Homélie de Mgr André Vingt-Trois – 3e dimanche de Carême 2007

Saint-Joseph des Nations - dimanche 11 mars 2007

Le temps du carême nous est donné pour que nous prenions nos petits outils et grattions la terre au pied du tronc de l’arbre. Cela signifie pour nous regarder ce que nous faisons, comment nous vivons. Quelle place laissons-nous à Dieu dans notre vie ? Comment prions-nous ? Comment essayons-nous de vivre chrétiennement ? Comment essayons-nous de faire du bien plutôt que faire du mal ? Comment essayons-nous d’aimer les autres plutôt que de les utiliser ? Cela s’appelle la conversion.

Evangile selon saint Luc au chapitre 13, versets 1-9

L’évangile que nous venons d’entendre nous raconte deux faits divers qui se sont produits dans les années autour de la présence de Jésus : des gens ont été massacrés alors qu’ils étaient venus au Temple pour procéder à un sacrifice, et des gens ont été victimes d’une catastrophe, une tour qui s’est écroulée et qui a tué 18 personnes.

Nous sommes, nous, des habitués des faits-divers. Tous les jours, si nous regardons le journal télévisé, nous entendons parler de faits divers plus ou moins cruels, plus ou moins malheureux. Chaque jour nous avons notre ration d’accidents, de blessés, de morts.

La première question à laquelle Jésus répond est la question qui vient toujours, un jour ou l’autre, à notre pensée, à notre coeur : qu’avaient-ils fait ? Ces accidents, ces accidents mortels, sont-ils une punition ? Oh ! bien sûr, quand je pose la question comme cela, tout le monde est prêt à répondre : non. Mais si nous réfléchissons bien, nous nous apercevons que, souvent, nous faisons un lien entre le mal qui arrive et le mal que l’on a fait. Quand des gens veulent se plaindre qu’il leur arrive quelque chose de terrible, ils disent : "Pourtant, je n’avais rien fait, je n’ai pas mérité cela ".
Toujours court l’idée que ce qui nous arrive de mauvais peut être d’une certaine façon une punition. C’est une manière de donner un sens au mal, à la maladie, - des gens croient que la maladie est une punition -, de donner du sens aux accidents, aux événements qui arrivent par hasard. Pourquoi ces 18 personnes se sont-elles trouvées sous la tour au moment où elle s’est effondrée, et pas d’autres ? Les gens autour d’eux pensent : c’est parce qu’ils avaient mérité d’être là .

Dans l’évangile selon saint Jean, les disciples demandent à Jésus à propos de l’aveugle-né qui est responsable qu’il soit né aveugle : ses parents ou bien lui ? Jésus essaye toujours d’expliquer que les raisons du mal qui arrive ne sont pas à chercher dans la punition de ce que l’on a fait, ce n’est pas pour exercer un jugement, ce n’est pas pour infliger une souffrance à des gens parce qu’ils seraient coupables.
Le sens que Jésus donne à ces événements, au contraire, c’est qu’ils nous invitent à les comprendre comme un signal. Quel est ce signal ? Le signal, c’est que nous sommes tous menacés de mort. Tous. On ne va pas tous mourir aujourd’hui, mais tous nous mourrons un jour. Ceux qui meurent plus tôt que prévu, ceux qui meurent avant l’âge, ceux qui meurent par accident, ceux qui meurent victimes de la maladie, de la violence, eh bien ! ceux-là nous envoient un message. Ils nous font comprendre que ce qui vient de leur arriver nous arrivera à nous aussi un jour. Nous n’avons pas un temps indéfini devant nous pour arranger notre vie. Il faut que nous fassions le ménage maintenant, pendant que nous en avons encore le temps.
C’est comme cela que nous comprenons la parabole du figuier. Un figuier qui n’a jamais donné du fruit, on le coupe. Le serviteur intercède auprès du maître : "Laisse-moi encore une année, encore une année, que je le travaille, que je le cultive, que je lui mette de l’engrais, que je le soigne, car peut-être peut-il quand même porter du fruit ". Le maître accepte de laisser une année de sursis, une année de répit, une année de grâce. L’année de grâce, c’est l’année où il va falloir qu’il porte du fruit.

Si Jésus nous raconte cette parabole, c’est précisément en lien avec les accidents qu’il a évoqués auparavant. Nous, nous avons la chance de vivre, - nous avons déjà la chance de vivre -, la chance de vivre pas trop mal. Bien sûr, il y a toujours des choses qui ne vont pas ; bien sûr, on peut toujours imaginer que cela pourrait être mieux encore, mais enfin nous sommes là , nous sommes debout, nous sommes à peu près en bonne santé, nous avons des soins à proximité. Nous pouvons espérer, en tout cas, pouvoir nous donner du mal pour travailler, avoir de quoi manger, élever nos enfants, vivre en paix, ne pas être soumis à la guerre, à la famine, aux épidémies, aux persécutions. En somme, nous avons une vie calme et paisible. Cela n’empêche pas d’avoir des ennuis, des malheurs, des souffrances, mais nous sommes là .

Alors, croyez-vous que nous ayons mieux mérité que les autres, croyez-vous que nous sommes meilleurs que ceux qui sont détruits par les bombes, les mines, la guerre ? Que nous sommes meilleurs que ceux qui sont détruits par les épidémies ? Que nous sommes meilleurs que ceux qui sont détruits par la maladie, que ceux dont les familles sont éclatées, les enfants dispersés, etc. ?
Non, nous ne sommes pas meilleurs. Les malheurs qui arrivent dans notre vie ou autour de nous sont un avertissement qui nous est envoyé pour que nous changions de vie, pour que nous accomplissions le travail que le serviteur annonce : gratter la terre au pied du figuier, l’arroser, le soigner, le tailler, bref faire quelque chose pour que ma vie porte du fruit.

Le temps du Carême nous est donné comme cette année supplémentaire, cette année de répit, de sursis. Le temps du carême nous est donné pour que nous prenions nos petits outils et grattions la terre au pied du tronc de l’arbre. Cela signifie pour nous regarder ce que nous faisons, comment nous vivons. Quelle place laissons-nous à Dieu dans notre vie ? Comment prions-nous ? Comment essayons-nous de vivre chrétiennement ? Comment essayons-nous de faire du bien plutôt que faire du mal ? Comment essayons-nous d’aimer les autres plutôt que de les utiliser ? Cela s’appelle la conversion. Alors il nous reste en gros 4 semaines avant Pâques, 4 semaines pour travailler encore un peu à notre conversion.

Notre conversion s’exprime par la démarche dans laquelle nous disons à Dieu que nous sommes pécheurs, ainsi que nous l’avons fait tout à l’heure au début de la messe. Nous le faisons au début de chaque messe, mais il faut que nous le fassions plus profondément dans une démarche plus personnelle, en demandant au Seigneur qu’Il regarde notre coeur, en laissant apparaître devant lui ce qu’il y a en nous pour qu’Il soigne ce qui est malade, qu’Il redresse ce qui est tordu, qu’Il arrose ce qui est asséché.

Cette démarche, c’est la réconciliation à laquelle nous sommes invités en ce temps pour préparer les fêtes de la Pâque. Nous sommes invités à nous laisser réconcilier par Dieu, à venir nous reconnaître pécheurs. Cela vous sera proposé certainement dans toutes les communautés chrétiennes de Paris avant Pâques. Alors, avant tout, nous rendons grâce à Dieu : Il nous a donné une année de plus. Nous ne lui rendons pas grâce de devenir plus vieux d’ une année, mais nous lui rendons grâce de nous laisser un répit, de nous laisser le temps de remettre notre vie en ordre, de nous laisser le temps de travailler notre petit rond de terre au pied de l’arbre pour qu’il porte du fruit.

Nous rendons grâce à Dieu parce qu’il nous rassemble dans cet effort pour progresser dans la sainteté, non pas comme des communautés juxtaposées mais comme une unique Eglise, avec ses cultures, ses langues, ses différences, mais par-dessus tout, ce qui fait son unité : le Christ vivant en nous, le Christ qui nous rassemble par son Esprit, le Christ qui se donne en nourriture par sa Parole et par son Pain. Amen.

+ André Vingt-Trois
Archevêque de Paris

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