Homélie de Mgr André Vingt-Trois – Vigile Pascale 2007

Cathédrale Notre-Dame de Paris - Samedi 7 avril 2007

Au cours de la Vigile Pascale, Mgr Vingt-Trois a baptisé 10 adultes de la paroisse Saint-Jean-Baptiste de Belleville. Toute la paroisse est venue célebrer la fête de Pâques à la Cathédrale. A Paris, chaque année, une paroisse est invitée à venir à Notre-Dame pour la Vigile Pascale.

Evangile selon saint Luc au chapitre 24, versets 1-12

Frères et soeurs, ces quelques femmes venues au tombeau pour embaumer le corps de Jésus ne savent plus que penser, car il a disparu. Quand elles vont raconter leur histoire aux apôtres, ils trouvent que ce sont des propos délirants. Pierre, quand il va constater par lui-même, de ses yeux, est tout étonné. Imaginez-vous pourtant que ces quelques femmes - triées sur le volet puisqu’elles étaient toutes du cercle étroit de ceux qui entouraient Jésus -, les onze choisis par lui pour être avec Lui et l’accompagner tout au long du chemin, tous ces gens-là à plusieurs reprises pendant les années qui ont précédé, les évangiles en témoignent, ont entendu annoncer ce qui s’est produit : l’arrestation, la condamnation, la mise à mort du Christ et l’annonce de sa Résurrection. Normalement, ils ne devraient pas être surpris, puisque la Parole du Christ accomplit ce qu’elle leur avait dit. Pourtant, ils ne savent plus quoi penser, ils imaginent un délire et ils restent pensifs. Comme s’ils n’avaient pas par devers eux le moyen de comprendre et de croire.

Si les évangiles nous rapportent, chacun à leur manière, la même stupéfaction, le même étonnement devant le tombeau vide, c’est parce que la Résurrection du Christ ne peut pas être imposée à l’esprit humain. Elle n’est ni le fruit d’une démonstration, ni même le fruit d’un témoignage. Car personne n’a vu le moment de la Résurrection. Ce qu’ils ont vu, c’est le tombeau vide ; ce qu’ils verront demain et dans les jours qui suivent, c’est l’apparition de Jésus vivant. Mais ce moment précis dans la nuit que nous vivons, où il passe de l’état de mort à l’état de vivant, personne ne l’a vu. Si nous disons que le Christ est ressuscité, cela ne peut pas être simplement comme la constatation d’un fait divers. Qu’un train ne s’arrête pas au terminus et rentre dans le butoir, faisant 50 blessés, ce sont des faites constatés, qui ne sont pas objets de foi. Tout au plus sont-ils objets de la confiance que nous faisons aux journalistes. Mais que Jésus, mort, soit maintenant vivant, cela n’est pas l’objet d’une constatation. C’est l’objet d’un témoignage rendu sur des éléments dont nous venons d’entendre les premiers : le tombeau vide, les linges pliés. Vous savez que certains pour expliquer le vide du tombeau ont trouvé des explications tout à fait raisonnables : par exemple de dire que les disciples sont venus l’enlever en cachette pour que l’on croit qu’il est ressuscité. Le tombeau vide ne prouve rien sinon que le corps n’est plus là . Cette poignée d’apôtres, plus les quelques femmes qui restent attachées à eux bien qu’ils aient trouvé leurs paroles délirantes, ils vont le rencontrer sur le chemin d’Emmaüs, ils vont le voir les rejoindre dans une pièce fermée de toutes parts, ils vont le voir vivant au bord du lac leur partager le pain et les poissons. Ils sont une poignée. Ils diront : "Nous l’avons vu ". "nous l’avons touché " - Thomas l’a touché : "Si je ne touche pas je ne croirai pas ". "Nous l’avons vu, nous l’avons touché, nous l’avons entendu, nous avons mangé avec lui ", nous disent-ils, mais enfin il faut bien leur faire confiance. Parce que qu’avons-nous d’autre pour croire qu’il est ressuscité ? C’est précisément cela ce que nous appelons la foi : croire une parole. Pas simplement parce que Pierre, Jacques, Jean et quelques autres, puis Paul ensuite, sont, comme l’on dit, des gens dignes de foi, mais parce que ce qu’ils disent est éclairé par ce que Dieu a annoncé.

Vous vous rappelez sans doute qu’avant-hier dans le récit de la Passion du Christ et dimanche dernier lors de la fête de la Passion, nous avons entendu à plusieurs reprises citer des passages de l’Ancien Testament : "Ils lèveront les yeux vers celui qu’ils ont transpercé " ; "tout est accompli ".Cela veut dire que nous ne pouvons comprendre et croire à la Résurrection du Christ que si nous recevons cette annonce de l’histoire d’un peuple qui a été choisi par Dieu, si nous recevons cette annonce du témoignage des hommes et des femmes qui s’inscrivent dans la foi de ce peuple et qui déchiffrent les événements : le tombeau vide, la rencontre du Christ Ressuscité, le partage du pain et des poissons, à la lumière de ce que Jésus avait annoncé, à la lumière de ce que les prophètes avaient annoncé. La foi chrétienne ne s’impose pas, elle se propose. Croire au ressuscité ne sera jamais l’objet d’une démonstration. C’est l’objet d’une annonce et cette annonce se propose à notre liberté, à notre intelligence, à notre coeur, à notre foi.

Mais essayons de réfléchir quelques instants à ce qui nous retient d’y croire, à ce qui fait obstacle, à ce qui empêche que des millions d’hommes et de femmes à travers le monde puissent accorder crédit à cette parole. Ce n’est pas parce que c’est une histoire trop compliquée : tout le monde arrive, vous le savez bien, à arranger les histoires compliquées. Quand vous interrogez des gens autour de vous sur la Résurrection, ils vous répondent en vous parlant de la réincarnation. Ils ont trouvé un moyen pour s’expliquer le mystère. Mais cela ne les empêche pas d’être croyants. Cela veut dire qu’il y a une résistance, quelque chose qui bloque, quelque chose qui fait que l’on n’arrive pas à faire le pas. Ce qui bloque n’est pas la difficulté du mystère, bien que la façon dont il est revenu à la vie reste hors de nos prises. Ce qui bloque, c’est que, comme nous le disait tout à l’heure saint Paul dans l’Epître aux Romains, s’il est ressuscité, et si nous passons par où il est passé pour ressusciter nous aussi, nous sommes entraînés dans une vie nouvelle, nous passons de la vie du vieil homme à la vie de l’homme nouveau, nous passons de la vie des ténèbres à la vie de la lumière, nous passons de la vie de l’esclavage que connaissaient les hébreux en Egypte à la délivrance et à la liberté. Nous passons du désespoir devant la mort à l’espérance que Dieu est plus grand que la mort. Nous comprenons bien que ce passage il ne se fait pas facilement ni automatiquement : la mort s’impose à nous, on ne la détourne pas, on ne peut pas la repousser, elle est là . Le goût de nous laisser entraîner par des liens qui brident notre liberté, nous le connaissons : nous savons, comme saint Paul le dit dans la même Epître aux Romains, qu’en nous il y a deux personnes, "une qui veut le bien qu’elle ne fait pas et une qui fait le mal qu’elle ne veut pas ". Cette liberté, nous la connaissons et nous savons que nous préférons souvent le clair-obscur ou l’obscurité complète plutôt que la lumière sur notre vie, parce que nos oeuvres ne supportent pas très bien la lumière. "Ils ont préféré les ténèbres à la lumière parce que leurs oeuvres étaient mauvaises " nous dit saint Jean.

Petit à petit, nous découvrons que la difficulté de croire à la Résurrection du Christ n’est pas tant qu’il faudrait nous expliquer le miracle de la Résurrection. C’est bien davantage de croire que nous, nous puissions être appelés à mener une vie de ressuscité. En cette nuit, c’est cela qui nous est proposé. Non pas de fermer les yeux, de fermer notre intelligence, d’abdiquer notre raison pour dire : il s’est passé quelque chose, nous n’y comprenons rien, mais nous nous laissons faire. Ce qui nous est demandé, c’est d’ouvrir les yeux et d’ouvrir notre intelligence, de faire fonctionner notre raison pour savoir si nous voulons nous mener une vie nouvelle, si nous acceptons que le Christ ressuscité transforme notre manière de vivre.

Ce soir, nous avons la joie de célébrer la Résurrection avec la paroisse de St Jean-Baptiste de Belleville. Je ne doute pas que beaucoup parmi vous, s’ils ne la connaissent pas encore, seront tentés dans les jours ou dans les semaines qui viennent de faire un petit crochet pour aller voir ce qu’est cette paroisse St Jean-Baptiste de Belleville en chair et en os. Cette paroisse accompagne dix catéchumènes qui vont être baptisés dans un instant en cette nuit. Chacune et chacun d’entre-eux a découvert le Christ à sa manière, il y a plus ou moins longtemps. Chacune et chacun d’entre-eux à un moment de sa vie a dû répondre à la question : "Et toi, veux-tu vivre une vie nouvelle ? Veux-tu laisser derrière toi ce qui appartient à la mort pour t’avancer vers ce qui est la vie ? Veux-tu laisser tomber tes vieilles habitudes, tes travers, tes faiblesses, tes refus d’aimer, pour te laisser emporter par le Christ ? " Quand tu réponds "oui " à cette question, alors tu peux croire que le Christ est ressuscité, parce que l’on ne répond pas oui à cette question simplement par le désir d’être parfait ; on répond oui à cette question quand on a découvert au fond de nous-mêmes que le Christ a vaincu la mort, que l’amour a vaincu la haine, que la miséricorde a vaincu le péché, et que la loi nouvelle qui s’ouvre devant l’humanité, c’est la loi de la liberté et de l’amour. Nous savons que, pour vivre selon cette loi, il faut changer du changement radical du baptême. Vous allez être engendrés à une vie nouvelle. Je vais arracher de vos épaules le symbole de la vie ancienne, cette écharpe de pénitent que je vous ai remise au moment de l’appel décisif, et je vais vous revêtir du vêtement blanc de la créature nouvelle. Au coeur de la nuit, vous allez recevoir la lumière du Christ. Au coeur de vos attentes, de votre faim, de votre soif, vous allez recevoir son corps et son sang. Dans votre désir de vivre en communion avec lui, vous allez recevoir la puissance de son Esprit qui va faire de vous vraiment des enfants de Dieu.

Nous sommes tous heureux de vous entourer, de prier avec vous, de professer avec vous notre foi baptismale, de dire une nouvelle fois, après tant d’années puisque nous sommes des vieux baptisés, de dire une nouvelle fois : "Je crois ", alors que notre coeur murmure en secret, au profond de nous-mêmes : "Je crois, Seigneur, mais viens en aide à mon peu de foi ".

Frères et soeurs, dans la joie de la vie nouvelle à laquelle le Christ nous appelle, nous accueillons avec confiance et avec amour celles et ceux qu’Il veut recevoir cette nuit dans son Eglise, celles et ceux qu’Il accueille dans la communion de la foi, celles et ceux qu’Il fait naître à la vie nouvelle. Amen.

+ André Vingt-Trois
Archevêque de Paris

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