Homélie du cardinal André Vingt-Trois – 3e Dimanche de Carême année A - Jésus rencontre la Samaritaine

Cathédrale Notre-Dame de Paris - dimanche 24 février 2008

Homélie du Cardinal André Vingt-Trois

Evangile selon saint Jean au chapitre 4 versets 5-42

« C’est vraiment Lui le Sauveur du monde ». Frères et sœurs, cette profession de foi qui achève le chapitre quatrième de l’évangile selon saint Jean, est le terme du long cheminement par lequel l’évangéliste nous fait progresser depuis le premier contact entre Jésus et la femme de Samarie au bord du puits jusqu’à cette profession de foi faite par les gens de son village en leur nom propre : « Ce n’est plus à cause de ce que tu nous as dit que nous croyons maintenant. Nous l’avons entendu par nous-mêmes ». Il s’agit d’un itinéraire spécifiquement pédagogique dont le but est de nous aider à comprendre comment on peut être acheminé à la profession de foi. C’est assez naturellement que la liturgie nous propose la lecture et la méditation de ce chapitre aujourd’hui, comme elle nous proposera dimanche prochain la lecture du chapitre 9 qui relate la guérison de l’aveugle-né et le dimanche suivant la lecture du chapitre 11 qui nous rapporte la résurrection de Lazare. Chacun de ces événements possède sa consistance propre et son message spécifique que nous recueillons mais ils ont ceci de commun, qu’ils nous aident à comprendre comment le Christ achemine vers la connaissance du don de Dieu : « Si tu savais le don de Dieu ».

En l’occurrence, dans cette rencontre avec la Samaritaine, le don de Dieu dont il s’agit, c’est l’eau vive, c’est la vie signifiée par l’eau qui est la ressource indispensable à toute vie. L’évangéliste nous montre comment le Christ part de la réalité tout à fait élémentaire, habituelle, triviale : pour cette femme, c’est une corvée quotidienne de venir puiser l’eau au puits, il n’y a rien là de très mystérieux ni de très métaphysique. C’est pourtant à partir de cette expérience, à partir de cette eau dont il lui demande de lui en puiser pour qu’il boive, que le Christ va peu à peu lui faire entrevoir l’existence d’une autre réalité qu’elle ne voit pas et qui est la vie de Dieu lui-même.
A partir de leur échange au sujet de l’eau ordinaire, habituelle, matière première de notre vie, peu à peu l’évangéliste nous fait découvrir que le même mot : l’eau, recouvre deux réalités complètement différentes. Cette découverte de la femme de Samarie à travers son dialogue avec le Christ, nous sommes invités nous à la faire aussi et à comprendre un élément particulièrement central de l’expérience chrétienne. La vie chrétienne n’est une autre vie, c’est notre vie. Si nous parlons de la vie, nous voyons tous à peu près, ou du moins nous imaginons tous à peu près de quoi nous voulons parler, et pourtant le cheminement à la suite du Christ nous fait découvrir peu à peu que la vie qu’il nous donne et que la vie à laquelle il nous invite a certes quelque chose à voir avec cette vie que nous connaissons mais qu’en même temps elle est quelque chose de très différent et de radicalement nouveau. Notre expérience de la vie est l’expérience d’une vie qui s’arrêtera par notre mort, comme l’expérience de l’eau pour cette femme est l’expérience d’une boisson qui n’apaisera pas définitivement sa soif et qu’il lui faudra le lendemain revenir puiser au puits. Cependant, toute imparfaite que soit cette eau, tout imparfaite qu’est notre vie, l’une et l’autre éveillent en nous le sens de la plénitude que Dieu veut nous partager en nous donnant une eau qui ne se tarit pas, une eau qui apaise définitivement la soif, comme il nous donne une vie qui ne finira pas mais qui s’épanouira éternellement dans la communion avec Lui.

Ainsi, être chrétien n’est pas adhérer à une autre vie. C’est apprendre, sous la conduite du Christ et par la lumière de l’Esprit Saint qui nous habite, à reconnaître dans cette vie-ci, dans cette vie qui est la nôtre, le signe et la présence, l’évocation d’une autre vie qui ne sera pas la même que celle que nous connaissons et qui cependant en sera l’achèvement et l’épanouissement. La foi chrétienne n’est pas l’adhésion à un autre monde, c’est l’identification d’un autre monde au cœur de ce monde. C’est la reconnaissance que Dieu, notre Père, qui est le Tout Autre, celui que nul n’a jamais vu et ne verra jamais, est venu partager la condition humaine et vivre dans cette existence qui est la nôtre. C’est découvrir avec les premiers croyants qui en ont été les témoins, en marchant et en vivant autour du Christ, que le Dieu de l’alliance est celui qui a uni définitivement l’avenir de l’humanité à son projet paternel de salut. C’est découvrir que l’achèvement de la vocation humaine, la plénitude de cette vocation humaine, est inscrite comme une espérance au cœur de notre expérience quotidienne. C’est découvrir que la fidélité au Christ se réalise dans la manière dont nous laissons cette promesse de vie éternelle transformer et comme exhausser, élever de façon inespérée l’expérience que nous faisons dans notre vie humaine. C’est reconnaître, ainsi que nous le faisons dans la célébration de l’eucharistie en accueillant le signe du pain comme le signe de la présence de la vie du Christ ressuscité, c’est reconnaître que le Dieu invisible dans sa toute puissance vient se rendre visible dans l’expérience sacramentelle de l’Église. C’est reconnaître que l’eau qu’il répand à profusion sur l’humanité entière est le signe qu’il veut apaiser tout désir et toute soif : elle est la promesse de la vie éternelle.

Aujourd’hui, nous ne croyons plus à cause des paroles que disait la femme de Samarie, nous croyons parce que nous l’avons entendu par nous-mêmes et nous savons que c’est vraiment lui le Sauveur du monde.
Amen.

+André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris

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