Homélie de Mgr André Vingt-Trois – 5e dimanche de Pâques

Cathédrale Notre-Dame de Paris - dimanche 6 mai 2007

Evangile selon saint Jean au chapitre 13, versets 31-33,34-35

Frères et soeurs,

L’évangile selon saint Jean, comme vous le savez sans doute, voit d’un même regard théologique et la crucifixion et la mort du Christ et sa glorification. Si bien que, quand il dit qu’il sera élevé de terre, cela veut dire en même temps qu’il sera crucifié, dressé sur la Croix et qu’il sera emporté dans le Père. C’est pourquoi dans cet évangile il n’y a pas de récit particulier de l’Ascension du Christ. C’est pourquoi aussi au cours du dernier repas le Seigneur annonce déjà qu’il est glorifié : par le partage du pain et du vin, il réalise sacramentellement par avance le don qu’il va faire de sa vie pour la gloire de Dieu et Dieu en retour lui donnera sa propre gloire. Le discours après la Cène qui suit ce dernier repas de Jésus est une lente préparation des disciples à vivre la séparation qui va les frapper. Depuis de longs mois, ils ont cheminé avec Jésus, ils ont partagé ses journées, ils ont vu les signes qu’il a opérés, ils ont entendu son enseignement, ils ont reçu de sa part une formation particulière, "à l’écart " nous dit l’évangile selon saint Marc. Entre eux se sont tissés peu à peu des liens très forts d’amitié et de vénération.

Mais comment ces liens d’amitié et de vénération vont-ils résister à l’épreuve de la crucifixion ? Comment le départ et l’absence du Christ, comment le vide laissé au milieu d’eux par sa glorification va-t-il permettre de prolonger cette période initiatique au long de laquelle le Christ les a préparés à devenir ses ministres pour le peuple de Dieu ? De cette question, ils n’ont pas la réponse. Le Christ, lui, nous le savons parce qu’il le dit dans l’Evangile, le Christ sait qu’ils le trahiront, qu’ils seront dispersés et qu’il faudra à nouveau refonder la communion qui avait été commencée avec lui. Nous le savons aussi : ce qui nous apparaît - et qui leur apparaît à eux - comme une épreuve insupportable, est la condition nécessaire pour l’extension universelle de la mission du Christ et pour la manifestation de la puissance de Dieu par le don de l’Esprit Saint : "Il est bon pour vous que je m’en aille car si je ne pars pas, le Paraclet ne viendra pas à vous ; mais si je pars, je vous l’enverrai " (Jn 15, 7).

Cet Esprit répandu au coeur des disciples, au jour de la Pentecôte selon le récit des Actes, dans une apparition du Ressuscité saint Jean, cet Esprit du Christ répandu au coeur des disciples va les constituer comme témoins, comme témoins de la mort et de la Résurrection du Christ mais surtout comme témoins de la puissance de l’amour. Le commandement nouveau que Jésus leur donne pour établir les moeurs de l’Eglise naissante : "Aimez-vous les uns les autres. Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres ", ce commandement nouveau n’est pas simplement une exhortation aux bons sentiments et à la gentillesse mutuelle ; il est vraiment une manifestation de l’Esprit Saint : "Ce qui montrera que vous êtes mes disciples, c’est l’amour que vous aurez les uns pour les autres ". Cet amour de charité va nouer entre les membres de l’Eglise une relation nouvelle, forte et fraternelle ; c’est l’Esprit qui l’inspire, c’est l’Esprit qui l’anime et c’est l’Esprit qui l’accomplit.

Cette relation d’amour et cette communion que le Christ veut voir grandir entre les membres de son Eglise sont indissociables du repas au cours duquel il leur a partagé son corps et son sang, comme elles sont pour nous indissociables de la célébration de l’eucharistie qui nous rassemble dimanche après dimanche. Car nous sommes réunis par le Seigneur pour écouter sa Parole et partager son pain et nous sommes rassemblés pour nous donner les uns aux autres les signes de cet amour qui vient de Dieu : la liturgie nous y invite par le signe de la paix mais aussi, plus largement, à travers le signe sacramentel que nous nous donnons de cet amour mutuel. Nous constituons un témoignage au milieu de notre société. Nous sommes une société ; l’Eglise est une société dont le principe et la règle de fonctionnement est l’amour et non pas le pouvoir. L’Eglise est une société dans laquelle chacun des membres ne peut devenir lui-même que s’il est aimé de ses frères et s’il aime ses frères. C’est ainsi que cette Eglise, la nouvelle cité descendue du ciel d’auprès de Dieu selon la vision de l’Apocalypse, inscrit dans la terre et dans le temps de la première création le signe du monde nouveau suscité par le Christ ressuscité.

Bien sûr, nous sommes plongés dans la première création ; bien sûr, nous connaissons toujours et la mort et la souffrance et les larmes mais pourtant, engendrés par le baptême à la vie du Christ ressuscité, transformés par le don de l’Esprit Saint de la Confirmation pour devenir témoins de la puissance de son amour, nous assumons et la mort et la souffrance et les larmes non pas comme une fatalité mais comme le moment et la forme par lesquels Dieu nous invite à être témoins de son amour. Oui, nous voyons la mort à l’oeuvre en ce monde ; oui, nous voyons la souffrance à l’oeuvre en ce monde ; oui, nous voyons des larmes couler des yeux et nous ne pouvons pas empêcher la mort, la souffrance et les larmes. Mais nous pouvons en changer le sens si, par notre présence, celui qui pleure, celui qui souffre et celui qui meure découvrent que, dans la nouvelle création fondée par le Christ, l’amour est plus que la mort, que la souffrance et que les larmes. C’est à ce témoignage que nous sommes invités par la parole de Dieu.

Dieu veut faire de nous des témoins de l’amour les uns pour les autres et il veut qu’ensemble nous devenions témoins de l’amour auprès de nos frères. Alors la nouvelle cité descendue du ciel d’auprès de Dieu sera vraiment la demeure de Dieu parmi les hommes. Alors Celui qui siège sur le trône pourra vraiment dire : "Voici que je fais toutes choses nouvelles ". Cette nouveauté extraordinaire de l’Evangile constitue le moyen par lequel nous sommes affermis dans la foi malgré les épreuves et le moyen par lequel Dieu, aujourd’hui comme hier, continue d’ouvrir aux païens la porte de la foi. C’est l’intensité de notre vie ecclésiale au moment où nous célébrons l’eucharistie, la force de l’amour de Dieu qui pénètre nos coeurs et qui transforme nos regards les uns sur les autres, la fraternité qui grandit dans l’expérience de l’Eglise, qui permettent que les portes ouvertes sur le monde ne soient pas simplement un symbole mais deviennent vraiment le signe que Dieu ouvre pour tous la porte de la foi.

Frères et soeurs, que la puissance de l’Esprit qui nous habite fasse grandir en nous la certitude de la nouveauté inaugurée par le Christ. Qu’elle développe en nous la joie de ceux que Jésus appelle à devenir ses disciples. Que notre joie soit de nous aimer les uns les autres comme Il nous aime. Amen

+ André Vingt-Trois
Archevêque de Paris

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