Homélie du cardinal André Vingt-Trois – 5e dimanche du Temps pascal

Chapelle de la communauté chrétienne des Africains (C.C.D.A.) - Dimanche 20 avril 2008.

Ac 6, 1-7
Ps 32
1 P 2, 4-9
Jn 14, 1-12

Homélie du Cardinal André Vingt-Trois

Le Christ va quitter ses disciples bientôt. Il va les quitter deux fois, en quelque sorte. L’évangile selon saint Jean nous rapporte cette discussion entre Jésus, Thomas et Philippe, avant la Passion et c’est pour les préparer à affronter l’épreuve qui les attend, lorsqu’il va être enlevé du milieu d’eux par sa condamnation et sa crucifixion, que Jésus leur adresse ces paroles : « Ne soyez donc pas bouleversés. Vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi ». Mais, nous qui entendons ces paroles après la Résurrection et l’Ascension du Christ, nous comprenons que le Seigneur veut les préparer non seulement à sa mort, mais aussi à son retour vers le Père. Bientôt, dans quelques jours, nous célèbrerons la fête de l’Ascension : Jésus remonte auprès du Père, puis la fête de la Pentecôte : il envoie son Esprit-Saint sur ses disciples. A partir de ce moment de l’Ascension, ils vont se retrouver seuls. Jésus ne sera plus au milieu d’eux en chair et en os. Comment vont-ils pouvoir vivre cette épreuve ? Comment vont-ils affronter son absence ? C’est pour les préparer à cette absence que Jésus leur donne cet enseignement sur lui-même, sur le Père, sur sa relation avec le Père. Nous savons, nous, que nous allons découvrir que cette relation avec le Père a un nom propre : l’Esprit, et que cette relation avec le Père a une réalité en nous : la présence de l’Esprit-Saint que Jésus nous donne. Par cette présence de l’Esprit-Saint, nous entrons vraiment en communion avec le Père et avec le Fils.

Etre chrétien, c’est d’abord donc croire au Christ : « Vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi ». C’est croire vraiment que celui qui a vu le Christ a vu le Père que personne ne peut voir. C’est croire vraiment que le Père demeure dans le Fils et que le Fils demeure dans le Père et comme il le dira plus loin dans le même évangile selon saint Jean : « Celui qui croit en moi et qui garde ma parole, nous viendrons en lui et nous ferons en lui notre demeure ». Le Père demeure dans le Fils, le Fils demeure dans le Père, et par la vie de l’Esprit-Saint, le Père et le Fils demeurent dans le cœur de ceux qui croient en eux. Nous sommes ceux qui croient que Dieu est Père, que Jésus est son Fils et que l’Esprit nous habite. Nous sommes ceux en qui demeure la présence de Dieu par la puissance de l’Esprit. Alors nous ne devons pas être bouleversés si notre vie chrétienne doit être conduite sans que nous voyions le Christ. Nous n’avons pas besoin de voir le Christ pour croire. Quand il apparaît ressuscité à Thomas qui avait dit : « Si je ne vois pas, je ne croirai pas », Jésus lui dit : « Tu as cru parce que tu as vu. Heureux ceux qui croiront sans avoir vu ».

Nous, nous croyons sans avoir vu le Christ, mais nous croyons parce que nous voyons l’action du Père et du Fils se répandre dans les cœurs des croyants par la vie de l’Esprit et produire du fruit à travers leur vie. Nous croyons parce que nous voyons des chrétiens, des chrétiennes, de toutes races, de tous pays, de tous âges, de toutes cultures, de toutes professions, devenir les membres vivants de son Église, des pierres vivantes : « Vous, vous êtes la race choisie, le sacerdoce royal, la nation sainte, le peuple qui appartient à Dieu ». Nous sommes ce peuple saint qui appartient à Dieu, nous sommes constitués pierres vivantes, nous sommes ceux qui sont habités par l’Esprit-Saint, ceux en qui demeurent le Père et le Fils, et nous sommes chargés, par l’envoi en mission que Jésus fait à la Pentecôte, d’annoncer les merveilles de Dieu à toute la terre.

Cette mission, c’est ce que nous voyons : nous ne voyons pas le Père, nous ne voyons pas le Fils, mais nous voyons les fruits de l’Esprit à l’œuvre dans le cœur des hommes ; on ne voit pas le Père, on ne voit pas le Fils, mais on voit les pierres vivantes de l’Église qui témoignent de la vie du Ressuscité et qui annoncent ses merveilles à toute la terre.

En entendant le récit du livre des Actes des Apôtres tout au long de ses dimanches, nous découvrons peu à peu comment la communauté chrétienne qui démarre après la Pentecôte est amenée à s’organiser. Nous voyons que des questions se posent, que des difficultés et des tensions se font jour et même des conflits, nous l’avons entendu aujourd’hui, entre les chrétiens d’origine grecque et ceux d’origine juive, les uns trouvant que les autres sont mieux traités qu’eux. Nous voyons aussi comment cette Église, animée par l’Esprit-Saint, s’organise pour faire face à ses difficultés. Nous voyons comment les Apôtres qui ont reçu la mission d’annoncer la Bonne Nouvelle, de porter la Parole de Dieu à travers le monde, organisent les choses pour pouvoir se consacrer tout entiers à la mission qu’ils ont reçue. Ils choisissent donc des gens pour s’occuper des questions à résoudre, ici le service des tables. Alors, on choisit sept hommes, on leur impose les mains, et ils prennent en charge la répartition des nourritures.

Nous avons-nous aussi à faire face à beaucoup de questions et nous apprenons, petit à petit, avec l’assistance du Saint-Esprit, à organiser notre Église pour que ce ne soit pas seulement sur les évêques et les prêtres que repose la vie de l’Église mais aussi sur des hommes et des femmes que l’on appelle et à qui on confie des missions. Ils doivent assumer la vie de la communauté.

Nous le savons : une communauté ne peut pas vivre en ne reposant que sur quelques personnes. Elle ne peut vivre que si elle a une base solide, nombreuse, diversifiée, vivante, un tissu vivant d’où elle tire sa force et son énergie. Ce tissu vivant, ce sont les pierres vivants qui le constituent, le peuple chrétien, ceux et celles qui ont été appelés, choisis par Dieu et servent à construire le temple spirituel qui n’est pas seulement une réalité invisible mais aussi la communauté visible de l’Église. Si nous voulons que les hommes et les femmes de notre temps, des différents continents du monde, puissent voir quelque chose qui les aide à croire, il faut que, conduits par l’Esprit-Saint nous développions une vie communautaire riche et joyeuse qui donne envie à ceux qui nous regardent de venir regarder de plus près pour comprendre d’où vient la force qui fait que nous ne sommes ni bouleversés ni écrasés, même si Dieu n’est pas visible.

Cette force, c’est l’Esprit qui nous habite. Prions-le : qu’il ravive en nous sa flamme et sa chaleur, qu’il ouvre nos cœurs pour que nous soyons davantage comme des frères et des sœurs d’une même famille. Qu’il porte du fruit par nous pour que tous puissent reconnaître que l’Esprit est l’Esprit de Jésus, lui qui est « le chemin, la vérité et la vie » et qui nous conduit vers le Père. Amen.

+André Cardinal Vingt-Trois, Archevêque de Paris

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