Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Vigile de Pentecôte - Confirmation d’adultes à Notre-Dame de Paris

Cathédrale Notre-Dame de Paris - samedi 10 mai 2008

Ac 2, 1-11 ; Ps 103 ; Rm 8, 22-27 ; Jn 7, 37-39.

Chers amis, en lisant chacune des lettres que vous m’avez adressées pour exprimer votre désir d’être confirmés ce soir, en entendant tout à l’heure énoncer vos prénoms pour que vous manifestiez votre volonté de vous approcher de la confirmation et en vous voyant vous signer avec l’eau baptismale, je pensais que nous avions devant nos yeux une représentation très visible et concrète de ce que saint Augustin disait tout à l’heure à propos de la Pentecôte. Car ce corps de l’Église que nous formons ce soir, dans la communion de l’Esprit-Saint, il se construit à partir d’éléments dispersés sinon divisés, inconnus, indifférents sinon hostiles.

Mais cette dispersion et cette indifférence ne sont pas simplement représentées à travers la diversité de notre assemblée ; elles sont aussi une réalité dans l’histoire de chacune de vos vies. Car quand vous essayez d’expliquer comment vous êtes arrivés au point où vous êtes aujourd’hui, comment vous avez pu vous décider à faire le pas pour être confirmés, le regard que vous portez sur votre vie et le récit que vous faites même de façon résumée de votre parcours montrent bien comment l’unité de votre personne qui se constitue dans la démarche que vous faites rassemble, de façon visible aujourd’hui mais mystérieusement cachée au long des années, toutes sortes de moments, d’épisodes de votre vie, au cours desquels, tels les constructeurs de Babel, chacun a voulu édifier son projet selon sa propre langue, selon son propre génie, selon ses aspirations, selon ses désirs, et aussi, vous le savez bien, selon ses faiblesses.

L’édification plus ou moins volontaire, plus ou moins délibérée de cet itinéraire de votre vie, à certains moments, vous le mesurez aujourd’hui, vous a dispersés. Parfois, pendant de longues années, vous avez continué de savoir et de croire que Dieu était quelqu’un dans votre vie sans que cette présence ait pu vous déterminer à rejoindre le Corps de ceux qui croient en lui. Chrétiens de désir, chrétiens d’oubli, chrétiens de mémoire, chrétiens d’ignorance, vous étiez dispersés à travers l’immense foule, sans que votre lieu puisse être identifié. C’est peu à peu que l’Esprit de Dieu a travaillé votre cœur, l’Esprit du baptême que vous aviez pour la plupart reçu dans votre jeunesse, même si vous n’avez pas été catéchisés ensuite. L’exemple d’une grand-mère, d’un frère, d’un père, d’un ami, d’une amie, le témoignage innocent de quelqu’un qui ne saura jamais que sa parole aura été déterminante, l’annonce d’une naissance à l’autre bout du monde qui va faire de vous un parrain ou une marraine, un bébé que vous avez eu ou que vous avez tenu entre vos bras et qui vous a éveillé au mystère de la vie et de l’amour… : à travers ces étincelles éparses au long d’une nuit profonde, peu à peu se dessine un chemin de lumière qui vous ramène parfois insensiblement, parfois brusquement comme dans un éclair, à redécouvrir ou à entendre pour la première fois que Dieu est quelqu’un qui vous parle.

Ce qui jusqu’alors paraissait comme un dessin insignifiant fait de courbes qui semblaient n’aller nulle part, devient tout à coup un itinéraire : l’errance de vos années d’adolescence ou de jeunesse, la surdité, l’aveuglement, l’ignorance, tout ce qui vous avait tenu éloignés d’un acte de foi personnel, devient brusquement par la grâce de Dieu qui nous habite l’expression de la fidélité de celui qui vous a choisis, chacun comme son enfant, et qui ne vous a abandonnés à aucun moment de vos vies, quoi qu’il vous soit arrivé et quoi que vous ayez pu faire.

Ces points obscurs, ces périodes sombres, sont mystérieusement récupérés et intégrés dans la construction de cet édifice qui n’est plus une tour de Babel mais qui devient le temple vivant du Christ dans ce monde, temple dont nous sommes les pierres vivantes. Ainsi, ce soir, dans la démarche que vous faites et que vous préparez depuis plusieurs mois ou plusieurs années, vous vivez vraiment un moment de plongée dans la communion de l’amour. Ces éléments épars de votre vie sont recueillis et rassemblés dans la démarche de votre liberté qui s’offre à l’amour de Dieu. Le Corps unifié de l’Église assume et rassemble tout ce qui constitue l’histoire souvent torturée de chacune de nos vies et de l’humanité entière. Et comme ce soir, vous l’avez vu, les nations, les cultures, les langues, sont rassemblées en un seul pas, en une seule démarche et en un seul chant. De même tout ce qui a constitué dans vos vies des territoires étrangers à la foi, un vocabulaire, une langue dans laquelle Dieu n’avait pas sa place, une culture qui était devenue païenne, tout cela se rassemble dans l’amour du Christ pour devenir une créature nouvelle. Mais cette créature nouvelle n’efface pas ce que vous avez vécu.

La culture du Corps de l’Église que nous constituons ne se bâtit pas sur la négation de ce que vous avez été ; elle ne renie rien de ce qui a été votre vie aux uns et aux autres, mais par la puissance de l’amour, elle assume ce que vous êtes, elle reprend votre histoire pour qu’elle devienne vraiment une histoire sainte, elle purifie ce qui a été mauvais, elle assume ce qui a été bon, elle édifie avec chacune de vos vies et chaque période de votre vie le Corps du Christ qui est l’Église. De même que les représentants des différents peuples rassemblés à Jérusalem pour la fête signifiaient que la foi au Dieu unique devient un foyer d’unité au travers des diversités, de même l’Esprit-Saint que vous recevez manifeste que Dieu constitue un peuple à partir de membres différents qu’il rassemble sans les dissoudre, qu’il unit sans les confondre, qu’il appelle sans les renier.

Chacun de vos noms qui a été prononcé désigne une histoire où Dieu a écrit votre chemin même quand vous ne le saviez pas. Vous allez être marqués par l’onction de l’Esprit qui va pénétrer votre personnalité comme l’huile va pénétrer votre peau, de façon indélébile, et c’est d’ailleurs pour beaucoup d’entre vous cette certitude d’une alliance définitive et indissoluble qui vous tourne vers l’Esprit de Dieu. L’épreuve que vous avez pu faire de la faiblesse et de la fragilité de nos relations humaines vous fait puiser dans la relation avec Dieu la confiance et la certitude qu’au moins dans votre vie il y en a un qui ne vous abandonnera pas. C’est parce que nous sommes sûrs qu’il ne nous abandonne pas qu’à notre tour nous devenons capables de nous donner sans retour. Celles et ceux d’entre vous, et ils sont nombreux qui vivent cette confirmation dans la préparation ou la suite immédiate de leur mariage, savent bien comment ce don de l’Esprit-Saint est indissolublement lié au don qu’ils font d’eux-mêmes l’un à l’autre dans leur amour et que c’est cette fidélité indissoluble de Dieu qui fonde l’indissolubilité de nos amours humaines. C’est parce que Dieu ne trompe pas que nous pouvons nous engager à aimer pour toujours.

Rassemblés dans la cathédrale qui est comme le symbole de l’Église diocésaine, vous prenez votre place dans la communion de l’Église entière. Vous trouvez pleinement votre place, vous êtes consacrés par l’Esprit-Saint pour devenir témoins de la Bonne Nouvelle du Christ à travers tous les instants de vos vies. Ce don de l’Esprit n’est pas un poids qui vous accable, c’est une force qui vous relève ; ce n’est pas une complication qui vient embrouiller vos idées, c’est une lumière qui vient clarifier votre chemin !

Frères et sœurs, c’est une grande joie pour l’Église et, en particulier pour moi qui préside à cette Église, de vous recevoir comme les membres à part entière du Corps du Christ et d’attester la mission qui vous est confiée, d’être témoins de la fidélité de Dieu. Amen.

+André cardinal Vingt-Trois, Archvêque de Paris

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