une fonction prophétique qui consiste à dire : “Attention, on ne peut se laisser enfermer dans les conditionnements socio-économiques de notre univers, nous devons être attentifs à différentes valeurs et à différents droits pour qu’il y ait plus de justice”. Mais cela n’est pas le terrain propre de l’Église. A un second niveau, agissent les chrétiens qui sont engagés personnellement comme citoyens dans ces actions de justice économique, politique, sociale, civile. Il y a enfin ce que le Pape appelle “l’œuvre propre de l’Église”, ouvre dans laquelle elle a une responsabilité directe. Cette ouvre propre ne consiste pas à compenser ce qui ne serait pas fait par les autorités civiles ou les organisations non confessionnelles. Elle consiste d’abord à faire face à toute nécessité : l’Évangile nous demande d’aller au devant de ceux qui ont faim, qui sont malades, qui sont nus, qui sont prisonniers, il ne nous demande pas si la structure hospitalière est ce qu’elle devrait être. Et deuxièmement, nous avons à redire sans cesse qu’on ne peut pas se contenter de bien faire notre travail, on ne peut pas se contenter d’établir la justice, il faut encore l’amour qui est une qualité d’attention humaine qui dépasse les programmes d’aide.

Radio Notre Dame – Le Pape a des mots assez durs quand il parle du sécularisme de nombreux chrétiens engagés dans les actions caritatives.

Mgr André Vingt-Trois – Il ne dévoile pas un secret, tout le monde peut constater que cela correspond à certaines situations, le Pape ne reproche à des chrétiens de participer à des ouvres de solidarité non confessionnelles, au contraire il leur donne leur place. Il dénonce que l’Église se laisse réduire à n’être qu’une association d’aide mutuelle comme les autres, elle a un message particulier à apporter.

Radio Notre Dame – On considère souvent la première encyclique d’un pape comme fondamentale pour comprendre la manière dont il entend orienter son pontificat. Quelle sera selon vous la portée de cette encyclique ?

Mgr André Vingt-Trois – Elle définit une ligne très claire : elle rappelle aux chrétiens d’une part les fondamentaux de leur foi dans la relation avec Dieu, dans le contenu de la foi, ce à quoi nous croyons, et d’autre part la responsabilité qui en découle dans la manière de vivre dans la société. Ce qui est original, tel que le Pape présente son projet, est de tenir ensemble l’engagement dans l’aide et l’amour des frères et l’engagement dans l’amour de Dieu.


 Voir le dossier Benoît XVI .

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