Interview de Mgr André Vingt-Trois par Le Parisien

Le Parisien - 15 janvier 2006

Mgr André Vingt-Trois répond au journal Le Parisien à l’occasion de la Journée mondiale du migrant et du réfugié qui était en 2007 sur le thème « Toute personne est une histoire sacrée ».

Ne pas traiter les migrants comme des bêtes

Mgr André Vingt-Trois : Le phénomène des migrations n’est pas nouveau. En revanche, les moyens de communication et les disparités entre l’Occident et les pays pauvres font qu’il y a afflux d’immigrés en Europe. Cet afflux déclenche parfois des réflexes de défense et de rejet.
C’est pourquoi l’Église rappelle qu’il y a des droits essentiels et élémentaires : circuler, se nourrir, se soigner, vivre en famille.

Que pensez-vous du projet de loi en préparation sur l’immigration qui durcit les conditions de séjour, de regroupement familial et de régularisation des sans-papiers ?

Le problème des “sans-papiers” est européen puisque nous sommes dans l’espace Schengen. L’essentiel, c’est de respecter le droit des migrants, de ne pas les traiter comme des bêtes. Quand des procédures de rétention administrative sont légitimes, elles ne peuvent être indéfiniment prolongées et doivent respecter les conditions humanitaires minimales. On ne peut tout de même pas mettre les gens en cage ! Lorsque les étrangers sont dans une situation d’attente face à l’administration pour obtenir le statut de réfugié ou une carte de séjour, ils devraient pouvoir accéder à un travail. Sinon, comment s’étonner qu’ils deviennent des errants, victimes malgré eux du travail au noir ? C’est pourquoi il convient de sanctionner plus sévèrement les entreprises qui se livrent à une exploitation esclavagiste des “sans-papiers”.

Dix jours après l’attaque cérébrale dont a été victime le Premier ministre israélien, Ariel Sharon, êtes-vous inquiet pour la paix au Proche-Orient ?

Jusqu’à son accident de santé, Ariel Sharon était considéré comme un vautour redoutable. Depuis qu’il est malade, il est présenté comme l’ange de la paix. On peut s’interroger sur les initiatives qu’il a prises en 2005 et notamment le retrait de Gaza : ces décisions étaient-elles tactiques ? Ou voulait-il sincèrement faire bouger les choses ? Attendons maintenant les élections du 28 mars. Nous saurons ce que veulent les Israéliens.

Trois enfants ont succombé au virus H5N1 la semaine dernière en Turquie. La grippe aviaire est-elle une menace à vos yeux ?

Ça me paraît surtout fantasmatique. Que les responsables médicaux appliquent le principe de précaution, c’est très bien. Mais de là à en faire une phobie collective ! Ou alors il faudrait aussi faire une phobie de la voiture qui fait 5 000 morts sur les routes de France chaque année.

Lors de ses vœux mardi, Dominique de Villepin a exhorté nos concitoyens à croire au « devenir français » tout en fustigeant les « déclinologues ». A-t-il eu raison ?

Si le chef du gouvernement ne croyait pas en l’avenir de la France, son action ne serait pas très crédible. Quant aux « déclinologues », le paradoxe, c’est que l’antienne sur la spécificité française dans le sport, le cinéma, la laïcité. cohabite avec le discours inverse selon lequel la France camoufle ses échecs. N’est-ce pas un peu autodestructeur ?

D’après les chiffres publiés jeudi par le ministère de l’Intérieur, 45 000 voitures ont été brûlées en 2005, dont 10 000 pendant les émeutes d’octobre-novembre. Au-delà du bilan, comment analysez-vous ces événements ?

Ces chiffres montrent que les troubles de novembre n’ont été que la phase aiguë d’un phénomène permanent : toutes les nuits, il y a des voitures qui brûlent en France. Ces événements m’ont beaucoup préoccupé : on risquait à tout moment, s’il y avait eu une bavure policière ou des policiers tués, de basculer dans une guerre civile. On se trouve face à une concentration de difficultés dans un espace réduit (une cité, un immeuble...) Comment briser l’isolement ? Faut-il maintenir toujours et à tout prix la carte scolaire qui enferme les jeunes et leur famille dans un territoire ?

L’idée du gouvernement de suspendre les allocations familiales aux parents dont les enfants commettent des délits vous paraît-elle appropriée ?

L’intention est d’aider les parents à prendre conscience de leurs responsabilités. Cette mesure pose la question de la dissociation entre responsabilité éducative et cohésion familiale. Mais il ne faut pas s’étonner que des gamins de treize ans se retrouvent dehors à dix heures du soir dans une société où les gens pensent qu’une famille stable ou désunie ça ne fait pas de différence, ou encore qu’une famille recomposée, c’est mieux qu’un couple de parents stable.

Que pensez-vous du climat politique actuel phagocyté par la rivalité entre Nicolas Sarkozy et Dominique de Villepin ?

Je ne sais pas ce que ce Wimbledon de la vie politique recouvre en réalité. On nous présente cette rivalité comme une information. Ils ont aussi pu se mettre d’accord. La personnalisation excessive est un symptôme de dysfonctionnement de la démocratie. Les enjeux politiques sont plus importants que la focalisation sur les personnalités.

Que vous inspire le déjeuner officiel à l’Élysée du 18 décembre au terme duquel Bernadette Chirac a demandé à Mgr Jean-Michel di Falco, évêque de Gap, de dire une prière d’action de grâces ?

Que Mme Chirac demande à Mgr di Falco de dire une prière ne va pas bouleverser la face du monde ni remettre en cause la laïcité à la française !

Avez-vous lu le best-seller (plus de 230 000 exemplaires vendus) de l’abbé Pierre, dans lequel il avoue avoir cédé au désir sexuel ?

Non, je ne l’ai pas lu. Je voudrais garder une bonne image de l’abbé Pierre. Ce que j’ai à apprendre de lui, c’est ce qu’il est, c’est sa vie. Pour le reste, il a eu tort de se confesser en public. La confession, c’est à huis-clos face un prêtre.

Propos recueillis par Philippe Baverel.

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